Il est encore trop tôt pour savoir ce qui s’est réellement passé dans la chambre 2806 de l’hôtel Sofitel de New York. Au minimum, une minable histoire de tripotage ancillaire qui tourne mal, au pire donc, une véritable agression sexuelle, comme les premiers éléments de l’enquête et la procédure judiciaire en cours semble d’ailleurs de plus en plus fortement l’attester. Dans le premier cas c’est lamentable et indigne, dans le second c’est ignoble. L’avenir nous en dira plus. Mais s’il n’est pas encore temps de qualifier les faits qu’on reproche à Dominique Strauss-Kahn, et donc d’en tirer des conclusions définitives, il est d’ores et déjà possible de constater ce que nous a révélé d’essentiel cette sordide affaire, concernant le monde politico-médiatique français.
Rappelons-nous un peu les faits : dès l’annonce le 14 mai au matin de l’incroyable nouvelle, sur toutes les télévisions, privées ou publiques, sur toutes les chaînes d’information, toutes les radios de France, des journalistes de base jusqu’au plus illustre des éditorialistes, le monde médiatique semblait avoir appris pour l’un la mort de toute sa famille, pour l’autre le décès de son meilleur ami, de son chien ou de son cochon d’Inde, et plus probablement encore de tout cela à la fois. Se souvenait-on seulement avoir jamais vu visages à ce point ravagés par la stupéfaction, autant marqués par la douleur, pétrifiés par l’effroi? Il faudrait sans doute remonter à la mort de Pompidou en 1974, en plein mandat présidentiel, pour trouver trace d’une telle émotion collective dans le milieu journalistique français. Et encore.
D’un seul coup, et suite à un coup de théâtre semblant tiré de la plus médiocre des pièces de boulevard, la star absolue des sondages, l’homo politicus omniscient à l’intelligence d’aigle et au charme ravageur, le candidat intronisé avant les primaires, le président déjà élu sans même être passé devant les électeurs, cet être exceptionnel offert à la France par la providence et vendu au bon peuple par presque tous les grands les médias de gauche, de droite et d’ailleurs comme le choix évidemment incontournable, indépassable, se retrouvait déchu et exposé en place de Grève, comme le premier manant venu. La success story au happy end partout annoncé finissait en bide intégral. Cela n’était pas la première fois d’ailleurs, et on y reviendra un peu plus tard.
Aussitôt, et la première stupeur passée, des cohortes entières d’avocats composés à part presque égales de journalistes et d’hommes politiques se répandirent par vagues sur tous les médias de France. En quelques heures à peine, on entendit et on lut plus souvent l’expression « présomption d’innocence » qu’en 50 ans de vie journalistique française. Cette même présomption d’innocence si parcimonieusement évoquée durant les premières heures des « affaires » concernant par exemple Dominique de Villepin, Eric Woerth ou Michelle Alliot-Marie, avant qu’un jugement pour l’un, ou un complément d’information pour l’autre, viennent infirmer ou confirmer les faits reprochés. Broutille sans doute que cette différence de traitement aveuglante et plus parlante que n’importe quel discours !
Le zèle -remarquable pourtant- déjà mis en œuvre par ceux qui avaient volé au secours de Roman Polanski lors de l’affaire qui avait touché le réalisateur, ou de Frédéric Mitterrand dans le scandale qui avait atteint le Ministre de la Culture était totalement balayé, même si -et cela est loin d’être un hasard- on pouvait constater une troublante similitude dans la compositions des bataillons montés bravement au front pour condamner, fustiger, stigmatiser dès l’origine toute velléité de réprobation populaire.La justice américaine jadis louée pour sa capacité remarquable à prendre dans ses filets les gros poissons passant chez nous entre les maillons trop élastiques de notre système judiciaire devint en un retournement aussi spectaculaire que soudain un mécanisme infernal, populiste et quasiment totalitaire, livrant à la vindicte populaire pour ne pas dire aux chiens l’honneur d’un homme « jusqu’à preuve du contraire innocent ».
Très vite, le soupçon de mise en scène, puis carrément la thèse du complot firent surface. « Cela ne peut pas être vrai », « ce n’est pas le Dominique que je connais »… La femme de chambre ne pouvait qu’être une traîtresse Messaline, ou une barbouze en mission commandée servant quelque noir dessein. On voulait faire tomber le sauveur du Monde, l’espoir de la France ! On notera au passage avec amusement que ceux là même qui depuis des années vouaient aux gémonies en les traitant du qualificatif définitivement disqualifiant de « révisionnistes » tous ceux qui osent se poser ne fût-ce que quelques questions concernant la thèse couramment admise pour expliquer les attentats du 11 septembre 2001, oui, ces mêmes bonnes âmes évoquaient à présent ce fameux complot qu’ils dénonçaient vigoureusement partout ailleurs. Complot de qui, et dans quel but, d’ailleurs ? Qui dans nos sociétés de la mondialisation heureuse DSK aurait-il pu gêner ? Au FMI pour à peine deux mois encore, à la Présidence Française pour cinq ans en cas de victoire en 2012 ? Quelle puissance d’argent, quel état dominateur eût-il pu déranger, ce bon petit soldat du capitalisme international, cet homme de réseaux, cet ami des grands de ce monde ? Plusieurs explications sont peut-être possibles pour éclairer un peu cette rocambolesque histoire, mais celle de la conspiration résiste-t-elle à la plus élémentaire analyse ? La thèse fit d’ailleurs long feu, et les défenseurs de DSK furent vite contraints de changer de mode de défense.
Car de fait, et sans préjuger du verdict final, tout semble aujourd’hui indiquer que justement et malheureusement, tout cela ressemble assez au DSK qu’ils connaissaient ! Ce qui ne les a pas empêchés, tous, et malgré les fragilités, les failles que cela pouvaient impliquer pour un poste d’une telle responsabilité, les scandales qui auraient pu éclater à tout instant durant la prochaine mandature, salissant l’image de la France et affaiblissant sa position dans le monde, de nous le présenter comme un Président idéal ! Sidérante irresponsabilité ! Terrifiante indécence ! !
Depuis quelques jours, le mur d’omerta dressé par le système et le petit monde des gens qui comptent pour protéger le candidat idéal s’est quelque peu fissuré. Des infos sortent, des rumeurs suivent. On parle de photos, de parties fines, de harcèlement, de comportement limite, quand on parlait hier de séduction, et d’amour des femmes. On ne peu que constater avec stupéfaction, que, malgré toutes ces rumeurs, tous ces anecdotes qu’ils se narraient avec gourmandises dans les diners mondains, les journalistes n’ont jamais enquêté sérieusement sur ces affaires. Ils n’ont d’ailleurs, à quelques notoires exceptions près, jamais enquêté du tout !
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On parle aussi enfin du train de vie hors norme de celui qui était censé représenter l’espoir des sans grades, des modestes, face au président des riches, Nicolas Sarkozy. La Maison de Washington, le Riad de Marrakech, l’appartement de la Place des Vosges, les collections de tableaux, on en passe et des meilleures… La gauche caviar ? Non, comme avait osé le dire sans rire Jean-Christophe Cambadélis, la « gauche couscous ». La biographie panégyrique tourne au canular d’almanach Vermot !
Ainsi donc, si l’on laisse de côté l’imposture absolue que représentait l’image d’un DSK en prise directe avec le monde réel véhiculé par les médias avant ce matin de mai, apparaît en pleine lumière l’incroyable faisceau de liens, de relations personnelles, d’amitiés, parfois même carrément d’intimité qui unissent la sphère politique et le monde médiatique français, quand la plus élémentaire déontologie devrait imposer au second une distance évidemment non négociable pour éviter les possibles complaisances et les inévitables conflits d’intérêts. Cette connivence choquante et indéfendable jette le discrédit sur la profession journalistique française toute entière. Les médias étrangers ne s’y sont d’ailleurs pas trompé qui tous ou presque se sont montrés particulièrement critiques en dénonçant durement un système journalistique français défaillant et complice
Enfin, pour finir, et ce n’est pas le moins désolant, le moins choquant dans cette lamentable histoire… Que dire des sorties affligeantes de certains hommes politiques ou journalistes dans leur désir de sauver l’un des leurs, dans un insupportable reflexe de caste ? Que dire d’un Jack Lang qui, après avoir déjà défendu dans l’outrance et la mauvaise foi la plus totale Roman Polanski ou Frédéric Mitterrand, vient à présent au secours de Strauss-Kahn en osant un « il n’y a pas mort d’homme » tout simplement ignoble ? Que dire d’un Jean-François Kahn, qui, aveuglé par son amitié avec DSK, ose relativiser les faits reprochés au Directeur du FMI en évoquant un «troussage de domestique » hallucinant ? Que dire d’un Jean-Pierre Chevènement « hors sol » évoquant l’affaire Dreyfus ? D’un BHL évidemment là et bien là dès lors qu’il s’agit de dire des énormités qui s’insurge que l’on ose traiter DSK comme un simple justifiable ordinaire ? Dans le film Les Tontons Flingueurs, Audiard faisait dire à Lino Ventura la sentence suivante : « Les cons, ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît ! ». Que dire encore de ces propos tenus par nombre d’autres intervenants journalistes comme politiques, souvent des hommes, tentant de relativiser les faits, présentant DSK comme une victime, oubliant totalement la jeune femme agressée, comment qualifier ces commentaires outranciers, indécents, d’un machisme aux relents nauséabonds, qui semble excuser les comportements déplacés et le harcèlement sexuel qu’ont encore aujourd’hui à subir nombre de femmes, notamment dans les milieux politiques et journalistiques ?
Décidemment, et une fois de plus, l’affaire Strauss-Kahn, et dès ses premières heures, aura mis en évidence la faillite des élites françaises. Peut-on d’ailleurs encore parler d’ « élites » ? On en doutait déjà fortement. On sait à présent et définitivement que non.
ML – La Plume à Gratter
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