Publié le : 15 février 2012
Source : causeur.fr
L’histoire est homophobe
Ces temps-ci, les occasions de parler comme un seul homme sont si rares à l’UMP qu’on ne boude pas son plaisir quand se présente une tête sur laquelle l’on peut taper à l’unisson. On y met tout son cœur. On redouble d’effort. Plus rien d’autre n’existe que le bruit sourd des petits poings s’abattant sur un crâne. Ils remontent. Les doigts se frôlent. Les adversaires d’hier, les concurrents de demain, tous communient dans la même érotique de l’unanimité tabassante mais retrouvée.
C’est ce qui s’est passé ce matin au bureau politique du parti présidentiel. L’ambiance était morose et la perspective pourtant imminente de la déclaration de candidature de Nicolas Sarkozy ne semblait pas réchauffer les cœurs. C’est alors que le sujet est arrivé sur la table : Christian Vanneste et ses assertions “négationnistes” sur la déportation des homosexuels français. Le député de Tourcoing a déclaré : “Il y a aussi des légendes qui sont répandues. Par exemple, il y a la fameuse légende de la déportation des homosexuels. Il faut être très clair là aussi. Manifestement Himmler avait un compte personnel à régler avec les homosexuels. En Allemagne, il y a eu la répression des homosexuels et la déportation qui a conduit à à peu près 30 000 déportés. Et il n’y en a pas eu ailleurs. Et notamment en dehors des trois départements annexés, il n’y a pas eu de déportation homosexuelle en France.”
Progressistes aussi bien que conservateurs, les caciques de l’UMP se rabibochèrent sur une fervente dénonciation de Christian Vanneste. Et chacun envoya sa propre lettre de cachet via Twitter : “Il faut le virer de l’UMP”, écrivit Benoist Apparu. “Je condamne fermement les propos de Christian Vanneste. Il ne peut pas porter ni nos couleurs ni nos valeurs”, trancha Nadine Morano, la ministre qui tweete plus vite que son ombre. Même le député de Nice Eric Ciotti, qui partage les bancs de la Droite populaire avec Vanneste, fut vindicatif : “Propos honteux de Vanneste ! J’ai demandé son exclusion de l’UMP en bureau politique.”
Eric Woerth, Chantal Jouanno, Thierry Mariani, Franck Riester : aucune voix ne manque pour condamner l’infâme Vanneste. Et la porte-parole de François Hollande, Delphine Batho, semble même en retrait par rapport à la droite en jugeant les propos du député de Tourcoing “non seulement homophobes mais aussi négationnistes”. Cerise sur le gâteau : le directeur de campagne de Marine Le Pen, Louis Aliot, dénonce une “vraie bêtise” et se paie le luxe de recommander à Vanneste de “relire ses livres d’histoire”.
Relisons-les. Les homosexuels français ont-ils été déportés pendant la Seconde Guerre mondiale ? L’affirmer, écrit l’historien Pierre Vidal-Naquet, serait “un mensonge”. Les seuls homosexuels à avoir été déportés sont les ressortissants allemands ou réputés tels par les autorités du Reich – c’est le cas des homosexuels alsaciens, province annexée de fait, comme celui des Autrichiens depuis l’Anschluss. Les nazis ne prirent même pas la peine de mettre au point un arsenal juridique spécial : ils déportèrent les homosexuels au nom du paragraphe 175 du Code pénal bismarckien, qui réprimait la bestialité et l’homosexualité dans le même mouvement. Pour plusieurs dizaines de milliers d’entre eux furent réservés les pires sévices, les expérimentations les plus cruelles, et, au final, la mort.
Les présupposés idéologiques sur lesquels se fonde l’homophobie d’Etat du IIIe Reich sont exposés par Goering lui-même en 1935 : “assurer la défense et la protection du sang allemand”. Himmler, pour sa part, parle de “maladie contagieuse” prompte à anéantir “la survie du peuple et de l’Etat allemands”. En définitive, les mêmes arguments sont amplement partagés par Mikhaïl Kalinine, président du Soviet suprême, qui signe en 1934 – trois mois avant le durcissement de l’application du paragraphe 175 par les nazis – un décret condamnant les rapports entre individus de sexe masculin de trois à huit ans de prison. Gorki écrit au même moment : “Dans les pays fascistes, l’homosexualité, qui est la ruine de la jeunesse, fleurit impunément. Un slogan circule en Allemagne : “Eliminez les homosexuels et le fascisme disparaîtra.””
Il s’agit, bel et bien, pour les nazis, de “purifier la race” en exterminant les homosexuels. Himmler les estime à plus de 2 millions dans le Reich et il n’entend pas renâcler devant l’ampleur de la tâche. Quant aux autres peuples, dont le chef de la SS écrit qu’ils contiennent, comme l’Allemagne, “7 à 8 % d’homosexuels”, ce n’est pas son affaire : ils ne sont pas “aryens” et tout ce qui peut provoquer leur “dégénérescence” est souhaitable.
Aucun déporté français ne l’a été pour des raisons d’homosexualité. Cela ne signifie absolument pas qu’aucun homosexuel français n’ait été déporté. Mais s’il l’a été, c’est parce qu’il était alsacien-lorrain, juif, résistant ou tsigane.
Il apparaît donc que les propos de Christian Vanneste sont, en réalité, tout à fait conformes à la vérité historique. Ils sont même d’une exactitude déconcertante. Même Serge Klarsfeld, qui s’est exprimé en fin de matinée, reconnaît la justesse des assertions du député de Tourcoing. Mais la vérité, est-ce vraiment la question ? D’ailleurs, qu’est-ce qu’il connaît, Serge Klarsfeld, à la question de la déportation, en comparaison d’historiens de la Seconde Guerre mondiale aussi reconnus que Nadine Morano ou Jean-François Copé ? L’UMP ne va quand même pas prêter l’oreille à ce farfelu de Klarsfeld, dont tout laisse accroire qu’il ne dispose même pas d’un compte Twitter… Vanneste devrait chercher ses soutiens ailleurs !
Et puis, reconnaissons une chose. Monsieur Vanneste aurait pu faire preuve d’un peu plus de délicatesse. Il aurait pu compatir au sort des homosexuels français qui ont souffert pendant la Seconde Guerre mondiale. Tenez : Jean Cocteau fut tellement résistant qu’il consacra la guerre durant ses efforts à résister à la résistance. Abel Bonnard, ministre de l’Education de Pierre Laval, pâtit beaucoup du surnom de “gestapette” que ses opposants gaullistes (et homophobes) lui collèrent. Marcel Jouhandeau se dépensa également beaucoup pour tenter de faire oublier après 1945 le petit livre qu’il avait publié en 1938 et qui portait le sobre nom de Péril juif. Quant à Robert Brasillach, il fut fusillé, alors que son homosexualité se cantonnait essentiellement à l’admiration de la statuaire d’Arno Breker. Ne parlons même pas de Bernard Faÿ ou de Maurice Bardèche. Non, Christian Vanneste aurait dû montrer un peu plus de compassion et communier avec la doxa qui nous tient lieu de règle : l’homosexualité peut tout excuser.
François Miclo/Causeur.fr