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Vers un monde multipolaire ? Dilma Rousseff (Brésil) lors du débat 2015 de l’Assemblée générale de l’ONU (septembre 2015)

16 octobre 20150
Vers un monde multipolaire ? Dilma Rousseff (Brésil) lors du débat 2015 de l’Assemblée générale de l’ONU (septembre 2015) 5.00/5 2 votes

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Allocution de S.E. Mme Dilma Rousseff, Président de la République fédérative du Brésil, lors du Débat général de la 70e session de l’Assemblée générale de l’ONU

C’est un privilège que de prendre la parole cette année devant l’assemblée générale, alors que les Nations Unies célèbrent leur 70ème anniversaire. Mes premiers mots, Monsieur le Président, seront des mots visant à vous féliciter pour votre nomination à la présidence de cette assemblée, et je voudrais redire que le Brésil s’efforcera d’appuyer vos efforts afin d’adopter des mesures visant à renforcer les activités de l’organisation en faveur du développement.

Soixante-dix années se sont écoulées depuis la conférence de San Francisco. A cette occasion, la communauté internationale s’était efforcée d’œuvrer en faveur d’un monde basé sur le droit international, un monde fondé sur le règlement pacifique des conflits. Depuis lors, nous avons connu  des progrès, mais nous avons aussi connu des revers. Le processus de décolonisation a évolué de façon remarquable comme nous pouvons le voir de par la composition même de cette assemblée. Depuis, les Nations Unies ont étendu leurs initiatives incluant notamment le programme pour le développement à l’horizon 2030 et les objectifs de développement durable, en d’autres termes pour y inclure des thèmes comme l’environnement, l’élimination de la pauvreté, le développement social et l’accès à des services de qualité. Des thèmes tels que les difficultés de l’urbanisation, les femmes, les enfants et les questions raciales sont devenues une priorité. Cependant, l’organisation n’a pas connu les mêmes succès pour ce qui est de la sécurité collective, thème présent à l’origine de notre organisation qui reste également au cœur de ses priorités.

La prolifération des conflits régionaux au potentiel très destructeur ainsi que la propagation du terrorisme qui tue femmes, enfants, hommes, qui détruit notre patrimoine commun et qui cause le déplacement de millions de gens hors de leur communauté, démontre que les Nations Unies ont à présent un défi de taille à relever. On ne peut rester inactif devant les actes barbares commis par ceux qui s’appellent l’Etat Islamique et autres groupes associés. Dans une grande mesure, cette situation explique la crise des réfugiés à laquelle l’humanité est confrontée à présent. Une grande partie des hommes, des femmes, des enfants qui entament le voyage périlleux par-delà les eaux de la méditerranée et qui arpentent péniblement les routes d’Europe viennent précisément du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord. Ils viennent de pays dans lesquels les institutions de l’Etat ont été déstabilisées par des actions militaires contraires au droit international ouvrant par là même une brèche à la prolifération du terrorisme. Un sentiment d’indignation profonde a été causé par la photo d’un petit garçon Syrien mort sur les plages de Turquie et par la nouvelle que soixante et onze personnes étaient mortes étouffées dans un camion en Autriche. Cette indignation doit à présent se transformer en acte de solidarité. Dans un monde dans lequel les marchandises, les capitaux, les données et les idées circulent librement, il serait absurde d’empêcher la libre circulation des personnes. Le Brésil est un pays d’accueil, un pays qui au final est formé de réfugiés. Nous avons accueilli des hommes, des femmes du monde entier. Depuis plus d’un siècle nous avons offert notre accueil à des millions de personnes, nous accueillons les réfugiés à bras ouverts, nous sommes une nation multi-ethnique dans laquelle les différences coexistent et nous connaissons l’importance de la différence qui au final nous rend plus diversifiés, plus riches au niveau social et au niveau culturel ainsi qu’au niveau économique.

Monsieur le Président, la toile de fond bien sombre que je viens de décrire implique que nous réfléchissions quant à l’avenir de notre organisation et que nous agissions de façon décisive et rapide. Nous avons besoin d’une organisation des Nations Unies à même de promouvoir la paix internationale durable, une organisation à même de réagir efficacement et rapidement à toutes les situations de crise régionale, et de réagir contre tout acte commis contre l’humanité. On ne peut par exemple plus retarder la création d’un état palestinien qui coexisterait dans la paix et l’harmonie avec Israël. De même, nous ne pouvons plus tolérer les activités d’élargissement de peuplement dans les territoires occupés, cela n’est pas acceptable.

Afin de donner aux Nations Unies le rôle central qui leur revient, il est absolument essentiel de procéder à une réforme en profondeur de cette structure. Le Conseil de Sécurité doit être élargi aussi bien dans la catégorie permanent que non permanent afin d’en faire un Conseil plus représentatif, plus légitime et plus efficace. La majorité des états membres ne souhaitent pas que l’on retarde indéfiniment une décision à ce sujet et nous espérons donc que la session que nous entamons aujourd’hui entrera dans l’Histoire en tant que tournant dans le destin des Nations Unies. Nous espérons que cette session nous donnera des résultats concrets dans le long processus, resté sans résultat jusqu’à présent, de réforme de l’organisation.

Notre région où règnent la démocratie et la paix, se félicite de la reprise des relations diplomatiques entre Cuba et les Etats-Unis, événement qui met fin à un différend datant de la guerre froide. Nous espérons que ce processus s’achèvera par la levée de l’embargo contre Cuba. Nous nous félicitons également de l’accord obtenu récemment avec l’Iran qui permettra à ce pays de développer une énergie nucléaire à des fins pacifiques et rendra à toute la région l’espoir de la paix. Avec les pays du BRICS nous avons lancé une nouvelle banque du développement qui permettra l’intensification des activités économiques et des investissements, et nous permettra d’atteindre les objectifs de développement durable.

Monsieur le Président, le programme de développement à l’horizon 2030 décrit l’avenir que nous voulons. Les dix-sept objectifs de développement durable réaffirment les principes de base de la conférence RIO + 20, et réaffirment qu’il est possible de connaitre la croissance tout en assurant l’inclusion en préservant et en protégeant. Ces objectifs s’accompagnent d’objectifs universels, insistent sur la nécessité de coopération entre les peuples et nous ouvrent la voie commune pour l’humanité. Il s’agit d’un programme de développement qui nécessite une solidarité mondiale, la détermination de tout un chacun et un engagement à lutter contre le réchauffement climatique, à surmonter la pauvreté extrême tout en créant des opportunités et des chances pour tous. A Paris, en décembre, nous devrons faire en sorte de renforcer la convention pour le climat en s’assurant d’appliquer ces dispositions et de respecter ces principes. Les engagements endossés à Paris devront être ambitieux et devront inclure un appui financier et technologique aux pays en développement et aux petits états insulaires, conformément aux principes de responsabilité commune mais différenciée.

Le Brésil déploie des efforts de taille pour réduire les émissions de gaz à effets de serre sans pour autant porter atteinte à notre développement. Nous continuons  à diversifier les sources renouvelables dans notre bouquet énergétique, l’un des bouquets les plus propres du monde. Nous investissons également dans une agriculture à faible émission de carbone, nous avons réduit la déforestation dans la région de l’Amazonie de 82%, c’est un sentiment d’ambition qui continuera de nous guider dans nos actions. J’ai annoncé hier ici même aux Nations Unies notre contribution prévue déterminée au niveau national. La contribution du Brésil sera de réduire de 43% ses émissions de gaz à effets de serre d’ici 2030 par rapport à l’année de référence de 2005. Au cours de cette même période, le Brésil a l’intention de mettre fin à la déforestation illégale, de reboiser douze millions d’hectares, de récupérer quinze millions d’hectares de pâturages et d’intégrer cinq millions d’hectares de terres pour les forêts et les cultures. Dans un monde dans lequel la part des énergies renouvelables n’est que de 13% dans le bouquet énergétique total, nous avons l’intention pour notre part d’assurer une proportion de 45% des sources renouvelables dans notre fourniture énergétique, et nous visons d’atteindre 66% d’énergie hydraulique dans la production d’électricité et une part de 23% de sources renouvelables – biomasse, énergie solaire, éoliennes – dans notre production électrique. Il s’agit également d’une augmentation de 10% du taux d’efficacité électrique et une proportion de 16% de carburant éthanol et autres sources énergétiques issues du sucre de canne dans notre bouquet énergétique. Le Brésil sera ainsi en mesure de contribuer aux efforts mondiaux afin de respecter les recommandations du GIEC qui a fixé une limite de deux degrés maximum de réchauffement pour ce siècle. Le Brésil  est l’un des rares pays en développement à s’engager vers des objectifs aussi absolus en termes de réduction des émissions. Notre contribution prévue au niveau national contribuera à préserver l’environnement et réduira les risques liés aux effets négatifs du changement climatique pour les plus pauvres et les plus vulnérables. Nous mettrons également l’accent sur les droits des travailleurs, les questions liées aux femmes, les populations autochtones, les anciennes populations d’esclaves et les communautés traditionnelles. Nous reconnaissons l’importance de la coopération sud-sud dans les efforts mondiaux pour lutter contre les changements climatiques

Je voudrais insister sur le fait que, depuis 2003, des politiques sociales ainsi que des transferts monétaires assortis de conditions qui ont été mis en place ont permis de sortir de la pauvreté extrême trente-six millions de Brésiliens.

L’année dernière, le Brésil a été enlevé de la carte du monde dressée en fonction de la faim, ce qui témoigne de l’efficacité de notre politique « Faim zéro ». Dans cette transition vers une économie à faible émission de carbone, nous pensons qu’il est important d’assurer des conditions de travail dignes, justes et sûres pour les travailleurs. Le développement durable impliquera de promouvoir le travail des uns et la création d’emplois de qualité pour tous. Les efforts visant à éliminer la pauvreté et à promouvoir le développement doivent être des efforts collectifs mondiaux. Dans mon pays, nous savons parfaitement que mettre fin à la pauvreté extrême n’est que le début d’un long voyage.

Monsieur le Président, depuis six ans, nous nous sommes efforcés de contrer l’impact de la crise mondiale qui a touché le monde développé et nous avons essayé d’empêcher que cette crise ne déstabilise notre économie, notre société. Nous avons adopté un ensemble de mesures – diminution des taxes, élargissement du crédit, renforcement des investissements – et nous avons accru également les salaires au cours de cette période. Cependant, pour diverses raisons, budgétaires et autres, ainsi que pour des raisons extérieures, ces efforts ont été entravés, et la relance lente au niveau mondial a également eu un impact sur notre croissance. La dévaluation des devises, les pressions liées à la récession ont mené à une inflation et à une réduction des recettes fiscales menant à une diminution des financements publics. Cependant, étant donné la situation actuelle, nous sommes en train de rééquilibrer notre budget et nous avons décidé de procéder à une réduction des dépenses publiques et de certains investissements. Nous avons également aligné les prix, nous sommes en train d’adopter des mesures de réduction permanente des dépenses, réductions drastiques des dépenses, autant d’initiatives qui visent à réorganiser notre situation budgétaire et diminuer l’inflation afin de conférer une stabilité macro-économique au pays, accroitre la confiance dans notre économie et permettre une reprise de la croissance économique en permettant une redistribution des revenus.

L’économie brésilienne est aujourd’hui plus forte, plus solide, plus résistante qu’il y a quelques années et nous sommes à présent capables de surmonter les écueils et d’avancer dans la voie du développement. Nous sommes à une phase de transition pour passer à un nouveau cycle d’expansion économique plus durable, plus solide, plus profond. Outre ces mesures fiscales et financières, et adaptées à l’exportation, nous avons adopté d’autres mesures, notamment dans les investissements d’infrastructures et d’énergie. Le processus d’inclusion sociale au Brésil n’a pas été interrompu pour autant. Nous espérons que le contrôle de l’inflation et la reprise de la croissance économique et du crédit contribueront par la suite à accroitre la consommation des ménages. Il s’agit d’autant de fondements d’un nouveau développement qui se basera sur une productivité accrue et sur des possibilités d’investissement accrues pour les entreprises menant également à la création d’emplois pour nos citoyens.

Mesdames et Messieurs, au fil des ans, ces diverses réalisations se sont accompagnées d’une conciliation de notre démocratie. Grâce à un système juridique efficace et grâce aux forces de nos institutions démocratiques, le fonctionnement de notre état a été bien surveillé de façon impartiale par le pouvoir judiciaire et toutes les branches et institutions publiques afin de ne pas permettre la corruption et afin de mener les enquêtes et de punir en cas d’inconduite et de crime. La démocratie brésilienne est devenue plus forte lorsque les autorités reconnaissent les limites imposées par la loi. Les Brésiliens veulent un pays dans lequel la loi représente la limite, et nombreux sont ceux qui se sont battus précisément pour cela, lorsque les droits et les lois étaient violés par la dictature militaire. Nous voulons un pays dans lequel les dirigeants se comportent scrupuleusement conformément à leurs obligations sans abus, un pays dans lequel les juges peuvent juger en toute liberté et impartialité sans aucune pression, sans aucune passion politique, sans compromettre la présomption d’innocence de tout citoyen. Nous voulons un pays dans lequel les échanges d’idées ont lieu de façon civilisée et avec respect, nous voulons un pays dans lequel la liberté de la presse est la pierre angulaire de la liberté d’expression, un droit pour tous les Brésiliens. Des sanctions au titre de la loi s’appliqueront à tous ceux qui commettent des actes illégaux en tenant compte de tous les principes de défense et de bonne procédure. Voilà quels sont les fondements de la démocratie, et je voudrais citer un de mes amis, ancien président de l’Uruguay, José Murica : « Cette démocratie n’est pas parfaite parce que nous ne sommes pas parfaits. Cependant, nous devons la défendre afin de l’améliorer et non pas de l’enterrer. »

Je voudrais réaffirmer que le Brésil s’efforcera d’avancer sur cette voie démocratique et n’abandonnera jamais les gains pour lesquels nous nous sommes si chèrement battus.

Mesdames et Messieurs, je voudrais saisir cette occasion pour réitérer que le Brésil est prêt à accueillir des citoyens du monde entier à bras ouverts pour les jeux olympiques et paralympiques qui auront lieu en 2016 à Rio de Janeiro. Nous serons heureux de vous accueillir, ce sera pour nous une chance unique de promouvoir le sport en tant qu’outil de paix, d’inclusion sociale et de tolérance dans notre lutte contre la discrimination ethnique, raciale, ou sexiste. Ce sera également pour nous la possibilité de faire valoir les droits et l’inclusion des personnes handicapées, ce qui est l’une des priorités de mon gouvernement.

En guise de conclusion, je voudrais dire qu’il y a quelques jours, ici même au siège des Nations Unies, la fresque murale « Guerre et Paix » a à nouveau été présentée au public, œuvre de Candido Portinari artiste Brésilien, œuvre qui avait été offerte à l’organisation en 1957. Il s’agit d’une œuvre d’art qui dénonce la violence et la pauvreté et qui exhorte les peuples du monde à faire preuve de tolérance et de compréhension. C’est un symbole qui représente la responsabilité des Nations Unies à promouvoir la paix et à empêcher les conflits armés, à promouvoir la justice sociale et éliminer la faim et la pauvreté. Portinari disait souvent qu’il ne peut y avoir de grande œuvre d’art à laquelle les individus ne puissent s’identifier. Il s’agit d’un message qui reste tout à fait valide dans ses fresques murales. Elles font référence non seulement aux victimes des guerres, mais également aux réfugiés qui risquent leur vie sur des embarcations fragiles. Ils représentent toutes ces personnes anonymes qui se tournent vers les Nations Unies pour en obtenir protection et bien être. Nous espérons que lorsque vous entrerez aux Nations Unies, lorsque vous verrez ces fresques murales, vous pourrez entendre les voix de ces peuples, les voix de ceux que nous représentons et que vous travaillerez dur pour répondre à leurs appels de paix et de progrès.

Après tout, il s’agit là précisément des idéaux qui étaient présents il y a soixante-dix ans lors de la création de l’organisation des Nations Unies qui est l’une des plus grandes réalisations de l’humanité.

Merci Monsieur le Président, merci à tous.

Dilma Rousseff

Posté par : Organisation des Nations Unies – ONU

28-09-2015

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