Publié le : 05 juin 2012
Source : infosyrie.fr
La « Chaine parlementaire » (française) vient de consacrer 40 minutes à un débat sur la crise syrienne. L’occasion pour le professeur belge Pierre Piccinin de faire sa rentée médiatique après ses récentes mésaventures dans les geôles syriennes et son revirement à 180 degrés qui l’ont donc fait passer d’une critique de la désinformation médiatique des douze premiers mis e la crise à une condamnation sans nuances du régime et même à un appel à une intervention armée internationale contre lui. Du Piccinin « d’avant » subsistent quelques petites lueurs de lucidité et d’honnêteté : ainsi il définit l’intervention de l’OTAN en Libye comme « coloniale« , pointant les enjeux pétroliers de la France dans cette affaire. Et, pour la Syrie, il reconnait que l’opposition est très divisée et abrite des tendances islamistes radicales. Et il rappelle même qu’au début de sa présidence Bachar a initié une relative libéralisation de la vie politique et intellectuelle syrienne, avant que l’opposition n’en fasse trop – c’est-à-peu près ce que dit Piccinin – et que la fenêtre se referme sous la pression d’un entourage légué par Hafez al-Assad. Mais ses conclusions quant à une nécessaire attaque « humanitaire » de la Syrie en font le « faucon » de l’émission.
Hollande : postures médiatiques & « ignorance crasse«
Performance d’autant plus « remarquable » que Piccinin était quand même confronté à Pierre Lellouche : ex-secrétaire d’État (au commerce extérieur) du gouvernement Sarkozy et député des VIIIe et IXe arrondissements de Paris, Lellouche est surtout une figure de l’informel mais efficace lobby pro-israélien en France. Et aussi une « voix de l’Amérique » tendance néoconservatrice. Eh bien le même Lellouche, dans ce débat télévisé, s’est opposé à Piccinin, estimant qu’une intervention militaire était pratiquement impossible eut égard, non seulement au blocage diplomatique de la Russie et de la Chine, mais aux risques considérables d’embrasement de toute la région.
Ce faisant, Pierre Lellouche a repris le gros des critiques qu’il a formulées le 3 juin dans le Journal du Dimanche à l’encontre du président François Hollande, suite à sa sortie, sur France 2, quant à la possibilité d’une participation de la France à une intervention contre la Syrie autorisée par l’ONU. Suite aussi à son attitude face à Vladimir Poutine, à qui il a tenu, lors d’une conférence de presse commune à l’Élysée, des propos, au sujet de la Syrie et de Bachar al-Assad, d’une arrogance et d’une radicalité (diplomatique) dignes d’un Juppé ou d’un BHL.
Les critiques de Lellouche, pourtant clairement pas un supporteur du régime syrien, portent sur l’ »angélisme » et les postures du nouveau président, qui, dit-il en substance, »fait des coups de politique intérieure » sur le dos de la politique étrangère française, au risque de « nuire à la crédibilité de la France« .
En bon ami de l’Amérique et de l’OTAN, Pierre Lellouche fustige la décision de retrait des « forces françaises combattantes » d’Afghanistan. Mais c’est bien à propos de la politique syrienne de Hollande que l’ex-ministre de Sarkozy se montre le plus dur : sur la déclaration relative à une participation française à une intervention, Lellouche dit qu’elle était « imprudente » autant qu’ »irréfléchie« . Et il reprend une argumentation familière aux amis d’Infosyrie, mais qui prend toute son sel d’être cette fois développée par un atlantiste pur sucre : « Personne parmi nos alliés, martèle Lellouche, n’en veut » (de cette intervention militaire) et, si jamais, elle avait quand même lieu, elle « nous plongerait immédiatement dans une poudrière multiconfessionnelle entre majorité sunnite et minorité alaouite chiite« .
« Souhaitons-nous vraiment, continuait Lellouche dans cet entretien au JDD, envoyer des troupes au sol dans une guerre civile qui, de surcroît, peut s’étendre au Liban où sont déjà déployés des soldats français sous casque bleu ? »
De la Syrie, Lellouche enchaîne naturellement sur l’attitude de Hollande face à Poutine, vendredi 1er juin, lors de sa visite à Paris. Et là les propos sont encore plus durs : Hollande a fait « mine de faire la leçon à la Russie pour exploiter l’émoi légitimement suscité en France par le massacre de populations civiles en Syrie » – bref a voulu faire une opération de com’ politique franco-française – et par la même occasion en a « rajouté sur l’image détestable du régime de Moscou dans les médias français » (dans l’opinion française, c’est autre chose, NdlR). Lellouche stigmatise là encore une attitude, non seulement peu diplomatique et courtoise, mais complètement contre-productive, qui met la France au même niveau que le Qatar dans le regard de Poutine
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Et là Pierre Lellouche incrimine non seulement la bonne conscience bobo et les postures para-électorales de Hollande, mais il pointe carrément la « méconnaissance crasse » qu’il a de la Russie. Qui est ce qu’elle est, mais, dixit Lellouche, « l‘ennui c’est que le monde réel ne fonctionne pas comme un coup médiatique à la manière de François Hollande » ! À quoi sert alors « d’entamer la relation avec le président russe nouvellement élu par des leçons de morale dont on sait par avance qu’elles ne conduiront qu’à l’effet exactement contraire à celui qui est souhaité« .
Lellouche reflet des contradictions internes à l’atlantisme et au sionisme ?
Pierre Lellouche fait en somme un procès en »kouchnérisme » à François Hollande, en oubliant que Kouchner a été le chef de la diplomatie sarkozyste, et que Sarkozy a fait en Libye la guerre que BHL voulait et que lui Lellouche reproche à Hollande de vouloir faire en Syrie ! C’est que la gauche PS et la droite UMP sont tenues, au fond, par leur convergences, convergences que le député de Paris feint d’oublier pour régler, lui aussi, des comptes politiciens franco-français. Ce qui ne l’empêche pas d’avoir à peu près raison sur le fond de son argumentation.
Mais peut-être la sortie de Lellouche ressort-elle aussi à d’autres moteurs politiques. Ami d’Israël et des États-Unis, notre homme reprend ni plus ni moins les analyses récentes faites par le haut-commandement américain sur le danger qu’il y a à appuyer une rébellion syrienne noyautée par les islamistes radicaux, y compris al-Qaïda. Une analyse qui rejoint celles, formulées plus récemment encore, par deux pontes de la diplomatie et de la géostratégie made in America, Zbigniew Brzezinski et Henry Kissinger (voir notre article « Zbigniew Brzezinski : « La situation en Syrie n’est pas aussi horrible » qu’on le dit », mis en ligne le 4 juin 2012). Qui rejoint aussi celle avancée par de hautes personnalités de Tsahal, qui aimeraient freiner le zèle anti-syrien et anti-iranien du tandem Netanyahu/Barak. C’est aussi de ce côté-là qu’il faut peut-être chercher les sources de la bonne inspiration de Pierre Lellouche…
Louis Denghien