Publié le : 09 mai 2012
Source : michelcollon.info
S’il y a bien quelque chose que le socialiste français fera pour le continent, c’est légitimer un capitalisme européen instable de par nature et profondément injuste.
Disons-le crûment : si vous pensez encore que la victoire de François Hollande puisse changer la moindre petite chose à cette écrasante crise de la dette européenne, vous vous bercez d’illusions. Si les événements de ces trois dernières années nous ont bien appris quelque chose, c’est que les politiciens ne dirigent pas l’Europe… Contrairement aux marchés financiers. C’était déjà comme ça lorsque Mittérand est arrivé au pouvoir il y a trente ans, et c’est encore plus scandaleusement vrai aujourd’hui.
Plus important encore pour l’avenir du continent : l’inévitable banqueroute de la Grèce. Car la nature de l’Union européenne ne changera pas au travers de timides réformes. Il faut imposer des mesures institutionnelles radicales en réponse au chaos social qui règne. Hollande a bien promis de renégocier le Pacte de croissance et de stabilité de l’Eurozone. Mais seul un défaut de paiement à part entière de la Grèce nous permettra de voir l’émergence d’une véritable alternative à l’austérité.
C’est pourquoi, même si la Grèce et la France vont aux urnes aujourd’hui, je refuse de lire les news. Pas parce que je me fous de la politique – j’en ai fait un objet d’étude durant presque toute ma vie – mais parce que je ne pense pas que l’issue de ces élections aura beaucoup d’incidence sur l’avenir de notre continent. Certes, le résultat pourra être un bon indicateur de la température sociale et de la résistance croissante contre les politiques d’austérité. Mais dans les grandes lignes, ce ne sont de toute façon ni Hollande ni Sarkozy qui tirent les ficelles, ce sont les puissants investisseurs institutionnels.
Avant que je ne sois accusé d’apathie politique, laissez-moi préciser que je ne suis ni misanthrope ni déterministe sur l’avenir de l’Europe. Le futur doit encore être écrit. Et la résistance populaire contre les mesures d’austérité sera cruciale pour extirper les dynamiques hors de l’assaut néolibéral contre l’Etat-providence et les principes démocratiques. Mais aujourd’hui, au 21ème siècle, les batailles décisives pour l’avenir de l’humanité ne se tiennent plus dans les parlements et les ministères mais bien dans les Bourses et dans les rues.
Il y a plusieurs raisons pour lesquelles l’élection du candidat socialiste n’aura pas de gros impact sur l’avenir de la crise de la dette de l’Eurozone. Tout d’abord, les banques françaises détiennent encore la majorité de la dette grecque. Elles vont donc exercer d’énormes pressions sur Hollande pour qu’il ne renégocie pas le pacte d’austérité – et elles vont réussir. Deuxièmement, l’Allemagne, la puissance hégémonique incontestée d’Europe, fera la même chose – et là aussi, ils y arriveront. Même si des concessions orwelliennes pourront être faites, comme mettre l’accent sur « l’investissement et la croissance », les données institutionnelles de la crise Eurozone resteront les mêmes.
La seule chose que ces élections pourraient changer, c’est la perception populaire du système. En parlant de croissance, de jobs et d’investissement, Hollande pourrait – tout comme le président Kirchner en Argentine avant lui – aider à nourrir l’illusion que les maladies du système capitaliste peuvent être contenues par un changement de politique. Comme l’économiste néo-keynésien Paul Krugman l’a si simplement dit dans le New York Review of Books : « La vérité, c’est que la reprise pourrait être atteinte tellement facilement que c’en est ridicule : tout ce que nous avons besoin, c’est le contraire des politiques d’austérité menées ces deux dernières années et temporairement booster les dépenses. »
Manifestement, les choses ne sont pas tellement faciles que c’en est ridicule, quoiqu’en disent Krugman ou Hollande. Au final, la vérité sur les problèmes de l’Europe c’est qu’ils sont structurels. La crise n’est pas le résultat de « mauvaises » politiques. Elle ne pourrait donc pas être résolue par de « bonnes » politiques. Finalement, la crise est une conséquence logique du capitalisme financiarisé de l’ère néolibéral combiné à un cadre institutionnel dysfonctionnel. Ce cadre cherche désespérément à équilibrer une intégration économique profonde au niveau européen avec ce qu’il reste d’institutions représentatives archaïques au niveau national.
La crise de la dette Eurozone découle des contradictions internes du capitalisme mondial : la stagnation des salaires a alimenté un excédent de capital qui devait être recyclé par les institutions financières. Celles-ci ont alors acheté des actifs apparemment rentables mais qui se sont avérés improductifs, comme les emprunts espagnols ou irlandais, ou les obligations grecques, portugaises et italiennes. Pour résoudre les problèmes de la dette, il faudra restructurer massivement les mauvais prêts (c’est-à-dire, par un défaut de paiement jamais vu) tout en dévaluant les devises pour la périphérie en crise (c’est-à-dire une sortie de l’euro).
Hollande n’a rien proposé de la sorte – et ce n’est pas une surprise en soi. Les sociaux-démocrates ne sont pas connus pour leur bravoure radicale, et la démocratie représentative en tant que telle n’a jamais été désignée pour produire des solutions radicales aux crises structurelles. Une question plus existentielle donc : les Etats-nations peuvent-ils faire quelque chose pour commencer à gouverner les marchés mondiaux ? A cet égard, le slogan de campagne de Hollande, « le changement c’est maintenant », sonne aussi creux que celui d’Obama, « le changement dans lequel vous pouvez croire ».
Les élections en Grèce sont seulement marginalement plus intéressantes ; pas parce que les politiciens grecs peuvent prétendre avoir une quelconque forme d’autonomie (tel qu’il est, le gouvernement grec dépend totalement de ses créanciers étrangers pour payer ses fonctionnaires). Non, ce qui est intéressant, comme Costas Douzinas l’a récemment indiqué : « C’est la première fois qu’il y a la possibilité de voir émerger un gouvernement de gauche radicale en Europe. » Mais une telle coalition de gauche a peu de chance de se former, et la formation du prochain gouvernement sera probablement embourbée dans le chaos.
Les élections d’aujourd’hui en Grèce ne déboucheront probablement pas sur une majorité absolue ni sur la formation d’une coalition claire. Ca veut dire que le pays pourrait devenir littéralement ingouvernable. Un gouvernement technocratique pourrait être appelé à la rescousse par le président, mais on pourrait sérieusement se demander comment un tel gouvernement parviendra à porter efficacement les mesures d’austérité – en particulier face à une résistance populaire qui ne désemplit pas les rues. Ironie du sort donc, le seul espoir de l’Europe pour une véritable alternative dépend de la possibilité très réelle que la Grèce, ce maillon essentiel de la chaîne, puisse simplement plonger dans le chaos.
A ce moment-là, un défaut de paiement de la Grèce et une sortie de l’euro pourrait enfin forcer à adopter le type de changement institutionnel que les leaders anti-austérité comme Hollande craignent de proposer aujourd’hui. Malheureusement, il semble que, en cette époque de rêves brisés, nos représentants politiques ne gouvernent que par leur incapacité à gouverner.
Jerome Roos
Traduit de l’anglais par Investig’Action