Publie le : 20 février 2012
Source : lefigaro.fr
L’économiste Jacques Bichot publie une étude sur le coût du crime et de la délinquance. Le crime organisé représenterait à lui seul un préjudice de 23 milliards d’euros.
Plus de 150 milliards d’euros, soit 7,5% du PIB! La facture annuelle du crime en France est salée. Le «noyau dur» de la délinquance, constitué par les violences physiques ou sexuelles, les vols, le vandalisme, les escroqueries, mais aussi les frais de sécurité privés, représenterait, à lui seul, environ 80 milliards d’euros. Dans cet ensemble, le crime organisé causerait le préjudice le plus élevé: plus de 23 milliards d’euros, entre les faits de proxénétisme, la contrefaçon et les trafics en tous genres. Et c’est compter sans les fraudes sociales et fiscales, les infractions routières ou le coût des politiques de sécurité, du fonctionnement de la police à la gendarmerie, en passant par le budget de la Justice, qui font quasiment doubler la note.
L’économiste qui s’est livré à ce calcul, Jacques Bichot, n’est pas un fantaisiste. Professeur émérite à l’université de Lyon 3, il fait publier ses travaux, pour la deuxième année consécutive, par l’Institut pour la justice, un organisme d’analyse privé qui s’est beaucoup fait l’écho des préoccupations des victimes.
Dans sa dernière étude donc sur «le coût du crime et de la délinquance», que Le Figaro a pu décortiquer, ce scientifique dit s’être livré à une estimation a minima. Et il le reconnaît: «le tribut prélevé par les criminels et les délinquants n’est pas facile à évaluer, car dans la majorité des cas il ne s’agit pas directement d’argent», écrit-il. De fait, comment traduire le contrecoup financier d’un meurtre, d’un rapt ou du fameux sentiment d’insécurité souvent évoqué à l’approche des grandes consultations électorales?
Une lacune statistique
Les assureurs, les spécialistes de la sécurité routière, mais aussi les responsables d’hôpitaux sont «professionnellement confrontés à cette question» des coûts, précise l’auteur de l’étude, que le préjudice soit physique ou moral. Dans certains pays, des modèles économiques ont même été mis au point. Le Home Office en Grande-Bretagne ou le ministère de la Justice au Canada, se livrent ainsi chaque année à ce genre d’estimations, «dans des proportions qui collent d’ailleurs parfaitement avec les évaluations du Pr Bichot», estime Xavier Bébin, le délégué général de l’Institut pour la justice. Mais en France, l’acteur public semble plus timoré. Voici comment l’économiste et ses soutiens ont entrepris de combler cette lacune.
D’abord, il y a les éléments matériels. Le vol, par exemple. «Nous devons bien sûr nous intéresser au prix de remplacement de ce qui est dérobé, mais cela ne suffit pas», prévient Jacques Bichot. Car dans ses calculs tout y passe: «les dégâts éventuellement commis par le voleur», «la peur qu’il a pu causer», «la valeur sentimentale des objets», «le temps qu’il a fallu perdre» en démarches, «pour remplacer ce qui s’est envolé», mais aussi «le coût de fonctionnement des assurances, qui s’ajoute aux primes pures destinées à dédommager les victimes». Il inclut également dans ses comptes «les dépenses de sécurité (portes blindées, serrures perfectionnées, systèmes d’alarme, etc.)» et «la partie des impôts qui sert au fonctionnement des services publics ayant pour mission d’empêcher et de punir les vols». Total général obtenu: 9,2 milliards. Rien que pour les vols…
1.263.255 euros pour un mort
Et le prix de la vie humaine, de l’intégrité physique? Il y a au moins une référence, selon lui: les bases financières retenues pour l’indemnisation des victimes de la route. En incluant les coûts médicaux et administratifs, mais aussi les «pertes de production», les organismes officiels retiennent 1.263.255 euros pour un mort, 136.474 pour un blessé hospitalisé, et 5578 euros pour un blessé léger.
Cynique, le Pr Bichot? Au-delà de la victime et des proches qui dépendent éventuellement d’elle, il y a aussi la «société» à prendre en compte, poursuit-il. Car l’État et les organismes sociaux seraient en quelque sorte lésés, si l’on considère la victime comme un acteur économique qui produisait de la richesse et contribuait à l’impôt ainsi qu’au remplissage des caisses sociales. Le «manque à produire» à lui seul est estimé à 20.000 euros par an et par individu en moyenne.
Le but de cette arithmétique? Savoir évaluer les préjudices, secteur du crime par secteur du crime, pour «éclairer la politique pénale et la décision publique», explique Xavier Bébin. Selon lui, «d’après de nombreuses études statistiques, 30.000 places de prison supplémentaires, par exemple, permettraient de réduire la criminalité de 15%». L’investissement pour l’État serait alors d’«un milliard d’euros par an», dit-il, «tandis que le gain pour la collectivité serait de 11 milliards». Froide logique de l’économie que d’aucuns jugeront évidemment discutable.