Publié le : 1er mars 2012
Source : cadtm.org
par Damien Millet, François Sana, Eric Toussaint
En réaction à la crise grecque et devant le risque que représentait la contagion des crises de la dette souveraine, les États membres de la zone euro, plutôt que de s’attaquer à la racine du problème, ont mis sur pied en urgence en mai 2010 le Fonds européen de stabilité financière (FESF). Basé au Luxembourg, ce fonds temporaire (il était prévu qu’il prenne fin en juillet 2013) |1| a été conçu pour rassurer les marchés financiers. Il a pour objectif d’assurer la stabilité financière de la zone euro en fournissant de l’aide d’urgence aux pays de la zone euro en proie à des difficultés financières.
Ainsi, le FESF peut apporter des capitaux frais aux pays qui font appel à lui. Il a également la possibilité d’acheter les nouveaux titres de la dette publique émis sur le marché primaire à condition que le pays concerné mette en œuvre un programme d’austérité très strict rappelant le goût amer de la sauce FMI servie aux pays du tiers-monde depuis les années 1980 |2|. Il peut aussi intervenir sur le marché secondaire, ce qui lui permet de soulager les banques possédant des titres de la dette publique de pays « à risque ».
Comment se finance le FESF ? Il émet des obligations qui sont garanties par les États membres de la zone euro au prorata de leur participation au capital de la BCE. Sur le papier, sa capacité d’intervention était initialement de 250 milliards d’euros, puis de 440 milliards d’euros, avant d’être portée à 1 000 milliards d’euros le 27 octobre 2011.
Malgré tous ces efforts, les États membres de la zone euro n’ont pas réussi à rassurer les marchés, qui en demandent toujours plus : « Alors qu’il devait être appelé à lever des centaines de milliards d’euros sur les marchés pour faire face à la crise des dettes souveraines, il suscite dorénavant la méfiance des investisseurs. Le FESF a dû s’y prendre à deux fois pour lever 3 milliards d’euros au profit de l’Irlande. Et il a dû servir un taux d’intérêt en très forte hausse. Le différentiel avec les taux allemands a plus que triplé en cinq mois |3| ! » En réalité, au-delà des effets d’annonce des différents sommets européens, le FESF ne disposait en décembre 2011 que de 20 milliards d’euros qu’il avait péniblement réussi à collecter sur les marchés financiers par le biais de la vente d’obligations |4|. C’est une somme minuscule au regard des besoins.
Aussi, alors que le FESF avait pour mission de venir en aide à la fois aux États les plus endettés de la zone euro et aux banques privées au bord de l’abîme, il risque d’aggraver davantage l’endettement de l’Europe (particulièrement si les garanties des États membres de l’eurozone entrent en jeu) contribuant ainsi à l’éclatement de la zone euro. La Commission européenne, complètement dépassée par les événements et confrontée à l’échec du FESF, a d’ailleurs demandé début novembre 2011 une accélération des travaux visant au renforcement de la capacité d’intervention de ce fonds mais cela n’a servi à rien. Dès le mois suivant, le Conseil européen décidait d’anticiper d’un an l’entrée en fonction du successeur du FESF, le Mécanisme européen de stabilité (MES) |5|, qui sera quant à lui une véritable institution financière internationale dont l’enveloppe devrait être fixée à 500 milliards d’euros, y compris les 250 du FESF. Abondé en partie par les États, le MES sera en fait un instrument permanent de transfert des richesses des peuples vers les banques. En effet, le cadre légal du MES assujettit les peuples à être garants et cautions des dettes auprès des banques.
Pour créer le MES, le Conseil européen de mars 2011 a modifié l’article 136 du Traité sur le fonctionnement de l’union européenne en y ajoutant : « Les États membres dont la monnaie est l’euro peuvent instituer un mécanisme de stabilité qui sera activé si cela est indispensable pour préserver la stabilité de la zone euro dans son ensemble. L’octroi, au titre du mécanisme, de toute assistance financière nécessaire, sera subordonné à une stricte conditionnalité |6|. »
L’article 9 du Traité instituant le MES précise que « Les membres du MES s’engagent de manière irrévocable et inconditionnelle à verser sur demande les fonds demandés par le directeur général en vertu du présent paragraphe dans les sept jours suivant la réception de ladite demande |7| ». Les articles 27 et 30 octroient la personnalité juridique au MES, qui pourra engager des poursuites judiciaires (par exemple, envers un État qui ne lui verse pas la somme exigée), mais jouira (ainsi que les membres de la direction et du personnel) de l’immunité diplomatique. De plus, les documents du MES ne seront pas disponibles pour le grand public : « les archives du MES et tous les documents qui lui appartiennent ou qu’il détient sont inviolables » (article 27).
D’après l’accord de décembre 2011, le MES sera géré suivant la règle de la majorité qualifiée : une décision devra recueillir au moins 85 % des droits de vote pour être valide, alors que l’unanimité était prévue auparavant. Cela confère un droit de veto de fait à trois pays qui ont plus de 15 % des voix : Allemagne (27,1 %), France (20,4 %) et Italie (17,9 %). Un des autres pays ne pourra pas seul s’opposer à une décision du MES, comme ce fut le cas à l’automne 2011 pour la Finlande ou la Slovaquie.
En somme, voilà une institution qui sera permanente, antidémocratique, inattaquable sur le plan juridique, occulte, et qui pourra exiger de n’importe quel pays de la zone euro, dans un délai d’une semaine, des milliards d’euros « de manière irrévocable et inconditionnelle » ! Autant de signes qui ne trompent pas : l’Europe de la finance utilise la crise et la question de la dette publique pour prendre les pleins pouvoirs. L’austérité pour les peuples est son credo.