Publié le : 11 juin 2016
Source : info-palestine.eu
La haine des « Arabes » (les sionistes ne peuvent guère se résoudre à les appeler « Palestiniens ») s’exprime maintenant plus ouvertement que jamais auparavant, et est le fruit de décennies d’un racisme institutionnalisé et volontairement inculqué.
Israël est-il irrécupérable ? Devrions nous conclure, après sept décennies d’un comportement qui s’aggrave, que tant qu’il y a de la vie il y a de l’espoir – de la vie pour les sionistes et Israël bien sûr, et, dans les faits, aucun espoir pour la Palestine et les Palestiniens, du moins pour l’état d’Israël.
Le clivage binaire est manifeste en ce 68ième anniversaire de « l’indépendance » d’Israël. Tandis que les Israéliens faisaient la fête dans la rue et assistaient à un défilé militaire aérien, les Palestiniens de Cisjordanie faisaient l’objet de mesures de confinement. La guerre de 1948 n’était pas plus une guerre « d’indépendance » que la Déclaration Unilatérale d’Indépendance (UDI) du dirigeant de la minorité blanche en Rhodésie, Ian Smith, dans les années 1960 n’était une déclaration « d’indépendance ». Ce fut une guerre de conquête coloniale, d’une violence inégalée, pire même que l’invasion française de l’Algérie. Elle est à l’origine de la Nakba, prise de contrôle de la Palestine qui s’est poursuivie par étapes depuis lors.
La guerre de 1967 fut une autre guerre de conquête coloniale, fondée sur un mensonge, à savoir celui d’une attaque « préventive ». Nasser n’avait nullement l’intention d’attaquer Israël et les Israéliens ainsi que les Américains le savaient. Le vice président égyptien, Zakariya Muhi al Din, était en route pour Washington afin de négocier une fin pacifique à une crise qu’Israël avait générée par ses provocations militaires sur le front Syrien, violant la zone démilitarisée. Menacé non pas par la guerre mais par la paix, Israël attaqua avant qu’il n’arrive à Washington. Des propos faisant état d’une menace d’extermination et d’un « cercle d’acier » arabe étaient trompeurs et destinés aux Israéliens dans le but de les maintenir dans un état de préparation permanente à la prochaine guerre.
« … les actions de représailles constituent notre système lymphatique vital », faisait remarquer Moshe Dayan en 1955. « Par dessus tout, elles nous permettent de maintenir une forte tension au sein de la population et de l’armée. Sans ces actions nous aurions cessé d’être une nation combative, les colons quitteraient les colonies. … Il est nécessaire de convaincre nos jeunes qu’ils sont en danger. »
C’est le cas depuis la création de l’état d’Israël. Les juifs d’Israël doivent être maintenus sur les dents en permanence. Il faut qu’ils vivent dans la peur de quelqu’un ou quelque chose – les « Arabes », le Hezbollah, l’Iran, l’antisémitisme – pour que le sionisme puisse prédominer.
En 1967, une fois de plus, la « communauté internationale » ne fit rien lorsque des centaines de milliers de gens supplémentaires – cette fois aussi bien des Syriens que des Palestiniens – furent expulsés de leur patrie. Le monde est resté silencieux tandis qu’Israël rasait l’ancien quartier Magharibah au centre de Jérusalem pour y construire une « place » devant les murs du Haram al Sharif.
L’annexion de Jérusalem fut suivie de la colonisation de la Cisjordanie et en 1981, par l’annexion des Hauteurs du Golan occupées. La résistance palestinienne fut écrasée dans les territoires nouvellement occupés et au Liban. Des « incursions » au Liban furent suivies par des invasions à grande échelle en 1979 et 1982. La couverture télévisée en temps réel permit au monde entier de voir de ses propres yeux le vrai visage d’Israël derrière les clichés le présentant comme la seule démocratie du Moyen-Orient et son armée comme la plus morale au monde. Les bombardements de Beyrouth et les massacres de Sabra et Shatila, et encore plus ses brutalités au cours de la première et de la seconde Intifadas, ont dessillé des yeux auparavant favorables à la super colonie sioniste.
On se souviendra très probablement de la guerre de 1967 non seulement comme une guerre de conquête mais comme une guerre qui marqua le summum des prouesses militaires israéliennes (dans le contexte de la guerre conventionnelle). En 1973 les forces israéliennes étaient mises en déroute dans le Sinaï lorsque Sadate mit unilatéralement fin à la guerre. S’il n’avait pas trahi Assad les sionistes auraient pu être chassés d’Egypte et des Hauteurs du Golan. La trahison de Sadate et le rapide réapprovisionnement en armes et munitions par les Etats-Unis permirent à Israël d’opérer un retour, mais le mythe de son invincibilité avait finalement été révélé comme tel.
Pendant l’invasion terrestre du Liban en 1982 de petits contingents de guérilleros palestiniens et de soldats syriens ont à plusieurs reprises bloqué la progression sioniste. La logistique de la campagne terrestre était chaotique mais la folie meurtrière aérienne israélienne est restée sans opposition. Le bilan final approcha les 20 000 morts, dont l’immense majorité étaient des civils, écrasés ou enterrés vivants sous les décombres de leur immeuble et abattus dans la rue par des frappes de missiles et des tirs d’artillerie aveugles. Après d’être retirés de Beyrouth suite à l’atrocité de Sabra et Shatila, les sionistes se sont cramponnés au Sud-Liban et y seraient encore sans aucun doute si le Hezbollah ne les en avait chassés en 2000. C’était leur première réelle défaite depuis 1948 et elle leur a été infligée par une armée de guérilléros.
L’humiliation subie par Israël l’a laissé assoiffé de vengeance, cependant lorsqu’il tenta de détruire le Hezbollah en 2006, il fut à nouveau humilié. Ses forces terrestres se sont avérées incapables de progresser de plus de quelques kilomètres au-delà de la ligne d’armistice. Ses soldats se sont retrouvés piégés à plusieurs reprises et l’anéantissement ne leur a été épargné que grâce à la puissance aérienne. Ses chars Merkeva si prisés furent détruits et l’un de ses bâtiments de guerre paralysé par un missile mer-air du Hezbollah.
Ce qui rendit la défaite encore plus cuisante, c’est que ce furent les forces de réserve à temps-partiel du Hezbollah – en fait, de jeunes hommes qui prennent les armes lorsque nécessaire – qui ont fait barrage aux Israéliens en dépit du déséquilibre total de la puissance de feu et du nombre de combattants sur le terrain. L’essentiel des troupes professionnelles du Hezbollah sont restées au nord du fleuve Litani, c’est pourquoi après s’être pris une raclée pendant des semaines les sionistes n’ont pas osé le traverser.
Dans leur frustration les sionistes ont déchaîné leur puissance de feu aérienne. Ils ont tué 1 400 civils, dont environ 400 enfants, et beaucoup d’entre eux étaient des banlieues chiites au sud de Beyrouth, grâce aux avions et missiles fournis par les Etats-Unis. Des immeubles, des routes, des ponts et centrales électriques furent oblitérés au cours de ce qui devait devenir la « stratégie Dhaiya », du nom de la banlieue sud de Beyrouth où les avions de guerres israéliens ont infligé le plus de dégâts. La prochaine fois, ont menacé les généraux sionistes la « stratégie Dahiya » serait appliquée à tout le territoire libanais. Pour se préparer à cet événement apparemment inévitable le Hezbollah fait des stocks de missiles qui selon ses dires peuvent atteindre n’importe quelle zone de la Palestine occupée. Il sait, tout comme le sait son ennemi mortel, que si la puissance aérienne sioniste est jamais neutralisée l’état d’Israël aura de sérieux ennuis.
Ces guerres mettent en lumière quelques vérités sur la soi-disant « Force de Défense Israélienne ». Aucune de ses guerres n’a eu comme objectif la « défense » mais plutôt la conquête de nouvelles terres ou la « défense » de terres déjà volées. Israël « défend » ce qui ne lui appartient pas. Il « défend » son dénie des droits d’un autre peuple. Il a combattu des armées régulières en de très rares occasions. A Gaza, en Cisjordanie et au Liban la majorité de ses victimes n’étaient pas des combattants mais des civils. Loin d’être une armée vertueuse, elle a un lourd bilan de massacres les plus odieux de civils. Loin de condamner ces massacres – sauf exception comme celle de la manifestation de masse à Tel Aviv après les atrocités commises à Sabra et Shatila sous contrôle de l’IDF – un grand nombre de citoyens juifs d’Israël les approuvent. Pendant les nombreuses offensives israéliennes contre Gaza, les colonisateurs juifs de l’autre côté de la barrière se réjouissent et sautent de joie à chaque fois qu’un nouvel immeuble peuplé de familles est frappé par des missiles ou des tirs de chars.
La haine des « Arabes » (les sionistes ne peuvent guère se résoudre à les appeler « Palestiniens ») s’exprime maintenant plus ouvertement que jamais auparavant. On est arrivé au point où les civils participent à l’assassinat de Palestiniens – avoir même l’air d’un « terroriste » fut suffisant pour qu’un Erythréen fut battu à mort par des badauds à une gare routière. Ce qui a horrifié la mère du soldat qui a récemment assassiné un jeune Palestinien à Hébron, ce n’est pas que son fils chéri ait armé son fusil et mis négligemment une balle dans la tête d’un homme blessé alors qu’il gisait sur la route. Non, ce qui la préoccupait, c’est qu’il ait été arrêté. « Est-ce juste qu’un combattant qui neutralise un terroriste sur le lieu d’une attaque soit détenu presque un mois complet ? », s’est-elle plainte à Netanyahou. « Homicide, juste ciel, pour avoir neutralisé un terroriste ? Est-ce concevable qu’un combattant dévoué, moral soit accusé d’homicide pour avoir abattu un terroriste ? » Bien sûr, le « terroriste » avait déjà été « neutralisé » et le soldat n’aurait pas dû être inculpé pour homicide mais pour meurtre.
Les sondages montrent que près de 60 pour cent d’Israéliens juifs approuvent le meurtre du Palestinien. En d’autres termes, on pourrait dire que près de 60 pour cent des Israéliens juifs sont des sociopathes avérés. C’est pour cette raison que dernièrement un général israélien a fait un parallèle entre Israël et l’Allemagne du début des années 1930 : « Il est terrifiant de voir que des évolutions abominables qui se sont produites en Europe commencent à survenir ici ». A Tel Aviv des partisans du soldat qui a assassiné le Palestinien à Hébron ont tenu un rassemblement en défense du meurtrier, dansant, se drapant dans le drapeau israélien et soufflant dans une corne de bélier courbée connue sous le nom de shofar. L’homme politique et colon qui hait les Palestiniens, Avigdor Lieberman a déclaré : « je préfère un soldat qui fait une erreur et reste en vie à un soldat qui hésite et se fait assassiner par un terroriste » – une erreur, achever de sang froid un homme blessé d’une balle dans la tête ?
Ces sentiments meurtriers sont le fruit de décennies d’un racisme institutionnalisé et volontairement inculqué. On constate cette évolution négative, sondage après sondage de l’opinion publique. A la question les « Arabes » devraient-ils être transférés ou expulsés d’Israël (Pew Research Centre 2014/2015), 21 pour cent répondirent qu’ils y étaient fortement favorables, 27 pour cent qu’ils étaient globalement favorables. L’expulsion ou le transfert reçut l’approbation de 71 pour cent de la communauté religieuse. Ce sondage a été fait avant la vague récente d’attaques au couteau, il est donc fort probable que le nombre d’Israéliens juifs qui veulent l’expulsion des « arabes » soit maintenant sensiblement plus élevé. A la question habiteriez-vous dans le même immeuble que des « Arabes » (sondage Israel Channel Two avril 2015), 49 pour cent ont répondu par la négative (contre 42 pour cent qui n’y seraient pas opposés).
Selon un sondage d’octobre 2012 (Dialog) 59 pour cent d’Israéliens juifs pensent que les juifs devraient être prioritaire sur les « Arabes » pour l’accès aux emplois gouvernementaux. Quarante neuf pour cent pensaient que l’état devrait traiter les juifs de manière plus favorable que les « Arabes » (ce qu’il fait déjà bien sûr à tous les niveaux) ; 42 pour cent ne voulaient pas vivre dans le même immeuble que les « Arabes » ; 30 pour cent soutiendraient une loi interdisant le droit de vote des « Arabes » à la Knesset ; 69 pour cent seraient opposés à ce que les « Arabes » aient le droit de vote si Israël annexait la Cisjordanie : 74 pour cent étaient favorables à des routes séparées pour les Israéliens juifs et les « Arabes » en Cisjordanie ; et 47 pour cent aimeraient que la population « arabe » d’Israël d’avant 1967 soit transférée vers des régions sous contrôle de l’Autorité Palestinienne en Cisjordanie.
Un sondage de 2010 (Israel Democracy Institute) trouva qu’un tiers des Israéliens juifs étaient favorables à ce que les Palestiniens soient mis en camps d’internement en temps de guerre. Selon une autre enquête faite en mars de la même année par Maagar Mochot Institute presque la moitié des lycéens (15-18 ans) israéliens juifs croyaient que les « Arabes » n’avaient pas droit aux mêmes droits que les juifs. Plus de la moitié (56 pour cent) refuseraient le droit de vote aux « Arabes » ; 49,5 pour cent pensaient que les « Arabes » ne devraient pas avoir les mêmes droits que les juifs (82 pour cent chez les étudiants religieux). En remontant jusqu’à 1963, selon un sondage fait auprès de mille enfants âgés de huit à quatorze ans, se référant aux récits bibliques de la destruction de Jéricho – « et de tout ce qui s’y trouvait, hommes, et femmes, jeunes et vieux, bœufs et moutons » – le même traitement étant appliqué aux habitants d’une ville voisine, 600 des sondés approuvaient totalement la destruction de ces villes et de leurs habitants non juifs.
Les rabbins, les hommes et femmes politiques et même certains universitaires ont contribué à la montée en puissance de cette haine, en qualifiant les « Arabes » de tumeurs, serpents, « bêtes à deux pattes »(Menahem Begin), « cafards dans une bouteille » (Rafael Eytan) et « animaux sauvages qui doivent être mis en cage » (Benny Morris). En 2007 l’ancien grand rabbin sépharade, Mordechai Eliyahu, a décrété qu’il n’était pas moralement prohibé de tuer des civils au cours d’une offensive militaire. Son fils Shmuel, grand rabbin de Safed, poursuivit en disant que s’ils [les « Arabes »] « n’arrêtent pas après que nous en ayons tué 100, alors nous devons en tuer 1 000, même un million, ou le nombre nécessaire pour les faire arrêter ». En janvier de cette année, pendant « l’intifada des couteaux », il a déclaré qu’Israël devrait exécuter les « Arabes » blessés plutôt que de les laisser vivre.
En octobre 2015 le rabbin Yisrael Rosen, directeur de l’Institut religieux Tzomet, citant la Torah, réitéra cette injonction génocidaire à l’encontre des ennemis d’Israël : « Anéantissez les Amalécites jusqu’au dernier. Tuez les et arrachez leur leurs biens. Ne leur témoignez aucune compassion. Tuez les sans vous arrêter, les uns après les autres, ne laissez aucune plante, aucun arbre. Tuez tous leurs animaux, du chameau au baudet ». Le mot « Amalécite » fut utilisé par Ben-Gourion contre les « Arabes » dans les années 1950 et récemment par Netanyahou à l’encontre de l’Iran : « Le nouvel Amalécite resurgit sur la scène de l’histoire ».
En novembre 2015, 29 rabbins orthodoxes et Chabad ont signé une lettre appelant à « exécuter » tous les Palestiniens qui nuisent aux juifs. Au nombre des signataires, se trouvaient le colon fanatique, Dov Lior, Yitzhak Grinsberg et Yitzhak Shapira, auteur de la Torat Ha Melech ((La Torah du Roi) qui décrète qu’en temps de guerre les soldats peuvent tuer les bébés dans leur berceau parce qu’un jour ils grandiront et s’en prendront aux juifs. Ces interprétations de la Torah sont tout aussi haineuses et meurtrières que l’interprétation du Coran par l’Etat Islamique. On dira que ces gens sont des « extrémistes », et bien sûr qu’ils le sont, des extrémistes meurtriers, génocidaires impitoyables, mais ce que montrent les sondages c’est à quel point ces sentiments se sont banalisés.
La source première de ces attitudes c’est une idéologie qui repose sur le vol et la dépossession sous couvert du mensonge selon lequel c‘est « notre terre ». Pour que cette entreprise criminelle réussisse, il fallait dépouiller les Palestiniens (les « Arabes ») de leur dignité d’êtres humains. Il fallait en brosser le portrait généralisé d’êtres paresseux, brutaux, cupides, adeptes de la violence et déterminés à tuer des juifs pour la seule raison qu’ils sont juifs. Il ne pouvait y avoir de répit : il fallait sans cesse accentuer ces portraits pour que le projet sioniste réussisse. Il était indispensable de réprimer les meilleurs instincts humains, comme la compassion, l’empathie, la compréhension, et la capacité de reconnaître les torts causés, et c’est ce qui explique que des gens, qui peuvent par ailleurs être des gens biens, sont capables d’exprimer des opinions si méprisantes, haineuses, voire meurtrières lorsqu’il s’agit des Palestiniens.
Ce dédoublement de la personnalité délibérément fabriqué est loin d’être rare. Le racisme a été un moteur puissant à la fois de l’impérialisme et du nationalisme extrême. L’état nazi a encouragé la haine des juifs chez des Allemands par ailleurs « bienveillants » – les doctrines de l’Afrique du Sud de l’apartheid ont façonné des attitudes haineuses à l’égard de la population noire chez la minorité blanche par ailleurs « bienveillante » ; et sept décennies de propagande et d’endoctrinement par « l’éducation » ont eu le même effet insidieux sur les comportements des Israéliens juifs à l’égard des Palestiniens.
La « force » d’Israël se nourrit du soutien politique et financier des Etats-Unis, et du refus de la « communauté internationale » de lui demander des comptes. Hillary Clinton et Donald Trump se livrent à des courbettes éhontées devant le lobby sioniste. S’il est élu, Trump a l’intention d’installer l’ambassade états-unienne à Jérusalem et a incité Israël à poursuivre la construction d’implantations en Cisjordanie. Israël projette maintenant d’annexer 60 pour cent de la Cisjordanie : le Département d’état a sans aucun doute dit ou va dire que ceci nuit au « processus de paix » comme s’il se trouvait quelqu’un pour sérieusement croire qu’il en existe un. Il y a peu de temps, Netanyahu a tenu un conseil des ministres en plein air sur les Hauteurs du Golan en guise de signal au reste du monde – un doigt pointé vers le monde – lui signifiant qu’Israël n’a aucune intention de les restituer à un pays, qu’il espère va bientôt disparaître. Pourtant, même en dépit de ces défis à l’ordre international, Israël est récompensé, en étant admis très récemment au sein de l’OTAN. Grâce à la Turquie qui a levé son veto contre Israël, une mission permanente a été ouverte à Bruxelles ; le président turc avait qualifié Israël d’état terroriste et s’était distingué comme défenseurs des Palestiniens.
Après presque 70 ans il est évident que la diplomatie a totalement échoué ou, pour dire les choses autrement, qu’elle ne réussira pas à apporter un quelconque règlement « juste » de la situation. Le roi Hussein de Jordanie a passé des décennies à négocier avec les sionistes à huis clos et il a dû admettre peu de temps avant sa mort que ce fut en vain. En échange de tous les risques qu’il a pris – y compris la signature d’un traité de paix – les sionistes ne lui ont rien donné, si ce n’est de temps en temps la promesse de ne pas le bombarder. Les Palestiniens ne sont pas revenus au point de départ, mais se trouvent dans une situation plus grave encore qu’à l’époque où l’OLP a renoncé à la violence en faveur de la voie diplomatique au début des années 1970. La diplomatie et un ‘processus de paix’ interminable ont simplement permis à Israël de continuer sa guerre aux Palestiniens par d’autres moyens.
Chaque pièce a une double face et la perte de la Palestine n’échappe pas à cette règle. Il y a une face sioniste et une autre arabe. Lorsque la guerre de 1967 a été déclarée « l’idée du nationalisme arabe » était en rapide régression. Il ne reste maintenant que fragmentation, confusion, discorde et haine confessionnelle. Les Arabes sont bien trop occupés à s’entre-tuer pour se soucier d’Israël. L’Arabie Saoudite fait sa guerre au Yémen et, avec le Qatar, a contribué à raison de milliards de dollars à l’effort visant à renverser le gouvernement à Damas. C’est le Qatar, qui en tête, a fourni l’alibi arabe à l’OTAN pour détruire la Libye, projet soutenu par la Ligue arabe. Israël n’est même plus l’ennemi commun. La connivence entre les états arabes et les sionistes est à peine voilée.
C’est dans ces eaux fétides que nage Israël. Ce qu’il veut, c’est que le monde arabe cesse d’être ce qu’il est (ou ce qu’il a été ou ce qu’il pense qu’il était). Il veut que le nationalisme arabe soit mort et enterré, et avec l’aide des Arabes il est en train de parvenir à ses fins. Il veut la reconfiguration géographique et politique du Moyen-Orient et il est aussi en train de réaliser cet objectif. Les gouvernements arabes semblent ne pas voir (ou ne s’en soucient guère) qu’ils apposent leur signature à la fin du « monde arabe » en tant qu’entité collective. C’est avec leur connivence que la progression de l’Histoire « arabe » s’est arrêtée. Assurément, ce ne peut avoir été la région qui a produit quelques uns des plus grands guerriers et penseurs de l’Histoire. La chute de tels sommets vers de tels abîmes sordides est tout simplement trop vertigineuse. De toute évidence, l’Histoire arabe n’était pas du tout de l’Histoire, mais rien qu’un conte de fée, un divertissement pour enfants avant qu’ils ne s’endorment, semblable à Hay ibn Yaqzan ou aux histoires de Qalilah wa Dimna.
Les Palestiniens ont tout essayé. Ce ne sont pas eux qui n’ont « jamais raté une occasion de rater une occasion » comme l’a une fois fait remarquer le ministre des affaires étrangères israélien Abba Eban, mais c’est Israël. Il n’a jamais été prêt à échanger la terre pour la paix. Il veut et la terre et la paix et semble espérer que le temps va résoudre les contradictions inhérentes à cette formule.
Les perspectives sont terriblement sombres, mais n’y a-t-il plus aucun espoir ? Il y a des raisons de penser que si. Si Israël annexe bel et bien la Cisjordanie et refuse d’accorder aux Palestiniens les droits de citoyens, il deviendra ouvertement un état d’apartheid et encore plus un paria sur la scène mondiale. La campagne BDS remporte chaque jour toujours plus de succès mondialement. Des sociétés, des facultés, des églises et d’autres groupes sociaux se désinvestissent tous. Les torrents d’invectives en provenance du gouvernement israélien et de ses lobbyistes, et leurs tentatives visant à criminaliser le mouvement BDS sont une preuve manifeste de son succès.
Aux États-Unis John Mearsheimer et Stephen Walt ont brisé un tabou en publiant en 2007 leur livre : The Israel Lobby and US Foreign Policy (Le lobby israélien et la politique étrangère états-unienne). Ce n’était pas des gauchistes hallucinés mais des universitaires traditionnels conservateurs de deux des meilleures universités au monde – Chicago et Harvard. Qu’un livre remettant en question la nature de la ‘relation spéciale’ pour des raisons à la fois politiques et morales, puisse même trouver un éditeur grand-public était en soi le signe que l’opinion publique était en train de changer.
Israël a depuis subi d’autres revers, et tout récemment l’incapacité des lobbies d’empêcher la signature de l’accord avec l’Iran. Pendant ce temps, sur les campus les étudiants juifs sont tout aussi susceptibles de rejoindre la campagne BDS que de s’y opposer. Ils soutiennent sans aucun doute le droit d’exister d’Israël, mais pas ce qu’il est devenu. Ils ne lui accordent plus un soutien inconditionnel – comme ce pouvait être le cas dans les années 1960 – et ce soutien ne va plus de soi.
Dans la sphère politique à proprement parler Bernie Sanders a critiqué Israël, pas très durement certes, mais il l‘a critiqué et dans une campagne électorale présidentielle c’est une première absolue. Les Européens adoptent une ligne plus dure. L’UE dresse une liste noire des entreprises israéliennes et bloque le financement de toute entité opérant en Cisjordanie. L’UE et le gouvernement états-unien interdisent l’étiquetage ‘made in Israël’ des produits fabriqués en Cisjordanie. Israël perd régulièrement du terrain dans les parlements européens et auprès des populations.
La roue de l’histoire tourne lentement, mais elle tourne et tourne tout le temps contre Israël. Il est souvent impossible pour les personnes ou les empires et les états qui jouissent d’un grand pouvoir d’imaginer le jour où ils seront dépourvus de ce pouvoir. Israël s’est fait beaucoup d’ennemis et n‘a qu’un seul « ami ». Même cette amitié est sujette à caution : si Hillary Clinton et Donald Trump déclarent leur amour éternel pour Israël, ce n’est pas par amour mais par peur, des dégâts que le lobby peut faire s’ils osent dire autre chose. Il est sûr que les Etats-Unis subiront leurs propres bouleversements. Le jour viendra peut-être où ils ne pourront plus se permettre de donner quatre ou cinq milliards de dollars par an à Israël – le jour viendra peut-être où pour des raisons morales et politiques ils ne verront pas pourquoi ils le devraient.
Le dernier élément de l’équation c’est le peuple juif d’Israël. Que veut-il – une paix réelle ou un succédané de paix fondé sur l’occupation et l’oppression permanente d’un autre peuple ? Netanyahou, Naftali Bennett, Avigdor Lieberman, les colons et les rabbins fanatiques proposent la deuxième option comme si Israël n’avait pas d’autre choix. En mentant sur le passé et en justifiant toutes les cruautés commises dans le présent Israël s’empoisonne. Quel plus grand danger pour son avenir que ceci pourrait-il y avoir ?
Jeremy Salt
Jeremy Salt a enseigné l’histoire moderne du Moyen-Orient à l’Université de Melbourne, à la Bosporus University à Istanbul et à la Bilkent University à Ankara pendant de nombreuses années. Parmi ses publications récentes son livre paru en 2008 : The Unmaking of the Middle East. A History of Western Disorder in Arab Lands (University of California Press).