Publié le : 09 mai 2009
Source : lepoint.fr
Selon le conseiller le plus influent de Sarkozy, sa stratégie très à droite était la seule possible.
« Si Nicolas Sarkozy perd, c’est que je l’aurai mal conseillé. » Patrick Buisson faisait claquer ces mots devant nous, il y a un an tout juste, en mai 2011. Ce jour-là, les yeux du polito-idéologue le plus influent du quinquennat avaient l’éclat de l’orgueil bien placé : là où se joue l’idée que l’on se fait de soi-même.
Nicolas Sarkozy a perdu. Cette élection est sa défaite avant d’être la victoire de François Hollande. Buisson, cet intellectuel maurrassien qui, de 2005 à 2012, a inventé, puis façonné le sarkozysme, a-t-il mal conseillé son candidat ? C’est l’histoire que vont (se) raconter tous ces ministres, tous ces dirigeants de l’UMP que, cinq ans durant, cet « irrégulier » – le mot est de lui – venu de la droite de la droite n’a pas daigné rencontrer ni même rappeler. Tous les gaullistes, les humanistes, les centristes, les Juppé, Fillon, Raffarin, Guaino, qui n’ont cessé de prononcer les deux syllabes sifflantes de son nom d’arbrisseau comme s’il s’était agi du diable. Tous ceux qui jalousaient l’influence que l’ancien directeur de Minute puis de Valeurs actuelles exerçait sur Sarkozy. Tous ceux qui contestaient ce que le président avait dit de son cartomancien préféré en le décorant de la Légion d’honneur, en septembre 2007 : « C’est grâce à lui que j’ai été élu. » Considérera-t-il, cette fois-ci, que c’est par sa faute qu’il a été battu ?
Le pouvoir d’achat, c’est comme le beau temps »
« Ce soir, j’ai eu une pensée compatissante pour Buisson. Il va se faire massacrer », confiait un cacique de la majorité sitôt connus les résultats du… premier tour. « Comment voulez-vous, poursuivait-il, que Buisson, qui avait pour mission de siphonner le Front national, survive à ce résultat : Marine Le Pen à presque 18 % ? Sa stratégie a légitimé et crédibilisé les thématiques du FN. Il est mort ! » C’est, dans un premier temps, tout l’inverse qui s’est produit. Sarkozy a remercié son conseiller, le 22 avril : « Sans toi, je n’étais pas au second tour. » Le même soir, le président a eu quelques mots férocement ironiques à l’intention d’Alain Juppé et de François Fillon : « Quand je pense que certains voulaient que je fasse campagne au centre… » C’est la première chose qu’il leur a assénée lorsqu’ils sont arrivés à l’Élysée. Comment mieux dire qu’il n’a pas apprécié leurs réserves sur la stratégie droitière ?
Dans cet entre-deux-tours, Buisson a été le « dernier espoir du président », selon l’expression de l’ancien ministre Hervé Novelli, qui soulignait alors : « Pendant quinze jours, plus personne à l’UMP ne peut contester officiellement l’école buissonnière. » Laquelle reposait sur l’analyse suivante, étayée par Buisson devant Sarkozy : « Le vote pour Marine Le Pen n’est pas un vote de protestation, c’est un vote d’adhésion aux idées du FN. Les 6,5 millions de gens qui ont voté pour elle expriment leur attachement à un mode de vie et leur refus de la mondialisation. Ces 6,5 millions de gens, vous allez en faire quoi ? L’immigration arrive en tête comme motivation pour 86 % de ceux qu’on sonde. Dans les enquêtes d’opinion, l’emploi et le pouvoir d’achat sont des items rhétoriques. Leur négativité n’existe pas. Personne n’est contre le pouvoir d’achat. C’est comme le beau temps, ce n’est pas clivant. »
« Bande de crétins »
Le soir du premier tour, Buisson grondait dans le téléphone : « Vous vous êtes trompés sur tout, vous, la médiacratie ! Bande de crétins, si on avait fait une autre campagne, si on avait adopté une autre stratégie, Sarkozy était à 22 %, Marine Le Pen à 23 %, et c’était un 21 avril à l’envers ! Il n’y a pas besoin d’être un expert en politologie pour comprendre cela. Comment voulez-vous que des électeurs qui hésitent entre Le Pen et Sarkozy le choisissent, lui, s’il ne fait pas campagne au peuple ? On a eu la bonne stratégie. On a bien senti ce qui se passait dans le pays. » Comment, alors, expliquer que Sarkozy arrive deuxième derrière Hollande ? « Ce sont les couillons qui ont parlé de nommer Bayrou Premier ministre. Vous savez bien : Juppé, Raffarin et Pécresse… » Buisson n’a pas attendu de connaître le résultat du premier tour pour s’indigner des déclarations publiques de ces trois « irresponsables », s’offusquait-il, qui ont commencé de faire des appels du pied à Bayrou dès la fin du mois de mars. Quand on lui fait remarquer que Sarkozy n’a pas fermement démenti, et que, surtout, il a annoncé sur France 2, le 12 avril, que « si c’était à refaire », il referait l’ouverture, Buisson soupire : « Le président a perdu du terrain quand il s’est mis à parler d’ouverture. Tout ça nous a fait perdre 2 points. » Il faut reconnaître à Buisson une vraie constante : il s’est toujours insurgé contre l’ouverture. Depuis 2007. « On ne peut pas se faire élire sur un programme de droite décomplexée et prétendre gouverner avec des socialistes », pestait-il à l’époque. Sarkozy n’a pas tenu compte de ses mises en garde.
Car Buisson n’a pas été écouté sur tout et il tient à le faire savoir, à présent qu’il est le mieux placé pour être désigné à la vindicte publique comme l’affreux père de la défaite. « Si Nicolas perd, Patrick sera le premier à être mis en cause », confirmait Brice Hortefeux à la veille du second tour. Ce n’est pas pour rien que Buisson, anticipant ces attaques, a tenté de se dédouaner auprès de nous tant qu’il était encore temps : pendant l’entre-deux-tours. Comme si, pour lui, l’heure était à l’inventaire avant liquidation. Il fallait l’entendre rappeler son hostilité à l’ouverture, donc ; il fallait le voir pointer les conséquences dans les sondages, sitôt que ladite ouverture s’est invitée dans la campagne de Sarkozy. « Regardez les courbes ! » insistait-il. Et de nous faire passer un graphique « passionnant et d’une lisibilité parfaite », assurait-il. On y observe que Sarkozy commence à baisser juste avant l’égalité des temps de parole, quand « le message devient confus parce que l’idée d’ouverture est réactivée ». C’est-à-dire quand le président-candidat dévie de la ligne Buisson.
Un « homme vraiment curieux » (Hortefeux)
« Sarkozy aurait dû être à 30 % », martèle-t-il, avant de nous inviter à lire ce que le géographe Christophe Guilluy a déclaré à Marianne (« La stratégie Buisson n’a pas échoué ») et ce que Valérie Pécresse a affirmé dans Le Figaro du 26 avril (« L’analyse de Patrick Buisson est juste depuis le début »). Buisson, qui recense les mots aimables à son endroit, sera heureux d’apprendre que Hortefeux ne pense pas autre chose : « Nicolas est monté tant qu’il a suivi la stratégie de Buisson. Quand la ligne a été brouillée, il a baissé. C’est Buisson qui avait raison », conclut-il en précisant : « Je n’ai aucune affinité particulière avec lui. C’est un homme vraiment curieux. Nicolas aussi pense qu’il est un peu fou, mais il a une totale confiance dans son analyse de l’opinion. » Même ce ministre, ô combien rétif aux « buissonneries », le concède : « Je ne suis pas sûr qu’on aurait gagné avec une autre stratégie. » On croirait entendre Buisson : « Il n’y avait pas d’autre campagne, pas d’autre stratégie possible que celle que j’ai proposée. »
Peut-être. Mais voilà : il faut un coupable. Certes, pour ne pas le devenir, celui-là vous indique qu’il a « émis toutes les réserves possibles et imaginables au sujet du choix de Nathalie Kosciusko-Morizet comme porte-parole du candidat. Une bobo pour s’adresser aux électeurs du FN, c’était une erreur de casting. » Certes, il vous relate qu’il a plaidé pour une entrée en campagne « un mois plus tôt. Quand on est challenger, on a intérêt à faire une campagne raisonnablement longue. » Certes, il regrette la campagne de 2007 : « La campagne de 2012 a été beaucoup moins transgressive. En 2007, Nicolas prononce les mots racaille et Kärcher. » Certes, il vous annonce en ronchonnant : « On ne peut pas obtenir satisfaction sur tout, dans une campagne. » Qu’importe : il était le gourou ; il sera le bouc émissaire.
Mayonnaise
« Patrick a été préposé pour rattraper une mayonnaise. Or, une mayonnaise, c’est irrattrapable, estime Philippe de Villiers, dont Buisson fut le conseiller et l’ami. Il aurait dû dire à Sarkozy que ce n’était pas possible. » Au lieu de quoi il a voulu y croire. « Vous n’entendez pas la voix sépulcrale qui monte des entrailles de la terre de France ? nous apostrophait-il fin mars. Clovis, Jeanne d’Arc, Bayard ! Nicolas Sarkozy est porté par une dynamique qui va l’emmener à l’élection. Ça ne va pas faire plaisir aux journalistes, mais il va être réélu. » À peine un mois plus tard, à une semaine du second tour, notre homme se projetait déjà dans l’après-défaite : « Entre l’UMP et le FN, l’affrontement aura lieu, c’est sûr. Ce sont deux locomotives lancées à toute vitesse sur les mêmes rails. Si Sarkozy est battu, la droite aura les plus grandes difficultés à reconstruire une offre politique compétitive. » À moins qu’elle ne fasse appel à ses services.
Anna Cabana