Publié le : 29 mai 2012
Source : l-arene-nue.blogspot.fr
Faut-il virer Eric Zemmour : voici l’interrogation qui agite le Landerneau webo-médiatique depuis trois jours. Prendre position pour ou contre Zemmour / pour ou contre RTL, telle est la question à laquelle nous sommes tous sommés de répondre, parce qu’il n’y a aucune raison qu’on puisse s’épargner d’avoir à de choisir son camp même en temps de paix : non mais !
Il y a donc ceux qui se désolent du potentiel licenciement de Zemmour, et ceux qui saluent la putative décision de RTL. A bien y réfléchir, la question est-elle vraiment de savoir qui est « gentil » et qui est « méchant » ? Ne peut-on s’accorder sur une réponse de cet acabit : « virer Zemmour, avant, pourquoi pas, maintenant sûrement pas » ?
Virer Zemmour, avant, donc, pourquoi pas ? Même si ce n’est pas très charitable, rappelons qu’RTL est une entreprise privée. Par ailleurs, la radio aurait eu des raisons, même si ce ne sont pas forcément celles que l’ont croit au premier abord.
Certes, le futur congédié, quoique bigrement intelligent, est passablement fatigant. Il radote, il ratiocine, il tourne en boucle. Car Zemmour campe sur une niche : celle du « non politiquement correct », de la pensée anti-conforme, du contrepied systématique. Or, s’il demeure le meilleur compétiteur, il n’est pas le seul à pratiquer ce sport. L’éditorialiste ayant fait quelques émules, dont certains sont atteints de psittacisme anti-bien-pensance, cela finit par ennuyer.
La pensée « hors des clous » est devenue une doxa, une infinité de mantras, un catéchisme. A cet égard, Romain Pigenel a raison lorsqu’il pointe la « banalisation » du discours de zemmourien : « le paradoxe du zemmourisme est que son succès mine ses fondements. C’est un secret de polichinelle : la prétendue pensée unique (…) est de moins en moins unique et de moins en moins répandue ». En revanche, le blogueur prend un risque lorsqu’il nous met au défi : « pourriez-vous citer un équivalent progressiste, en terme de présence médiatique et de popularité, d’Eric Zemmour ? ».
Car oui, nous pouvons en citer. Nous pouvons en citer beaucoup. Les catéchumènes de la « bonne » pensée conforme sont, en proportion, bien plus nombreux que ceux de la tout aussi conforme « unpolitically correctness ». Simplement, on ne s’en rend même plus compte, ce qui est très dommageable pour notre esprit critique.
Ainsi, si l’on congédie Zemmour parce qu’il est urticant, il est d’autant plus urgent d’envoyer Alain Duhamel profiter des joies d’une retraite méritée, Jean-Michel Aphatie prendre de (nombreux) cours d’économie et d’offrir à Caroline Fourest un (long) stage d’étude des fondamentalismes et idéologies liberticides sévissant au Sud-Katanga.
Ce n’est pas parce qu’il est clivant, donc qu’il faut crier haro sur Eric Zemmour. D’autant plus que c’est très exactement pour cela qu’on le paie. Ce pas non plus parce qu’il dit des choses estampillées « nauséabondes » par des gens qui semblent rudement bien s’y connaître.
Il est misogyne ? Si c’est vrai, c’est triste pour lui. En général, les misogynes – les vrais – sont soit des brutes décérébrées – ce qui ne semble pas être le diagnostic idoine dans le cas qui nous occupe – soit de parfaits trouillards, que la simple vue d’un jupon pétrifie, et qui ne beuglent que pour se soustraire à la tyrannie du rosissement pudibond.
Il est raciste ? Peut-être que oui, peut-être que non, comme disent les Normands. En revanche, ce qui est sûr, c’est qu’il a été condamné. Début 2011, le tribunal correctionnel a relaxé le chroniqueur pour des faits de « diffamation raciale ». En revanche, il l’a reconnu coupable « d’incitation à la discrimination » pour des propos justifiant les contrôles au faciès et les discriminations à l’embauche.
C’est à ce moment précis qu’RTL aurait pu, en toute quiétude et en s’offrant même le luxe de la légitimité et de la cohérence, licencier son journaliste. Qu’il soit mis à la porte après avoir été jugé coupable par la justice aurait eu l’immense avantage d’apparaître logique. Certes, ç’aurait été une « double peine ». Et alors ? Avez-vous idée du nombre de professions dans lesquelles une condamnation judiciaire est systématiquement accompagnée d’une sanction disciplinaire ?
Se séparer de Zemmour avant, donc, pourquoi pas. Il y a un an et demi de cela, après le verdict d’un tribunal. En revanche, s’en séparer maintenant constitue, pour RTL, une erreur impardonnable.
C’est une erreur impardonnable parce que, quoiqu’ait pu dire la radio de son désir ancien de procéder à cette mise à l’écart, elle a tout de même attendu que la gauche arrive au pouvoir pour transformer son projet en (possible) décision.
C’est une erreur impardonnable parce que, faisant cela, RTL donne l’impression extrêmement désagréable que les médias sont aux ordres, quand ils devraient être avant tout un contre-pouvoir. Daniel Schneidermann a raison lorsqu’il note : « Zemmour, sous Sarkozy, ne dérangeait pas RTL. Zemmour, sous Hollande, dérange RTL (…) même une radio privée, filiale d’un groupe étranger, largement indépendante de l’Etat, se sent obligée de s’aligner sur un certain air du temps, dont le changement de majorité politique est une composante ».
C’est une erreur impardonnable parce que tout le monde retiendra que Zemmour a été débarqué immédiatement après sa chronique à charge contre Christiane Taubira. De quoi faire planer un doute qui n’est pas prêt de se dissiper. Même si, comme c’est probable, aucun ordre n’a été donné ni depuis l’Elysée, ni depuis la place Vendôme, il sera difficile d’ôter ce scenario de l’esprit du public. On n’aurait pas fait mieux si l’on avait voulu accréditer les thèses de ceux qui ont crié au retour du bolchevisme au soir du 6 mai. Ils vont pouvoir poursuivre sur leur lancée en hurlant à la « purge stalinienne ».
C’est une erreur enfin pour les heureux détenteurs d’une « âme immaculée », amateur de ces ablutions purificatrices d’un genre très particulier qui consistent à traiter de « fachos » tous ceux qui leur déplaisent. Ils viennent de réussir avec talent à buter contre leur camp, en donnant les moyens à un chroniqueur de droite « bagareuse » de se constituer en martyr de la liberté d’expression.
Epargnons-nous, en guise de conclusion, à la fameuse citation attribuée à tort à Voltaire et qui sert de boussole à tous les amoureux de la libre parole. Observons simplement que, si Zemmour quitte effectivement RTL, ce dernier aura disparu de France2 (On n’est pas couché) et de cette radio en à peine un an. Certes, il lui reste iTélé, qui a d’ailleurs l’habileté de le confronter à un contradicteur (Nicolas Domenach).
Pour autant, force est d’en convenir : jusque là, nous avions peu de raisons de croire qu’RTL fut une radio pluraliste. Aujourd’hui, nous avons toute les raisons de croire qu’RTL est une radio suiviste.
Coralie delaume