Publié le : 1er décembre 2014
Source : espritcorsaire.com
Les dernières déclarations officielles françaises, à propos du siège d’Alep, affirment que la deuxième ville de Syrie est victime à la fois de l’organisation s’étant proclamée « État islamique » (Dae’ch) et de l’armée gouvernementale syrienne – « les deux faces d’un même processus ». Élucubrations ! Ces affirmations relèvent d’une posture idéologique qui ne correspond ni aux réalités du terrain, ni à la vérité historique, ni à ses facteurs politiques et diplomatiques.
Que les autorités syriennes aient cherché à jouer telle ou telle faction islamiste contre telle autre est une chose, que les appareils d’État du parti Baas syrien aient créé Dae’ch de toutes pièces – comme le répètent en chœur plusieurs « experts » français depuis plusieurs mois – en est une autre…
Soyons sérieux ! En réalité d’où vient Dae’ch ? Plusieurs raisons expliquent l’apparition de cet acteur d’un nouveau type. Structurellement, la première des causes de son émergence est la guerre anglo-américaine d’Irak en 2003, et la destruction de l’armée et de l’État irakiens. Ensuite, l’instauration d’un système politique basé sur un système de représentations communautaires, et la mise en œuvre de politiques de discrimination et de marginalisation des irakiens sunnites, ont favorisé le contexte propice à la naissance de Dae’ch.
Il est vrai qu’entre 2007 et 2010, la stratégie « contre-insurrectionnelle » mise en œuvre et théorisée par le général américain David Petraeus a eu quelques résultats, aboutissant notamment à la défaite d’Al-Qaïda dans la zone dite du « triangle sunnite », après qu’une armée de 90 000 hommes d’origine locale eut été engagée. La majorité des sunnites arabes irakiens, bien qu’opposée à l’occupation américaine, était excédée par les pratiques et la volonté hégémonique d’Al-Qaïda. Fin 2011, après le départ des troupes américaines, ces 90 000 hommes n’ont jamais été intégrés dans l’armée irakienne de Nouri al-Maliki.
Un autre facteur conjoncturel a joué le rôle de catalyseur : l’éclatement de la crise syrienne. La volonté de la coalition opposée au gouvernement de Damas de faire feu de tout bois en permettant aux djihadistes du monde entier de venir se battre en Syrie a ouvert une véritable boîte de Pandore. Le Qatar, l’Arabie Saoudite et les Émirats – aujourd’hui dans la coalition internationale contre Dae’ch – ont largement accordé leurs facilités financières et aides logistiques, avec la bienveillance des États-Unis, de la Grande-Bretagne, de l’Allemagne et de la France. Dae’ch profitera largement de ces soutiens pour se redéployer en Syrie et se lancer à la reconquête d’une partie de l’Irak, avec l’appui déterminant des services spéciaux de l’armée turque, aujourd’hui également membre de la coalition anti-Dae’ch.
Nourri dans le cloaque syrien
L’organisation « État islamique » a commencé par vendre ses services pour combattre Bachar al-Assad en Syrie, en créant le Front al-Nosra. Le noyau dur de cette organisation est composée d’activistes d’Al-Qaïda en Irak, avec à leur tête Abou Mohammad al-Julani. Celui-ci a été envoyé par son chef – Aboubakar Baghdadi – pour combattre l’armée gouvernementale syrienne et prendre pied en Syrie, notamment dans les zones proches de la frontière irakienne, afin que ces implantations puissent servir de base arrière à une offensive plus large visant à la reconquête de l’Irak.
Lorsqu’Al-Julani a décidé de changer d’agenda et d’accorder sa priorité au renversement d’Al-Assad, Al-Baghdadi a rompu avec lui et décidé de créer l’organisation « État islamique en Irak et en Syrie ». À partir de l’Est syrien, ce nouvel acteur a pu ainsi se lancer dans la conquête d’une bonne partie de l’Ouest et du Nord Irakien… Dans un premier temps, en tout cas jusqu’à la proclamation du Califat, le 29 juin 2014, cette évolution a été appuyée par l’ensemble des pays occidentaux et la Turquie.
En définitive, ce n’est que lorsque les fêlés de Dae’ch ont commencé à décapiter des Occidentaux et menacer les monarchies pétrolières que Washington, Londres et Paris ont commencé à réagir. Trop tard. D’autant que la cinquantaine d’États membres de la coalition internationale anti-Dae’ch nourrit des objectifs très différents, sinon parfaitement contradictoires.
Dans ce contexte composite et volatil, les néo-conservateurs français multiplient les déclarations irresponsables et contradictoires, appuyant, par exemple, la droite libanaise (la Coalition du 14 mars) dont certains des ténors sunnites ne cachent pas leurs sympathies pour Dae’ch… Leur obsession visant toujours la chute de Bachar al-Assad, ils continuent à s’opposer à toute candidature à la présidence libanaise – vacante depuis 200 jours – ayant, peu ou prou, l’aval de Damas : le général Michel Aoun ou son allié Sleiman Frangieh qui pourrait être un recours tout à fait honorable. Ce dernier constituerait, en effet, la meilleure défense de l’intégrité territoriale et politique d’un Liban très fragilisé par les combattants de Dae’ch et d’Al-Nosra.
Au Liban, comme dans l’ensemble des Proche et Moyen-Orient, cette diplomatie de guingois est parfaitement illisible. Pire, elle est en passe de ruiner les derniers intérêts de notre pays dans une région où, pourtant, la mémoire de la France du général de Gaulle conservait et dotait notre pays de toute sa crédibilité, son prestige et son attraction. Revenue dans le sillage des États-Unis et d’Israël, la France est aujourd’hui non seulement inaudible, mais ses gesticulations diplomatiques s’avèrent parfaitement inutiles. Quel gâchis !
Richard Labévière