Publié le : 30 mars 2012
Source : marianne2.fr
Mohamed Merah: un psychopathe grandi dans l’ombre du mythe Al-Qaïda
Numéro 3 de la DGSE au moment des attentats du 11 septembre et arabophone, Alain Chouet lutte pour la démystification d’Al-Qaïda. Pour Marianne2, il analyse les défaillances du système policier et judiciaire dans la gestion du cas Merah et comment les médias et les politiques font le jeu du djihadisme en invoquant le mythe Al-Qaïda de façon incantatoire.
Marianne2: Vous avez été chef du service de renseignement de sécurité de la DGSE pendant trois ans, notamment au moment du 11 septembre. Les services de renseignement (DGSE et DCRI) ont été vivement mis en cause dans la « gestion » du cas Merah. Certaines voix affirment qu’il aurait voyagé en Afghanistan et en Israël, avec la couverture des services secrets français. Comment regardez vous ces polémiques ?
Alain Chouet: Si Merah avait été un agent (plus ou moins bien contrôlé et devenu gênant ) de la DCRI, il a eu plus de trente heures pour exprimer son ressentiment à ce sujet et agiter ses pieds dans le saladier. Avec suffisamment de journalistes et de conspirationnistes en tous genres à l’écoute de ses communications pour répercuter ses propos. Je constate qu’il ne l’a pas fait.
Ce que démontre surtout le cas Merah, c’est l’incapacité de notre système policier et judiciaire (et plus généralement notre système politique) à gérer la centaine de psychopathes qui ont grandi dans l’ombre du mythe Al-Qaïda (que nos médias ont eux même forgé….) et qui sont susceptibles à tout moment de déraper parce qu’ils ont mal à l’estomac ou parce que leur contact chez les flics (en général, ils en ont un) les a déçus pour une raison ou une autre.
J’observe (par comparaison à d’autres cas voisins) que si les flics avaient arrêté Merah sous un prétexte quelconque il y a trois semaines avant qu’il passe à l’acte, tous les bobos bien pensants auraient hurlé à la « stigmatisation », au « délit de sale gueule » et autres balivernes. Et on aurait accusé Guéant et Squarcini de braconner sur les terres du FN. Il faudrait quand même que nos élites remettent un peu les pieds sur terre. Voilà un garçon de 23 ans qui a déjà enchaîné 15 condamnations pénales pour violences et est toujours en liberté, qui va se balader en Afghanistan et au Pakistan, qui se procure pour 20 000 euros d’armes de guerre. Et croyez vous qu’il soit une exception ? Pas du tout. Venez faire un tour dans mon coin, en Arles, à Vauvert, à Nîmes ou à Alès et je vous en présenterai une douzaine du même calibre. Voyages en Afghanistan en moins. Ils préfèrent aller acheter de l’herbe au Maroc. Et tout le monde hurle au racisme quand, de temps en temps, l’un d’eux se retrouve sur les bancs du tribunal d’où ils sortent en général libres en tirant des bras d’honneur à Mme le procureur à laquelle ils ont fait savoir à l’audience qu’ils savent où elle habite et où ses gamins vont à l’école….
Très vite, sur les plateaux télés, la plupart des « experts anti-terroristes », ont évoqué la thèse du « loup solitaire ». Pourtant il n’était pas inconnu des services de renseignements et son frère a évoqué un complice. Compte tenu de votre expérience, que vous inspire le cas Mohamed Merah ?
Je pense que nous sommes dans le cas de Merah dans un contexte psychiatrique plus que dans un contexte politique ou terroriste. Rien ne distingue son cas de celui d’un Anders Breivik en Norvège ou de ces tireurs fous qui défrayent régulièrement la chronique aux Etats Unis. La seule différence est qu’il se réclame de l’Islam au lieu d’invoquer Hitler ou un quelconque Dieu évangéliste vengeur.
On peut l’assimiler à un « loup solitaire » au sens donné à ce mot par William Pierce dans les Turner Diaries (NDLR: William Pierce était un idéologue d’extrême droite, auteur influent dont on estime que ce roman est l’une des sources littéraires du concept de « la résistance sans leader » ) : individu fragilisé et motivé pour une cause, il bascule spontanément dans la violence et commet – sans en avoir reçu instruction particulière de qui que ce soit – un acte spectaculaire qui va dans le sens stratégique général de cette cause sans en « mouiller » les promoteurs qui conservent alors tous les aspects de la légalité. Sauf qu’il est en retard de deux ou trois métros.
Les promoteurs du salafisme politique (dont Al-Qaïda), qui jouaient sur ce genre de ressort depuis 1998 pour isoler le monde musulman de l’Occident et y prendre le pouvoir, n’ont plus besoin de ce genre de zozos – au moins pour le moment. Dans la mesure où l’Occident lui même leur ouvre toutes grandes les portes du pouvoir dans la plupart des pays arabes, ils n’ont plus intérêt – hors les territoires de confrontation armée directe (Afghanistan, Irak) – à agacer les Occidentaux par des actions inconsidérées. Vous n’aurez pas manqué de remarquer depuis maintenant plus d’un an la disparition quasi absolue des actes de violence terroriste djihadiste organisés.
Votre dîtes qu’Al Qaïda n’existe plus en tant que structure, mais si elle n’existe plus en tant qu’organisation, elle continue manifestement d’être un « label » dont se revendiquent des petites frappes de banlieue. En ce sens, les assassinats de Montauban et Toulouse ne constituent-ils pas un grand succès pour Al-Qaida puisque les auteurs ont besoin de très peu d’argent et d’une logistique réduite pour passer à l’acte ?
Si Al-Qaïda n’existe plus en tant que structure, à quoi peuvent donc lui servir les actions de tel ou tel ? Le terrorisme, quel qu’il soit est une action d’économie. Celui des djihadistes n’a en cela rien d’original. Les actions de Merah peuvent évidemment susciter des émules mais on restera dans le domaine de la pathologie. Pour le reste, tout dépend de ce que nos politiques et nos médias feront de ces actes. Ce sont bien nos politiques et nos médias qui font le jeu du djihadisme en invoquant de façon incantatoire l’organisation mythique. Que, dans son délire pathologique, Merah s’auto-proclame inspiré par Al-Qaïda, n’en fait pas un membre d’une supposée « internationale ». Quand, il n’y a pas très longtemps, Monsieur Noureddine Amrani a entrepris de révolvériser une demi douzaine de citoyens liégeois en Belgique, personne n’a invoqué le mythe Al-Qaïda. On a pris Amrani pour ce qu’il était, à savoir un déséquilibré. Et l’affaire en est restée là. Ce que tout le monde serait bien avisé de faire en ce qui concerne Merah.
Cette évolution vers un terrorisme de « loups solitaires » avait pourtant été théorisée par l’un des stratèges d’Al Qaïda, Abu Musaab As-Suri, sorti récemment des prisons syriennes. Cela ne suffit-il pas à « coller » à Mohamed Merah le label Al-Qaïda ?
Abu Mussaab as-Souri ne fait que reprendre la doxa de Sayyid Qotb enrichie par Ayman Zawahiri. C’est une variation assez peu originale sur le thème du « lone wolf ».
Pour, l’ex-agent de la CIA, Marc Sageman, psychiatre et auteur du « vrai visage des terroristes », ce « djihadisme sans leader » nécessite «un flot constant de nouvelles actions violentes pour maintenir l’intérêt de nouvelles recrues potentielles », il en concluait que ce terrorisme allait disparaître de lui-même. Est-ce que vous partagez cette analyse ?
Je suis d’accord sur la première partie de ce que dit Sageman, mais plus nuancé sur la conclusion. Le terrorisme djihadiste est en phase d’étiage parce que les salafistes (Frères Musulmans, wahhabites et consorts) sont un peu partout en train de gagner le pouvoir qu’ils cherchaient à obtenir par la violence et qui leur est aujourd’hui offert par la voie politique. Ils ont donc tout intérêt à calmer le jeu. Mais si le pouvoir se faisait trop attendre pour eux, ils peuvent réactiver à tout moment la violence en suscitant une action massivement spectaculaire (type 11 septembre, attentats de Madrid ou Londres) afin de remobiliser le troupeau des « lone wolf ».
Après la mort de Mohamed Merah, Nicolas Sarkozy a déclaré « nous ne pouvons accepter que nos prisons deviennent des terreaux d’endoctrinement à des idéologies de haine et de terrorisme ». Il a également pointé les sites web qui font l’apologie du terrorisme et les personnes qui se rendent à l’étranger pour y suivre des travaux d’endoctrinement. Bernard Squarcini, le directeur central du renseignement intérieur, affirmait de son côté que le jeune homme s’était « auto-radicalisé tout seul, en lisant le Coran » et selon le chercheur Farhad Khosrokhavar, le phénomène des radicalisations de groupe en prison est daté. Est-ce que le discours de Nicolas Sarkozy vous paraît avoir un quelconque rapport avec la difficulté « à gérer la centaine de psychopathes qui ont grandi dans l’ombre du mythe Al-Qaïda » ?
Je pense que Farhad Khosrokavar a en grande partie raison. Les prisons sont en général redevenues plutôt des « écoles du crime » que des lieux de mobilisation et d’endoctrinement politico-religieux. Ce n’est pas une raison pour abaisser la garde sur ce phénomène. En ce qui concerne l’utilisation de l’internet et les « voyages d’agrément » à Kandahar ou au Waziristan, il faudrait d’abord que les contre mesures annoncées à grand son de trompe soient techniquement et juridiquement possibles. Ce qui n’est pas évident.
Et ira-t-on mettre en prison ceux qui vont écouter les prêches de Youssef Qardhawi (l’un des principaux inspirateurs du djihadisme violent) à Qatar ? ou d’autres de ses émules du même tonneau au Caire ou à Amman. Demain à Tripoli, Tunis ou Damas.
La semaine dernière, l’Ambassade de France à Qatar a délivré (à la demande des autorités locales…) un visa à Qardhawi pour se rendre au pince-fesses annuel de l’UOIF. Ce visa a été annulé à la toute dernière minute par Paris…. Mais, si cela fâche trop l’Emir, je ne doute pas qu’on reviendra sur ce refus.
Au demeurant, tout cela n’est qu’une partie du problème. Les terroristes de Londres, Madrid, Bali ou Casablanca n’avaient jamais fait de voyage en zone sensible ni subi aucun entraînement ou formation. Pas plus que Merah d’ailleurs qui a dû écourter ses deux séjours sur zone pour des raisons diverses sans recevoir aucune formation particulière. Quant à apprendre à tirer à la Kalach ou au 11,43, ça se fait sans problème et sans avoir à voyager avec visa dans certaines de nos banlieues. Il suffit d’y mettre le prix. C’est peut être de ça dont il faudrait aussi s’occuper.