Publié le : 14 avril 2015
Source : lefigaro.fr
L’allemande Annegret Raunigk a annoncé être enceinte de quadruplés à 65 ans, grâce à de multiples inséminations artificielles. Pour Adeline le Gouvello (avocate à la cour), limiter les dérives en matière de PMA nécessite que les juges appliquent la loi existante.
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À 65 ans, l’allemande Annegret Raunigk défraie à nouveau la chronique en annonçant être enceinte de quadruplés. La sexagénaire a annoncé avoir eu recours à de multiples inséminations artificielles depuis un an et demi. Ces pratiques sont-elles légales?
La réglementation en matière de procréation médicalement assistée varie d’un pays à l’autre. En Allemagne, la Procréation Médicalement Assistée est encadrée.
Une telle situation pourrait-elle se produire en France?
Malheureusement oui, et elle se produit régulièrement. En France, la PMA n’est autorisée que pour un couple, composé d’un homme et d’une femme, vivants, en âge de procréer. Le but est de rendre la conception et la filiation des enfants les plus cohérentes possibles.
Lorsque des personnes ont recours à une insémination artificielle en dehors de ces conditions légales, le code pénal prévoit de l’emprisonnement et une amende. Il est ainsi certain que Mme Raunigk, âgée de 65 ans, n’aurait pu obtenir de telles inséminations sur le territoire français.
Cependant, des femmes qui ne sont plus en âge d’avoir des enfants et qui veulent contraindre la nature (ou la technique) à leur en donner sont également présentes en France et font exactement ce qu’a fait Mme Raunigk : elles se rendent en Espagne ou Belgique et obtiennent ailleurs ce qu’elles n’ont pu obtenir chez elles. Les situations qui en résultent sont très préoccupantes.
Annegret Raunik a expliqué avoir voulu faire plaisir à sa benjamine de neuf ans qui réclamait un petit frère ou une petite sœur. Une grossesse tardive est pourtant à très hauts risques. Comment éviter ce type de conduite, jugé par beaucoup irresponsable ? Faudrait-il un meilleur encadrement juridique?
La loi est faite pour apporter des limites raisonnées à des situations où l’émotion et, par là même, la déraison domineraient sur le reste. Le désir d’enfant à tout prix (que ce soit pour faire plaisir à sa benjamine ou pour satisfaire son propre désir d’enfant) doit être limité par la loi, dans l’intérêt des enfants et de la société toute entière.
Toutefois, avant même de renforcer le cadre législatif, il conviendrait que les juges fassent application de la loi déjà existante.
Ainsi, les juges français n’ont pas montré le bon exemple : alors que le Conseil Constitutionnel en mai 2013 avait rappelé qu’il appartiendrait aux juridictions compétentes « de priver d’effet et, le cas échéant de réprimer » les fraudes à la loi française en matière de PMA, la Cour de Cassation, par un simple avis, en septembre 2014, a indiqué que le recours à la PMA à l’étranger, en fraude à la loi française, ne pose aucune difficulté. Elle lui a même donné des effets juridiques en autorisant la conjointe d’une femme inséminée à l’étranger à adopter l’enfant qui a été conçu en fraude à la loi française.
Pourtant, outre les effets civils qui ne devraient pas être donnés à de telles situations, le droit pénal pourrait aussi être mis à contribution. En vertu de la théorie générale du droit pénal, si des éléments constitutifs de l’infraction sont commis sur le territoire français (tels qu’un virement bancaire, des échanges de correspondance, signature d’un contrat), le droit pénal français pourrait être appliqué.
Ainsi, on aura beau se doter d’un appareil législatif renforcé, l’expérience démontre que si les juges décident de considérer, à leur gré, que la fraude à ces règles n’a pas d’importance, cela n’aura aucune efficacité. Les juges ont ici une grave et lourde responsabilité.
Le principe même de la PMA doit-il être remis en cause?
Il est certain que des éléments, considérés comme acquis en France, sont en réalité une aberration. Ainsi, la PMA avec tiers donneur anonyme constitue une grave injustice à l’égard de l’enfant. Il est hypocrite de considérer que le lien biologique n’a pas d’importance. Aucun adulte n’accepterait qu’on lui substitue un autre enfant à son véritable enfant. Or, avec un tiers donneur anonyme, on substitue le véritable père d’un enfant par un autre et on lui interdit de le connaître. Cette pratique est totalement contraire à la convention internationale des droits de l’enfant qui garantit à ce dernier le droit de connaître son père et sa mère et, sauf accident, d’être éduqué par eux. Des actions judiciaires ont déjà eu lieu en France : certains enfants essaient de remonter vers leur père, de connaître leur identité.
Il est certain que ces actions ne sont que les prémices d’un mouvement qui sera très large : ces enfants engageront la responsabilité de tous les acteurs ayant contribué à trafiquer leur filiation et leurs origines. Le préjudice qu’ils ont subi est irréparable.
entretien mené par Anne-Laure Debaeker