Publié le : 06 mai 2012
Source : atlantico.fr
…compte bien profiter de mon dernier dimanche en tant que citoyen perdu qu’il faut convaincre avant de redevenir lundi un facho indésirable…
Ils sont les stars incontestées de l’élection présidentielle. Depuis le premier tour, il est difficile d’échapper à un portrait sociologique des militants frontistes. Des ouvriers de peu de culture, travaillant de leurs mains, vivant en semi-autarcie dans un milieu rural, où l’immigration est totalement absente, effrayés par cet étranger qu’ils ne connaissent pas. En quelques heures, l’électeur du Front national est passé, dans l’imaginaire politique, du statut de néo-nazi raciste et haineux à celui de pauvre plouc ignorant à qui l’on n’a pas expliqué les choses avec des mots à sa portée.
Et depuis le soir du premier tour, je suis quelqu’un d’exceptionnel : je vis en ville, dans une zone d’immigration dense, comme depuis toujours, j’ai une bibliothèque très fournie pour un semi analphabète, des livres avec peu d’images, je vis de ma plume, et je suis même allé à l’université faire mes humanités. Malgré tout cela, j’ai voté Front national.
Vous voyez bien que je suis quelqu’un d’exceptionnel.
Bien sûr, il y a une autre explication : celle que les gens se trompent, mais pour des raisons d’ego je préfère l’ignorer. Il y a deux semaines, j’étais un salaud, je profite un peu de ma popularité aussi inattendue qu’éphémère. Vous avez remarqué ? Messieurs Sarkozy et Hollande multiplient les déclarations, ils veulent me parler, à moi ! M’expliquer que je me trompe, que mes valeurs ne sont pas républicaines, qu’il ne faut pas avoir peur, juste voter pour eux.
Mais enfin, un peu de cohérence : si je ne suis momentanément plus infréquentable, mon parti, lui, le reste : il suffit d’observer ce qui se passe lorsqu’un leader de la droite suggère que peut être, il serait possible d’envisager de discuter avec le Front national.
Et je suis républicain, me semble-t-il. Je n’ai pas marché sur l’Elysée avec un fusil pour en chasser l’occupant et installer Marine Le Pen à sa place, je me suis rendu dans un bureau de vote pour déposer dans une urne un bulletin à son nom. Expliquez-moi en quoi c’est antirépublicain. Et expliquez moi en quoi Messieurs Hollande, Mélenchon, Madame Joly, et j’en passe, ont le droit de dire ce qui est républicain ou pas. Ils ont des diplômes de République ?
Je ne l’ai pas fait non plus par dépit. Je crois vraiment que le programme de Marine Le Pen est bon, même si certains points ne m’agréent pas. Il n’y a rien d’exceptionnel à cela, voter ne consiste pas à choisir le candidat dont absolument toutes les idées ont remporté votre adhésion. Je ne peux m’empêcher de croire que quelqu’un qui est d’accord avec absolument tout ce que dit le candidat est soit victime d’un lavage de cerveau, soit un extrémiste. Je n’aime pas les extrémistes.
Je sais ce que vous pensez : ce garçon n’est pas net, il vote pour le Front national tout en se comportant en Zoïle de l’extrémisme. Et si vous faisiez erreur, et que le Front national n’était pas un parti extrémiste ? Imaginez que le Front soit un parti réellement gaulliste, et que c’est ce qui aurait pu m’attirer, en tant qu’ancien militant du RPR (celui d’avant la trahison de Chirac).
Je suis gaulliste, comme je crois, à la lire et à l’écouter, que Marine Le Pen l’est. Ce qui doit embêter son papa, qui lui ne pouvait pas supporter les gaullistes. Pauvre Marine : imaginez quel doit être son calvaire, partagée entre l’amour filial et l’impatience que le vieux Jean-Marie tire sa révérence et lui laisse le champ libre.
Bon, vous devez piaffer : évacuons, si vous le voulez bien, le sujet du racisme. Vous pensez que je vote Front national parce que je suis raciste ? Voyons… Vous ai-je dit que j’avais fait des études ? Et que n’étant point trop idiot, j’ai vite compris qu’il y avait génétiquement autant de différences, mettons, entre un homme noir et moi, qu’avec n’importe quel homme blanc qui n’est pas de ma famille. Le racisme est une chose idiote, d’un point de vue scientifique.
Je suis contre l’immigration pour des raisons pragmatiques qu’il serait trop long de détailler ici. On m’oppose des raisons idéologiques. L’idéologie est une bonne chose, quand on en a les moyens. Les caisses sont vides, et le chômage est à dix pour cent de la population active : désolé, les grandes et belles idées ne sont pas dans nos moyens.
Et l’idée qu’il puisse y avoir des Français blancs, des Français noirs, des Français jaunes avec les yeux bridés, ne me choque pas. Que mon voisin soit bouddhiste, chrétien, juif ou musulman, quelle importance ? C’est son choix, ça le regarde. Qu’il mange de la viande provenant d’un animal égorgé sans étourdissement et qu’on laisse agoniser vingt minutes avant que la mort ne vienne le délivrer n’est pas non plus un problème pour moi. Tant qu’on me laisse la possibilité de savoir que mon steak provient de cet animal, la possibilité de refuser de le manger et d’en obtenir un plus conforme à mes convictions, et le droit de dire que cette préconisation est barbare et rétrograde. Le droit, donc, de critiquer sa religion et celle des autres.
Je ne suis pas non plus contre l’Europe, je suis contre cette Europe. Qui sont ces gens qui constituent la Commission qui semble tout régenter ? Je ne me rappelle pas avoir voté pour eux. Je ne suis pas pour la peine de mort. Marine si, mais elle a déclaré qu’elle ferait un référendum. J’ai suffisamment foi en mes compatriotes pour croire qu’ils refuseront le rétablissement de la peine capitale, mais s’ils font un autre choix, en tant que républicain, je m’inclinerai.
Il y a tant d’autres sujets. Marine Le Pen m’a parlé de liberté, de démocratie directe, et d’amour de la France, tandis que les autres crachaient leur haine, tous à leur façon, du patriotisme. Comment parler de cela sans évoquer la bien-pensance, la pensée unique ? Sous couvert d’une noble cause, lutter contre le racisme, l’on a réussi à imposer un véritable lavage de cerveau aux élites. Demander un débat sur l’immigration aujourd’hui est un crime.
Que ferai-je dimanche ? Je voterai blanc. D’un côté, il y a Hollande, dont les projets sont opposés à mes convictions. De l’autre, Sarkozy. J’ai voté pour lui en 2007. Il m’a trahi. Voter contre Hollande ? C’est tentant, mais non. Je prends le pari d’une abstention record. Le report de voix des abstentionnistes serait proportionnel, je crois, pour chaque candidat. Je préfère un Hollande élu avec 60 pour cent des suffrages exprimés, qu’avec 95 pour cent. Mais j’irai voter, c’est un droit précieux.
Et dès lundi, je prendrai ma carte au Front National, pour préparer l’après, les législatives, et les cinq années à venir, sur les cendres de cet UMP qui n’a jamais été un parti gaulliste. Elles seront difficiles. Parce que, si pour l’instant, nous sommes des électeurs perdus qu’il faut convaincre, dès lundi, nous serons redevenus des fachos indésirables, et la chasse aux sorcières sera ouverte.
Guillaume Bailly