Publié le : 25 février 2012
Source : voltairenet.org
Un complot international est en cours, visant à mener à terme la destruction de mon pays. Les assaillants ont commencé en 1975, avec comme cible la culture grecque moderne, puis ils ont poursuivi par la dissolution de notre histoire récente et de notre identité nationale, et aujourd’hui ils essaient de nous exterminer physiquement par le chômage, la famine et la misère. Si le peuple grec ne se soulève pas pour les arrêter, le risque de disparition de la Grèce est bien réel. Je la vois arriver dans les dix prochaines années. Le seul élément qui va survivre de notre pays sera la mémoire de notre civilisation et de nos luttes pour la liberté.
Jusqu’en 2009, la situation économique de la Grèce n’avait rien de très grave. Les grandes plaies de notre économie étaient les dépenses immodérées pour l’achat du matériel de guerre et la corruption d’une partie du monde politique, financier et médiatique. Mais une part de responsabilité appartient aussi aux États étrangers, parmi eux l’Allemagne, la France, l’Angleterre et les États-Unis, qui gagnaient des milliards d’euros au dépens de notre richesse nationale par la vente annuelle de matériel de guerre. Ce saignement constant nous a écrasés et ne nous permettait plus d’aller de l’avant, alors qu’il était la source d’enrichissement d’autres pays. On peut dire la même chose pour le problème de la corruption. Par exemple, l’entreprise allemande Siemens avait une branche spéciale pour corrompre des Grecs, afin de mieux placer ses produits sur le marché national. Ainsi le peuple grec a été victime de ce duo des prédateurs allemands et grecs qui s’enrichissaient au dépens de la Grèce.
Il est évident que ces deux grandes plaies auraient pu être évitées si les dirigeants des deux parties politiques pro-américains n’avaient pas été infiltrés par la corruption. Cette richesse, produit du travail du peuple grec, était ainsi drainée vers les coffres-forts de pays étrangers. Les politiciens ont essayé de compenser cette fuite d’argent par un recours à des emprunts excessifs qui résultaient en une dette publique de 300 milliards d’euros, soit 130% du PNB (Produit National Brut).
Par cette arnaque, les étrangers gagnaient doublement : d’une part, par la vente d’armes et de leurs produits, et d’autre part, par les intérêts sur l’argent prêté au gouvernement (et non pas au peuple). Comme nous l’avons vu, le peuple grec était la principale victime dans les deux cas. Un seul exemple suffira pour vous convaincre : en 1986, Andreas Papandreou a emprunté un milliard de dollars à une banque d’un grand pays européen. Les intérêts de cet emprunt n’ont été remboursés qu’en 2010 et ils s’élevaient à 54 milliards d’euros.
L’année passée, M. Juncker a déclaré qu’il avait remarqué lui-même l’hémorragie financière massive de la Grèce qui était due aux dépenses excessives (et forcées) pour l’achat de matériel de guerre – de l’Allemagne et la France en particulier. Et il a conclu que ces vendeurs nous conduisaient à un désastre certain. Hélas, il a avoué qu’il n’a rien fait pour contrecarrer cela, afin de ne pas nuire aux intérêts des pays amis !
En 2008, la grande crise économique est arrivée en Europe. L’économie grecque n’a pas été épargnée. Cependant, le niveau de vie qui était jusque-là assez haut (la Grèce se classait parmi les 30 pays les plus riches du monde), est resté pratiquement inchangé, malgré une augmentation de la dette publique. La dette publique ne se traduit pas nécessairement par une crise économique. La dette des grands pays tels que les États-Unis et l’Allemagne sont estimées à des milliers de milliards d’euros. Les facteurs déterminants sont la croissance économique et la production. Si ces deux facteurs sont positifs, il est possible d’emprunter auprès des grandes banques à un taux d’intérêt inférieur à 5%, jusqu’à ce que la crise soit passée.
En 2009, (en novembre), au moment de l’arrivée de G. Papandréou au pouvoir, nous étions exactement dans cette position. Pour faire comprendre ce que le peuple grec pense aujourd’hui de sa politique désastreuse, je cite deux chiffres : aux élections de 2009 PASOK – le parti politique de G. Papandreou – a remporté 44% des voix. Aujourd’hui, les sondages ne lui donnent plus que 6%.
M. Papandréou aurait pu faire face à la crise économique (qui reflétait celle de l’Europe) avec des prêts de banques étrangères au taux habituel, c’est-à-dire inférieur à 5%. S’il l’avait fait, notre pays n’aurait pas eu de problème. Comme nous étions dans une phase de croissance économique, notre niveau de vie se serait amélioré.
Mais M. Papandréou avait déjà commencé sa conspiration contre le peuple grec en été 2009, lorsqu’il a rencontré secrètement M. Strauss-Kahn, dans le but de passer la Grèce sous la tutelle du FMI. Cette révélation a été divulguée par l’ancien président du FMI.
Pour y arriver, la situation économique de notre pays devait être déformée, afin que les banques étrangères aient peur et augmentent les taux d’intérêt de prêt à des montants prohibitifs. Cette opération onéreuse a commencé avec l’augmentation artificielle du déficit publique de 12% à 15% pour l’année 2009 (n.d.t : M. Andreas Georgiou, président du conseil d’administration de l’Institut National de Statistique, ELSTAT, a subitement décidé en 2009, sans demander l’accord, ni informer son conseil d’administration, de comptabiliser dans le calcul du déficit public certains organismes et entreprises publiques qui ne l’avaient jamais été auparavant dans aucun autre pays européen, excepté la Norvège. L’objectif était de faire passer le déficit de la Grèce au-dessus de celui de l’Irlande (14%), afin que ce soit elle qui joue le rôle de maillon faible de l’Europe.) Pour ce forfait, le procureur M. Pepònis a déféré M. Papandréou et M. Papakonstantinou (ministre des Finances) à la justice, il y a 20 jours.
Ensuite, M. Papandréou et le ministre des finances ont mené une campagne de discrédit pendant 5 mois, au cours de laquelle ils ont essayé de persuader les étrangers que la Grèce est, comme le Titanic, en train de couler, que les Grecs sont corrompus, paresseux et donc incapables de faire face aux besoins du pays. Après chacune de leurs déclarations, les taux d’intérêt montaient, afin que la Grèce ne puisse plus faire des emprunts et afin de donner un caractère de sauvetage à notre adhésion au FMI et à la Banque Centrale Européenne. En réalité, c’était le début de notre fin.
En mai 2010, un ministre, celui des finances, a signé le fameux Mémorandum (Mnimònio, en grec), c’est-à-dire notre soumission à nos prêteurs. D’après le Droit grec, l’adoption d’un tel accord nécessite d’être mis aux voix et d’être approuvé par les trois cinquièmes des députés. Donc, le Mémorandum et la Troïka qui nous gouvernent, fonctionnent illégalement – non seulement par rapport au Droit grec, mais aussi au Droit européen.
Depuis lors, en supposant que notre parcours vers la mort soit représenté par un escalier de 20 marches, nous avons déjà parcouru plus de la moitié du chemin. Imaginez que le Mémorandum accorde aux étrangers notre indépendance nationale et le trésor publique, à savoir : nos ports, nos aéroports, le réseau routier, l’électricité, l’eau, toute la richesse naturelle (souterraine et sous-marine) etc. Même nos monuments historiques, comme l’Acropole, Delphes, Olympie, Epidaure etc. après avoir renoncé à tous nos droits.
La production a été freinée, le taux de chômage a grimpé à 18%, 80 000 magasins ont fermé, tout comme des milliers d’usines et des centaines d’artisanats. Un total de 432 000 entreprises ont déposé leur bilan. Des dizaines de milliers de jeunes scientifiques quittent notre pays qui s’enfonce de plus en plus dans les ténèbres du Moyen Age. Des milliers de personnes qui étaient aisés jusqu’à un temps récent, sont maintenant à la recherche de nourriture dans les ordures et dorment sur le trottoir.
Entretemps, nous sommes censés vivre grâce à la générosité de nos prêteurs d’argent, les banques européennes et le FMI. En fait, l’intégralité du paquet de dizaines de milliards d’euros versé pour la Grèce, retourne à son expéditeur, tandis que nous sommes de plus en plus endettés à cause des intérêts insupportables. Et parce qu’il est nécessaire de maintenir en fonction l’État, les hôpitaux et les écoles, la Troïka charge la classe moyenne et inférieure de notre société de taxes exorbitantes qui mènent directement à la famine. La dernière fois que nous avons vécu une situation de famine généralisée dans notre pays était au début de l’occupation allemande, en 1941, avec près de 300 000 morts en six mois seulement. De nos jours, le spectre de la famine revient dans notre pays infortuné et calomnié.
Si vous pensez que l’occupation allemande nous a coûté un million de morts et la destruction complète de notre pays, comment pouvons-nous accepter, nous les Grecs, les menaces de Mme Merkel et l’intention des allemands de nous imposer un nouveau Gauleiter… mais cette fois-ci, il sera porteur d’une cravate…
La période de l’occupation allemande, de 1941 jusqu’à octobre 1944, prouve à quel point la Grèce est un pays riche, et à quel point les Grecs sont travailleurs et conscients (conscience du devoir de liberté et de l’amour pour la patrie).
Lorsque les SS et la famine tuaient un million de personnes et la Wehrmacht détruisait notre pays, confisquait toute la production agricole et l’or de nos banques, les Grecs ont pu survivre grâce à la création du Mouvement de Solidarité Nationale et d’une armée de partisans comptant 100 000 soldats, ce qui a retenu 20 divisions allemandes dans notre pays.
En même temps, non seulement les Grecs ont-ils survécu grâce à leur application au travail, mais il y a eu lieu, dans des conditions d’occupation, un grand développement de l’art grec moderne, en particulier dans le domaine de la littérature et de la musique.
La Grèce a choisi la voie du sacrifice pour la liberté et la survie en même temps.
Nous avons été attaqués, nous avons répondu avec Solidarité et Résistance et nous avons survécu. Nous faisons maintenant exactement la même chose, avec la certitude que le peuple grec sera finalement vainqueur. Ce message est envoyé à Mme Merkel et M. Schäuble, en soulignant que je reste un ami du peuple allemand et un admirateur de sa grande contribution à la science, la philosophie, l’art et la musique en particulier. La meilleure preuve de cela est le fait que j’ai confié l’intégralité de mon œuvre musicale à deux éditeurs allemands, Schott et Breitkopf, qui sont parmi les plus grands éditeurs dans le monde, et ma collaboration avec eux est très amicale.
Ils menacent de nous expulser de l’Europe. S’ils ne veulent une fois pas de nous, c’est dix fois que nous ne voulons pas faire partie de l’Europe de Merkel et Sarkozy.
Aujourd’hui, dimanche 12 février, moi et Manolis Glezos – le héros qui a arraché la croix gammée de l’Acropole, donnant ainsi le signal du début, non seulement de la résistance grecque, mais aussi de la résistance européenne contre Hitler – nous nous préparons à participer à une manifestation à Athènes. Nos rues et nos places vont être remplies de centaines de milliers de personnes qui manifesteront leur colère contre le gouvernement et la Troïka.
J’ai entendu hier le premier ministre-banquier dire, en s’adressant au peuple grec, que nous avons presque touché le fond. Mais qui nous a amené à ce point en deux ans ? Ce sont les mêmes qui, au lieu d’être en prison, menacent les députés, afin qu’ils votent pour le nouveau Mémorandum pire que le premier, qui sera appliqué par les mêmes personnes qui nous ont amenés là où nous sommes. Pourquoi ? Parce que c’est ce que le FMI et l’Eurogroup nous obligent à faire, en nous menaçant que, si nous n’obéissons pas, c’est la faillite… Ici l’on joue du théâtre de l’absurde. Les cercles qui nous haïssent (grecs et étrangers) et qui sont les seuls responsables de la situation dramatique de notre pays, nous menacent et nous font du chantage, afin de pouvoir poursuivre leur œuvre destructrice, jusqu’à notre extinction définitive.
Au cours des siècles, nous avons survécu dans des conditions très difficiles. Il est certain que, non seulement les grecs vont survivre, mais ils vont aussi revivre s’ils nous amènent de force à l’avant-dernière marche de l’escalier avant la mort.
A présent je consacre toutes mes forces à unir le peuple grec. J’essaie de le convaincre que la Troïka et le FMI ne sont pas une route à sens unique. Qu’il y a une autre solution : changer l’orientation de notre nation. Se tourner vers la Russie pour une coopération économique et la formation de partenariats qui nous aideront à mettre en valeur la richesse de notre pays en des termes favorables à notre intérêt national.
Je propose de ne plus acheter du matériel militaire des Allemands et des Français. Nous allons tout faire pour que l’Allemagne nous paie les réparations de guerre dues. Ces réparations s’élèvent, avec les intérêts, à 500 milliards d’euros.
La seule force capable de faire ces changements révolutionnaires, c’est le peuple grec uni en un Front de Résistance et de Solidarité pour que la Troïka (FMI et banques européennes) soit chassée du pays. En parallèle, il faut considérer comme nuls tous ses actes illégaux (prêts, dettes, intérêts, impôts, achats de la richesse publique). Bien sûr, leurs partenaires grecs – qui ont déjà été condamnés dans l’esprit de notre peuple en tant que traîtres – doivent être punis.
Je suis entièrement concentré sur ce but (l’Union du peuple en un Front) et je suis persuadé que nous l’atteindrons. Je me suis battu les armes à la main contre l’occupation hitlérienne. J’ai vu les cachots de la Gestapo. J’ai été condamné à mort par les Allemands et j’ai miraculeusement survécu. En 1967, j’ai fondé PAM (Patriotikò Mètopo – front patriotique), la première organisation de résistance contre la junte militaire. Je me suis battu dans la clandestinité. J’ai été arrêté et emprisonné dans « l’abattoir » de la police de la junte. Finalement, j’ai encore survécu.
Aujourd’hui, j’ai 87 ans, et il est très probable que je ne serai pas vivant le jour du sauvetage de ma patrie bien-aimée. Mais je vais mourir la conscience tranquille, parce que je continuerai jusqu’à la fin de faire mon Devoir envers les idéaux de Liberté et de Droit.
Athènes, 12.02.2012
Mikis Theodorakis
Traduit du grec par Georgios Sgourdos « Spitha »-Etincelle de Lausanne, Suisse. Relecture : Guy Wagner