Publié le : 16 mai 2012
Source : alterinfo.net
…Comme antidote à la pseudo science du darwinisme-social et du malthusianisme
L’oligarchie s’appuie depuis toujours sur des thèses plus que fumeuses pour justifier son règne sans partage et la division de la société en dominant / dominé, maître /esclave, patron / employé, oppresseur / opprimé. Du “droit divin” on est passé aux théories pseudo-scientifiques bénéficiant l’oligarchie au détriment des peuples: le malthusianisme et son renouveau néo-malthusianiste ainsi que le darwinisme-social sont les piliers de la propagande élitiste et eugéniste qui a toujours plus que jamais cours aujourd’hui.
Il convient d’exposer ces supercheries et de rendre aux peuples la confiance en eux-mêmes. Il n’y a pas plus d’inéluctabilité socio-biologique de l’oppression que de beurre en branche… Qu’on se le dise et qu’on agisse !!…
L’article traduit ci-dessous aide…
Où est Kropotkine quand on a vraiment besoin de lui ?
Le 8 Février 1921, vingt mille personnes, bravant des températures si froides que les instruments de musique gelaient, se rassemblèrent et marchèrent en procession funéraire dans la ville de Dimitrov, une banlieue de Moscou. Ils vinrent pour rendre un dernier hommage à un homme, Pierre Kropotkine et à sa philosophie: l’anarchisme.
Quelques 90 ans plus tard, peu de gens connaissent Kropotkine. De plus, le mot anarchisme a été tellement vidé de sa substance, qu’il est devenu synonyme de chaos et de nihilisme. Ceci est d’autant plus regrettable, qu’à la fois l’homme et la philosophie qu’il fit tant pour développer, ont tant à nous apprendre en 2012.
Je suis même étonné qu’Hollywood ait toujours à découvrir Kropotkine, car sa vie est un roman et faite de trucs dont on fait les grands films. Né privilégié, il a passé sa vie à lutter contre l’injustice et la pauvreté. Révolutionnaire toute sa vie durant, il était aussi un géographe et un zoologiste de renommée mondiale. De fait, l’intersection de la politique et de la science fut la caractéristique de la plus grande partie de sa vie.
Ses luttes contre la tyrannie furent la cause pour lui, d’années passées dans les geôles russes et françaises. La première fois qu’il fut emprisonné en Russie, une levée de boucliers d’un grand nombre d’intellectuels du monde entier mena à sa libération. La seconde fois, il planifia et réalisa une évasion spectaculaire et parvint à quitter le pays. A la fin de sa vie, de retour dans sa Russie natale, il soutint avec enthousiasme le renversement du tzar, mais condamna de manière égale les méthodes violentes et de plus en plus autoritaires de Lénine.
Dans les années 1920, Roger N. Baldwin résuma Kropotkine de cette façon:
“Beaucoup de personnes qui le connurent personnellement se réfèrent à Kropotkine comme étant ‘l’homme le plus noble’ qu’ils aient jamais rencontré. Oscar Wilde le qualifia d’une des deux seule personnes véritablement heureuse qu’il ait jamais rencontrée… Dans le mouvement anarchiste, il était tenu en la plus haute affection par des milliers de gens, les ouvriers français l’appelaient ‘notre Pierre’. N’assumant jamais une position de chef, il menait par la force morale de sa personalité et sa largeur d’esprit. Il incarnait une mesure extraordinaire de hautes qualités avec un sens social des plus fin et des plus passionné. Sa vie a fait forte impression sur une grande variété de classes, du monde scientifique, du mouvement révolutionnaire russe, des mouvements radicaux de toutes les écoles et dans le monde littéraire qui était peu enclin à la science et à la révolution.”
En ce qui nous concerne, son héritage le plus profond demeure dans son travail sur l’anarchisme, une philosophie dont il fut sans doute la figure de proue. Il s’aperçut que la société se dirigeait dans la mauvaise direction et il identifia la bonne direction à suivre en utilisant la même méthode scientifique qui l’aida à bouleverser la profession de géographe en prouvant que les cartes existantes de l’Asie avaient les montagnes alignées dans la mauvaise direction.
L’évènement déterminant qui mena Kropotkine à embrasser l’anarchisme fut la publication du travail de Charles Darwin “De l’origine des espèces” en 1859. Alors que la thèse de Darwin sur l’Homme descendant du primate était très controversive, sa thèse sur la sélection naturelle qui impliquerait “une survie du plus apte” au travers d’une lutte violente entre et au sein des espèces, fut adoptée de manière enthousiaste par le 1% de l’époque afin de pouvoir justifier chaque inégalité sociale comme étant une conséquence inéluctable de la lutte pour l’existence. Andrew Carnegie insista sur le fait que d’après lui la “loi” de la compétition est “meilleure pour l’espèce car elle assure la survie du plus apte dans tous les départements”. “Nous acceptons et nous nous réjouissons de la grande inégalité et de la concentration des affaires dans les mains du plus petit nombre.” L’homme le plus riche de la planète, John D. Rockefeller, surenchérit péremptoirement en disant: “La croissance d’une grosse affaire n’est que la survie du plus apte… La mise en application d’une loi de la nature.”
En réponse à un essai très largement diffusé de Thomas Huxley au XIXème siècle: “La lutte pour l’existence dans la société humaine”, Kropotkine écrivit une série d’articles pour le même magazine et qui furent plus tard publiés sous la forme du livre “L’entr’aide, un facteur de l’évolution”.
Il trouva que la vision des darwinistes-sociaux était contredite par sa propre recherche scientifique. Après cinq années passées à observer la vie sauvage en Sibérie, Kropotkine écrivit: “J’ai échoué dans ma quête, bien que je fus avide de trouver, de l’âpre lutte pour l’existence… qui est considérée par la plupart des darwinistes, comme la caractéristique dominante, et le facteur principal de l’évolution.”
Kropotkine honorait Darwin pour sa perspicacité à propos de la sélection naturelle mais pensait que le principe directeur de la sélection naturelle était la coopération et non pas la compétition. Les plus aptes étaient en fait ceux qui coopéraient.
“Les espèces animales, dans lesquelles la lutte individuelle a été réduite à sa plus simple expression et la pratique de l’entr’aide mutuelle a atteint le plus grand degré de développement, sont invariablement les plus nombreuses, les plus prospères et les plus tournées vers le progrès… Les espèces anti-sociales, au contraire, sont condamnées à dépérir.”
Il passa le reste de sa vie à promouvoir ce concept et la théorie de structure sociale connue sous le nom d’anarchisme. Pour les Américains, l’anarchisme est synonyme de désordre. Mais pour Kropotkine, les sociétés anarchistes ne manquent pas d’ordre, simplement l’ordre émerge des règles faites par ceux qui en ressentent directement l’impact, des règles qui encouragent les systèmes de production remis à l’échelle humaine et maximisent la liberté individuelle et la cohésion sociale.
Dans son article daté de 1910 sur l’anarchie et sa définition dans l’Encyclopedia Britannica (extraits traduits par nos soins ici ), Kropotkine définit l’anarchisme comme une société “sans gouvernement, l’harmonie dans une telle société étant atteinte non pas par la soumission à la loi, ou par l’obéissance à une autorité quelconque, mais par les accords et associations libres conclus entre des groupes variés, territoriaux ou professionnels, constitués librement pour la production et la consommation…”
“L’entr’aide, facteur de l’évolution” fut publié en 1902. Avec ses chapitres sur les sociétés animales, les tribus, les cités médiévales et les sociétés modernes ; l’ouvrage bâtit la thèse scientifique pour la coopération. Les lecteurs de 2012 devraient trouver le chapitre sur les cités médiévales le plus captivant.
Entre les XIIème et XIVème siècles, des centaines de villes émergèrent autour de places de marché nouvellement constituées. Celles-ci étaient si importantes que des lois approuvées par les rois, les évêques et les villes protégèrent ceux qui les développaient et leurs clients. Alors que les marchés grandirent, les cités gagnèrent en autonomie et s’organisèrent en structures politiques, économiques et sociales qui pour Kropotkine en firent un modèle pratique instructif concernant l’anarchisme.
La cité médiévale n’était pas un état centralisé. C’était une confédération, divisée en quatre quarts ou cinq à septs sections émanant d’un centre. A certains égards, elle était structurée en une double fédération. L’une consistait en toutes les familles unifiées en de petites unités territoriales: les rues, paroisses, et sections. L’autre était composée d’individus unifiés par serment au sein de guildes en rapport à leur profession.
Les guildes établissaient les règles économiques. Mais la guilde elle-même représentait beaucoup d’intérêts. “Le fait est que la guilde médiévale était une union de tous les hommes connectés à un commerce spécifique: les grossistes en matière première, les vendeurs de produits manufacturés et les artisans, divisées en maîtres, compagnons et apprentis.” Elle était souveraine dans sa propre sphère d’influence mais ne pouvait pas interférer avec les fonctionnements des autres guildes.
Quatre cents ans avant Adam Smith, les cités médiévales avaient développé des règles qui autorisaient la poursuite de l’intérêt particulier afin de soutenir l’intérêt public général. A l’encontre de la proposition d’Adam Smith, leur outil était une main bel et bien visible de fait.
Ce monde de coopération en miniature donna de remarquables succès et résultats. De cités de 20 à 90 000 habitants émergèrent des développements technologiques et artistiques qui nous abassourdissent toujours aujourd’hui.
La vie dans ces cités n’était pas aussi primitive que celle à laquelle on se réfère dans nos livres d’histoires sur le moyen-âge. Les ouvriers dans ces cités gagnaient un salaire, la plupart de ces cités avaient une règlementation du travail de 8 heures par jour.
La ville de Florence en 1336 avait 90 000 habitants, dont 8 à 10 000 garçons et filles (oui, oui, filles également) allaient à l’école primaire et il y avait 600 étudiants répartis dans 4 universités. La ville possédait 30 hôpitaux de chacun plus de 100 lits.
En fait, écrit Kropotkine, “plus on en apprend sur les cités médiévales, et plus nous sommes convaincus que le travail n’a jamais dans l’Histoire, eu autant de bonnes conditions et de prospérité ni autant de respect que du temps où la cité était à son apogée”.
“L’entr’aide” est rarement lu aujourd’hui. Presque personne ne se rappelle de Pierre Kropotkine ; mais son message et ses preuves empiriques indiquant que la coopération et non pas la compétition ou la concurrence, est la force directrice derrière la sélection naturelle, que la décentralisation est supérieure à la centralisation à la fois pour la gouvernance et pour les économies et que l’entr’aide et la cohésion sociale devraient être encouragées en lieu et place d’inégalité sociale massive et de l’exaltation de l’individu sur la société, sont aussi importants aux débats centraux de notre temps que cela ne l’était dans les débats de son temps.
A l’anniversaire de la mort de Kropotkine, il serait bien salutaire pour le monde de redécouvrir ses écrits remarquables, qui sont tous disponibles gratuitement en ligne et de revisiter sa philosophie.
David Morris
*David Morris est le vice-président et le directeur du New Rules Project à l’Institute for Local Reliance, qui est basé à Minneapolis et à Washington D.C (USA), se consacrant à l’économie locale (micro-économie) et au développement social.
url de l’article original en anglais
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Information complémentaire sur le sujet:
Lire “L’entr’aide, un facteur de l’évolution” de Pierre Kropotkine en version .pdf française
Discussion imaginaire entre Darwin et Kropotkine (excellente animation):
Résumé succint de l’opposition scientifique de Kropotkine à la récupération des thèses darwiniennes par les darwinistes-sociaux emmenés par Thomas Huxley, vidéo avec sous-titrage en français: