Publié le : 27 septembre 2012
Source : agoravox.fr
Jonathan Moadab, journaliste indépendant, a été victime le 13 septembre dernier d’une attaque revendiquée par la Ligue de Défense Juive. Une bombe artisanale a explosé sous son véhicule, et des menaces de mort ont été proférées contre lui, et sa famille.
Un juif agressé par la Ligue de Défense Juive, donc d’autres juifs ? Oui oui, vous avez bien lu. Je vais en ces lignes exposer ce qui a mené aux faits qui m’ont touché le jeudi 13 septembre 2012, puis effectuer une analyse de cette attaque.
Retour dur les faits
Le début du contentieux démarre avec l’affaire Oberlin. Christophe Oberlin est un professeur d’Université à Paris VII, spécialisé en médecine humanitaire. C’est parce qu’il a posé une question à propos de Gaza que j’ai été amené, avec mon ami et binôme Raphaël « JahRaph » Berland, à le rencontrer. Nous cherchions à comprendre pourquoi une simple question d’examen avait déclenché un tel torrent de calomnies à son égard. Après avoir effectué une interview d’une trentaine de minutes, je la mettais en ligne adjointe d’une analyse détaillée de la situation, ainsi que d’une déconstruction méthodique des attaques publiques dont il était victime (voir l’article : Christophe Oberlin : nouvelle victime du lobby sioniste de France).
C’est à ce moment que plusieurs organisations communautaires juives se sont mises à nous calomnier. Tout d’abord, JCall s’est fendue, par le biais de la plume de l’ancien directeur de l’Arche Meir Waintrater (aujourd’hui remercié), d’un article diffamatoire à notre égard, nous qualifiant notamment de « rouges-brun-pro Assad-antisionistes-identitaires ». Voir ici
Ensuite, Jean-Marc Moskowicz, Président de l’association ultra-sioniste Europe-Israël, m’invitait dans les commentaires de l’article à effectuer une contre-interview : « Jonathan l’antisioniste/antisémite primaire, toute l’équipe d’Europe Israël vous attend dimanche 24 juin à 15 h devant l’UNESCO pour nous interviewer sur le cas Oberlin. Venez nous vous attendons impatiemment. Jean-Marc ». Pris par des obligations familiales, je n’ai pas pu m’y rendre. Ce sont donc d’autres membres du Cercle des Volontaires qui s’y rendront, après avoir couvert une manifestation en solidarité avec le Printemps Érable (Voir 24 juin, journée du Québec libre !). Arrivés sur place, ils voient leur entretien reporté d’une heure par M. Moscowitz qui affirme avoir d’autres choses à faire avant. Lorsque les journalistes du Cercle reviennent une heure plus tard, les manifestants les plus âgés avaient quitté l’UNESCO pour ne laisser place qu’à quelques dizaines de jeunes de la Ligue de Défense Juive. L’interview se fera quand même… Mais ne sera jamais publiée.
Intimidations, insultes, menaces de mort… Les jeunes de la LDJ font monter la pression. Alors que les cinq membres du CdV s’éloignaient et quittaient les lieux, JahRaph, qui avait mené l’interview, reçoit deux coups dans la mâchoire. Les victimes, après une nuit de débats intenses, décident collégialement de ne pas porter plainte. La raison majeure étant qu’elles ne souhaitaient passer du temps et de l’énergie contre la LDJ ; elles préféraient le consacrer à autre chose, et notamment le métier de journaliste.
Seule une main courante sera déposée pour prendre acte de ce qu’il s’était passé. Le Cercle ne communiquera pas sur ce sujet, mis à part au travers d’un article d’Oscar : A propos de l’entretien avec M. Jean-Marc Moskowicz, Président de l’association Europe-Israël, qui, contre sa volonté et pour respecter la volonté du groupe, n’abordera que très peu l’altercation. L’heure était donc à l’apaisement, même si le chef de la LDJ (que l’on peut voir s’entrainer avec son Glock 19 dans le dernier Enquête Exclusive, mais aussi conter son expérience de la guerre au Liban lorsqu’il servait dans Tsahal) avait émis le souhait de me retrouver, et de « s’occuper » de moi.
Deux jours plus tard, alors que j’étais revenu à mon domicile familial pour fêter la naissance de mon neveu, je reçois un coup de fil anonyme qui se solde par un « Am Israel Haï ». Ce slogan, qui signifie littéralement « le peuple d’Israël vivra », ne concernait pour mes agresseurs que l’Etat d’Israël et les juifs sionistes, et non les juifs, comme ce qui suit peut en attester.
1h30 plus tard, j’entends une détonation venant de mon parking. Une bombe artisanale (constituée d’une bouteille de plastique, de liquide inflammable, d’acide et d’aluminium) vient d’exploser sous ma voiture. Plus de bruit que de mal, l’engin explosif avait valeur d’avertissement, ainsi qu’en attestent les tags effectués sur les panneaux situés sur la cloture : « Ligue de Défense Juive – Fais attention à toi avec ton Cercle des Volontaires ». Mon pare-brise arrière et mon rétroviseur ont eux aussi été tagués « LDJ », adjoint d’un symbole de la culture juive et d’Israël : la maguen david. Une demie-heure plus tard, lorsque les gendarmes seront sur place, se seront eux qui auront la joie et le bonheur d’entendre les menaces de mort qui m’étaient adressées par téléphone, ainsi qu’à ma famille. Quelques jours plus tard, après un formidable travail de la gendarmerie, deux jeunes de 17 et 20 ans sont interpellés, ainsi qu’un troisième plus âgé ayant, selon toute vraisemblance, supervisé l’opération.
Analyse
J’éprouve une sorte de peine pour mes agresseurs. Sans connaître la trajectoire sociologique de ces deux jeunes juifs (17 et 20 ans), il m’est aisé de comprendre que seul un endoctrinement idéologique a pu les pousser à commettre un acte aussi déraisonné. S’abaisser à user de ce genre de méthodes pour limiter la liberté d’expression dans la République, au nom de la Torah et d’Israël, est une véritable capitulation intellectuelle. Incapables de débattre des idées que je défend, ils préfèrent employer la force pour arriver à leurs fins. Le sentiment d’impunité qui les habite est notamment dû à la protection de cette organisation au niveau politico-médiatico-judiciaire. On minimise l’impact et l’importance de cette faction dans l’opinion, on classe des dossiers ou on prononce des peines clémentes à l’égard de ses membres, on cache les enjeux de ces débats… Voilà quelques éléments qui expliquent que la LDJ fasse preuve d’autant d’audace et d’impudence dans ses actions. La protection communautaire juive (dont le CRIF, dont le Président Richard Prasquier a récemment déclaré à Politis – dans un courageux article consacré au groupuscule sioniste – : « Le choix de la dissolution ne me paraît pas être un sujet d’une grande urgence. Je ne pense pas que la LDJ ait été accusée de méfaits graves. J’en n’en sais d’ailleurs pas grand-chose. ») est évidente et rend encore plus difficile le traitement de ce sujet par les journalistes. S’attaquer à la Ligue de Défense Juive, c’est s’attaquer à ceux qui s’affichent sionistes, et donc majoritairement à des juifs. C’est pourquoi lorsque certaines attaques de la LDJ sont médiatisées, seuls les faits sont traités. Il n’est jamais question du fond idéologique, bien trop complexe et sulfureux.
D’ailleurs, concernant mon affaire, si une première dépêche AFP avait fait mention de mon appartenance religieuse, cette caractéristique éclairante des paradoxes de la Ligue de Défense Juive a ensuite disparue des articles qui ont suivi pour me qualifier de « pro-palestinien ». S’il peut apparaître « logique » (mais aussi critiquable) pour un pro-palestinien d’avoir des ennuis avec cette faction, insister sur le fait que l’agressé soit juif pourrait rendre confus le discours habituel concernant les juifs de France et leur « soutien inconditionnel » supposé à Israël. Or, et ainsi que j’ai pu le montrer dans plusieurs documents, dont cette vidéo retraçant les agressions d’Olivia Zémor et Jacob Cohen (tous deux juifs), il existe une politique d’épuration intellectuelle menée contre les membres juifs de ce que nous pourrions appeler la dissidence. Insister sur le fait que, parmi les juifs, il existe des individus opposés à la politique du gouvernement israélien, voir même du concept d’une souveraineté nationale juive en Palestine, remet en question la représentativité des organisations qui disent parler au nom des juifs, et qui prennent systématiquement le parti d’Israël au nom du judaïsme, ou de l’identité juive.
Est-ce parce que je ne partage pas leurs convictions politiques, que cela fait de moi un « juif indigne », ou un juif traître ? Le fait qu’ils se soient sentis obligés de dessiner des symboles juifs sur ma voiture démontre bien que pour ces gens, l’identité juive est indissociable de l’allégeance à Israël. Et bien, s’il fût un temps où j’adhérais à ce postulat (dans mon enfance et mon adolescence), les discussions, débats et lectures que j’ai effectué à l’âge adulte m’ont mené vers d’autres conclusions. J’ai parfaitement le droit (conformément à la loi française et aux principes universels des Droits de l’Homme) d’expliquer celles-ci et de les promouvoir au travers d’articles, d’interviews, ou de reportages. Mais la Ligue de Défense Juive, et ceux qui la supporte, cherchent à annihiler ce droit au nom de l’Etat juif et de l’identité juive. En effet, le soutien de la « diaspora » à Israël est indispensable à sa légitimation.
En cette fin de Yom Kippour, c’est avant tout un message d’apaisement que j’envoie au travers de cet article. Je n’ai rien de personnel contre les membres de la LDJ (qui se sont pourtant déclarés mes ennemis), ni contre les juifs sionistes. Je ne les combat pas eux, je combat simplement leurs idées, que j’estime dangereuses à plus d’un titre… L’existence d’une contradiction crédible dans le débat public n’est-elle pas indispensable au caractère démocratique d’une société ? Il semble que la France s’éloigne de plus en plus de celui-ci…
Jonathan Moadab
Vous êtes journaliste et vous avez le courage ou les moyens de traiter ce sujet ? Contactez moi à : jonathan@cercledesvolontaires.fr