Publié le : 15 mars 2017
Source : vududroit.com
Pour avoir bien connu toutes les élections présidentielles au suffrage universel depuis 1965, je reste quand même sidéré cette fois-ci, au spectacle de la campagne de la mère de toutes les batailles électorales sous la Ve République.
Malgré La catastrophe politique Hollande, le traumatisme de l’agression terroriste, une situation économique terriblement dégradée et l’attitude d’élites déshonorées arc-boutées sur leurs privilèges, dans l’attente de l’échéance majeure, le peuple français a été d’un calme étonnant. Pas sûr qu’il le reste devant une telle confiscation du scrutin, à base de manipulations, d’instrumentalisations des services de l’État, et de propagande éhontée d’un appareil médiatique qui fait bloc. Et face à mobilisation acharnée de la caste, illustrée par la litanie des ralliements à Macron, et la publication par Libération du « mur des traîtres ». Tout doit être fait pour envoyer le télévangéliste à une deuxième place au premier tour qui lui ouvrirait le second contre Marine Le Pen. Et là, utiliser l’argument du barrage, le vieux « no pasaran » utilisé contre le FN depuis 30 ans avec le succès que l’on connaît.
Et pourtant, comment ne pas partager l’opinion de Frédéric Lordon, ou de Jacques Rancière quand il dit : « Si Marine Le Pen devait l’emporter, ça ne serait pas gai, bien sûr. Mais il faut en tirer les bonnes conclusions. La solution est de lutter contre le système qui produit Marine Le Pen, non de croire qu’on va sauver la démocratie en votant pour le premier corrompu venu. J’ai toujours en tête ce slogan de 2002 : « votez escroc pas facho ». Choisir l’escroc pour éviter le facho c’est mériter l’un et l’autre et se préparer à avoir les deux ».
Le pire étant d’être contraint maintenant de se poser la question de savoir qui, entre les deux probables qualifiés du second tour est le plus dangereux. Et malheureusement c’est Emmanuel Macron qui décroche la timbale.
Macron est l’héritier d’Hollande.
Tout au long de son mandat, François Hollande a passé son temps à abîmer les institutions et saper l’autorité de l’État. À croire qu’il a décidé de complètement les détruire. C’est une situation grosse de dangers. L’opération Macron est une tentative avérée de continuer comme si de rien n’était. Dire que le télévangéliste est l’héritier en tout point de l’actuel président de la république est une évidence. Mais les méthodes utilisées pour le faire advenir à base de violations des libertés publiques et des principes républicains constituent un précédent très grave. Les institutions démocratiques en sortiront lourdement affaiblies, quel que soit le résultat.
Liberté d’expression bafouée et médias asservis
Pendant tout ce mandat, la liberté d’expression a été malmenée. Multiplication des pressions, saisines systématiques des tribunaux, et adoption de lois clairement liberticides (loi renseignement, sur la consultation décide djihadistes, visant à interdire les sites anti-IVG). La création ex nihilo du télévangéliste par l’instrumentalisation sans précédent de l’appareil médiatique subventionné, celui appartenant aux oligarques, ou au service public, a permis d’atteindre des sommets. Les mêmes médias ont docilement joué le rôle que l’on attendait d’eux en participant avec enthousiasme au coup d’État contre la candidature Fillon. Avec un double objectif : disqualification du candidat de droite et étouffement du débat de fond. Le service public radiotélévisé, dirigé par Madame Ernotte qui semble veiller de très près au respect de cette ligne, et malgré son obligation légale de pluralisme est le plus zélé dans l’accomplissement de ce sale boulot.
Instrumentalisation sans vergogne de la Justice
Et puis, il y a l’instrumentalisation de la justice. Les professeurs de droit, les avocats, les juristes ont beau s’étonner, s’inquiéter, s’égosiller, le coup d’État anti Fillon continue imperturbablement. Du tempo adopté par le Parquet National Financier et le Pôle du même nom pour traiter le dossier du candidat de la droite découle une partialité évidente et démontre une préparation antérieure à l’article du Canard enchaîné. Pour François Fillon, c’est prestissimo, en revanche pour Macron, ses frais de bouche au ministère, le probable délit de favoritisme pour filer à Las Vegas rencontrer Bolloré, les déclarations de patrimoine fantaisistes, l’opacité totale du financement de sa campagne, ce sera largo (lent, très lent), on connaît la musique au PNF. Malgré un signalement de l’Inspection Générale des Finances, celui-ci a refusé de déclencher une enquête préliminaire. Il a fallu la rébellion du parquet de Paris pour que cela fut fait et une régularité minimum restaurée. Pourtant la plus haute hiérarchie judiciaire nous dit que : « la justice suit son rythme en toute indépendance », en oubliant de rappeler qu’elle doit aussi le faire en toute impartialité. Terme que l’on n’entend jamais. La présidente du SM, le syndicat du mur des cons, finit par la revendiquer cette partialité en nous assénant sans mollir : « »Le juge « neutre » n’existe pas et c’est tant mieux. Il n’est pas un être désincarné, il pense et a des opinions personnelles. Entre la loi et le cas particulier, il y a un espace rempli par le juge avec ses valeurs, ses convictions et sa personne. » Proposition absolument hallucinante que cette revendication qui montre à quel point certains ont perdu le sens commun et sont saisis d’une hubris dangereuse. La neutralité, l’objectivité, l’impartialité sont les objectifs fondamentaux que doivent respecter les décisions de justice rendues au nom du peuple français, comme d’ailleurs dans tous les systèmes démocratiques et depuis longtemps. Le « juge neutre » individuel n’existe pas, c’est vrai, mais c’est pour cela qu’il y a la Justice, son organisation et ses règles impératives. Qui reposent, répétons-le encore et encore sur le principe de défiance vis-à-vis de l’homme juge. Ce type de dérive qu’on a vue à l’œuvre durant tout le mandat Hollande trouve aujourd’hui sa caricature avec l’affaire Fillon. Y a-t-il des raisons de penser que le télévangéliste successeur de François Hollande hésite à utiliser ces méthodes ? Compte tenu de la façon dont se déroule cette campagne, poser la question c’est y répondre.
Les autorités administratives indépendantes laissent faire
Deux institutions essentielles au fonctionnement équilibré d’une démocratie, la justice et la presse sont sorties de leurs lits. Elles ne sont pas les seules, ce que l’on appelle « les autorités administratives indépendantes » font la même chose. Le CSA ne voit aucun inconvénient aux déséquilibres grossiers en faveur de Macron dans les médias audiovisuels. La Commission Nationale des Comptes de Campagne, chargée de contrôler les recettes et les dépenses des candidats, et bien évidemment muette. Alors qu’on apprend tous les jours des bizarreries préoccupantes concernant la campagne de « En Marche », opacité des financements, et interventions des services de l’État au profit de la campagne du télévangéliste. Est-il nécessaire de rappeler que toute dépense exposée par qui que ce soit en dehors du compte de campagne peut être réintégrée à celui-ci dès lors qu’elle a pu avantager électoralement le candidat ? C’est ainsi que le compte de Nicolas Sarkozy en 2012 a été invalidé à la suite de la réintégration d’une dépense exposée par l’État pour un déplacement du président en exercice dont la commission a considéré que c’était plus un déplacement électoral. Compte tenu de la propagande éhontée de la presse, des interventions de l’État, du caractère plus que trouble des financements on voit mal déjà, comment le compte d’Emmanuel Macron pourrait être validé. Soyons sûrs qu’il le sera pourtant.
Un apparatchik sans principe
Et puis il y a enfin, la personnalité d’Emmanuel Macron que l’on peut pressentir à partir de sa trajectoire et d’un certain nombre d’événements qui s’y sont déroulés. Causeur rappelait un épisode révélateur et déplaisant à propos du rachat journal Le Monde. On y ajoutera la cession à des investisseurs chinois de l’aéroport de Toulouse-Blagnac, le très trouble bradage de la branche énergie d’Alstom à General Electric, les facilités dont semble avoir bénéficié Patrick Drahi, dans lesquels beaucoup voient les causes de l’étonnante complaisance de ces médias vis-à-vis du télévangéliste. Du point de vue des conflits d’intérêts, des amitiés construites, des services rendus son passage au ministère de l’économie mériterait un examen attentif. Certains ralliements récents sont de ce point de vue assez éclairant.
Emmanuel Macron est donc la solution pour cette partie du Capital, celui de l’oligarchie néolibérale mondialisée qui a fait sécession et qui emmène avec elle celles des couches moyennes qui en profitent. Et la campagne électorale montre bien que ces gens-là sont prêts à tout. La bourgeoisie nationale avait choisi François Fillon, elle comprend sa douleur. Si par malheur Emmanuel Macron et ceux qui l’emploient arrivaient au pouvoir, il n’y a aucune chance que les libertés publiques foulées aux pieds depuis cinq ans et martyrisées depuis six mois soient restaurées. Si ça marche, pourquoi se gêner, au sein de secteurs entiers des élites la culture des libertés publiques a disparu.
La mondialisation néolibérale, est incompatible avec la démocratie. Les gens qui la conduisent le savent bien, qui rêvent de démocratie sans « démos ». Emmanuel Macron est leur agent.
Régis de Castelnau