Publié le : 08 juin 2012
Source : novopress.info
C’est dans un climat morose que les électeurs s’apprêtent à aller voter le 10 juin pour élire leurs représentants à l’Assemblée nationale. Pas de débat, pas de combat, pratiquement pas d’enjeux… Comme si la droite était contente à l’idée de voir arriver une vague rose au Palais- Bourbon.
Ces élections législatives, dont le premier tour aura lieu dimanche, sont étranges à plus d’un titre. Comme si, après cette élection présidentielle si âpre, tout le monde, partis inclus, éprouvait le besoin de souffler. Comme si le ressort qui fait les grandes campagnes, les grands débats, les belles joutes était cassé. Comme si, ayant perdu Nicolas Sarkozy, la droite avait perdu en même temps l’énergie que celui-ci lui insufflait.
Certes, sur le terrain, les députés sortants, qui veulent conserver leur siè ge, et ceux qui aspirent à leur suc céder, battent la campagne.
Mais de débat national, il n’y a pas. De grands rendez-vous télévisés non plus. A croire que la France est entrée dans un régime présidentiel – ce qui n’est pas du tout ce qui est écrit dans ses institutions – et que, somme toute, quel que soit le résultat des élections législatives, il ne pourra rien changer à ce que les Français ont décidé le 6 mai dernier en élisant François Hollande. Voici que la France est sous anesthésie dont elle ne se réveillera que dimanche soir pour prendre connaissance, en spectatrice, de ce que les Français qui auront participé au scrutin auront décidé, et nul ne semble douter que ce qui sortira des urnes sera conforme au vote du 6 mai.
Hollande a eu vraiment de la veine d’être élu
Depuis que les élections législatives suivent immédiatement l’élection présidentielle sans qu’il soit besoin au chef de l’Etat élu de dissoudre l’Assemblée nationale, il est admis que le scrutin législatif ne peut que confirmer le scrutin présidentiel: la France cartésienne ne pourrait se déjuger et les Français se retrouveraient dans une sorte d’obligation morale de donner au nouveau président de la République la majorité parlementaire qui lui permettra de mettre en œuvre sa politique. Ayant élu un président de gauche, les Français ne pourraient donc qu’envoyer à l’Assemblée une majorité de parlementaires de gauche. Dès lors, pourquoi se battre et se combattre puisque le sort est scellé?
S’il était impossible de voir surgir une cohabitation pour les élections législatives de 2002 et de 2007, le cas de figure est bien différent cette année – ou aurait pu l’être si, dans l’opposition au chef de l’Etat, la volonté avait été présente de remporter ces élections. Il faut le dire une nouvelle fois, quitte à se répéter: la France n’est pas à gauche. « La France n’est pas majoritairement à gauche », confiait François Hollande au « Nouvel Obs » en une phrase passée inaperçue juste avant le second tour (1). Le candidat socialiste n’a pas été élu sur une adhésion à un programme de gauche, il n’a pas été porté au pouvoir non plus sur le rejet d’une politique de droite; il ne doit son élection qu’au rejet, par les Français, de la personne de Nicolas Sarkozy.
L’une des caractéristiques de la dernière présidentielle, vient d’expliquer le politologue Jérôme Jaffré dans « Le Monde » du 5 juin, « aura été de traduire un vote de rejet et non un vote d’adhésion. Une courte majorité des électeurs s’étant exprimés lors du second tour (51 % exactement) l’a fait en mettant en avant sa volonté de barrer la route à l’adversaire, 49 % ont voté avant tout pour que leur candidat soit élu président. Chiffres serrés à l’image du scrutin et qui correspondent à sa logique profonde. A cette différence près qu’en 2007 dans le duel entre Ségolène Royal et Nicolas Sar kozy, 69 % des électeurs s’étant exprimés avaient émis un vote d’adhésion, 31 % seulement un vote de rejet. Hormis le calamiteux second tour de 2002, il faut sans doute remonter au match revanche qui opposait en 1981 François Mitterrand à Valéry Giscard d’Estaing pour retrouver l’expression d’un vote rejet majoritaire ».
Une France de plus en plus… à droite
« L’élection de 2007, ajoute Jaffré, était porteuse d’espérance, celle-ci est un processus d’élimination. M. Sarkozy en est la victime finale, mais il peut garder la satisfaction d’être en tête dans le vote d’adhésion. Parmi les électeurs ayant exprimé une volonté positive, M. Sar kozy remporte 52,5 % des voix, M. Hollande 47,5 %. »
Ce paradoxe est confirmé par la très nette droitisation du corps électoral, également relevée par Jaffré, qui s’effraie de ce que « les thèmes de campagne sur lesquels M. Sarkozy a chauffé le pays à blanc (à petit blanc, serait-on tenté d’écrire) [fassent] un tabac ». En cinq ans, par exemple, les Français estimant qu’« il y a en France trop d’immigrés » sont passés de 48 % à 62 %, soit une progression de quatorze points que les candidats qui n’auraient pas lu les sondages se voient rappeler sur le terrain au contact de leurs électeurs. De même, ne faut-il plus parler d’islam (de France ou pas de France) aux Français, pour qui ce mot suscite, à 81 %, un rejet… contre 63 % en 2007. Les Français sont même 45 % à avoir une réaction « très négative » à l’évocation de ce mot contre 25 % il y a cinq ans.
Il faut lire le reportage consacré par le dernier numéro de « Marianne » aux candidats de l’UMP au contact de leurs électeurs, qu’ils ne « reconnaissent plus », qui les jugent « trop mous, trop flous, pas assez loups », « des militants, écrit Nicolas Domenach, parfois même plus frontistes que le FN ». Des militants ou sympathisants, des électeurs en tout cas, qui ne sont pas – encore – passés chez Marine Le Pen, qui leur parlent des « crouilles » (2), qui leur font part de leur peur face à l’« invasion de noirs » à la grande surface du coin et qui ont toutes les peines du monde à comprendre pourquoi « on [l’UMP] ne s’allie pas avec Marine Le Pen »: « Ce n’est pas son père, tout de même… » Ainsi va la France UMP, décrite par le directeur adjoint de la rédaction du journal fondé par Jean-François Kahn, qui déplore: « La campagne “ultradroite” de Nicolas Sarkozy, dans la suite de sa gouvernance d’exclusion, a fait exploser toutes les digues. » Et, à l’image de Jack Lang voyant la France passer, lors de l’élection de François Mitterrand le 10 mai 1981, de l’ombre à la lumière, Domenach conclut: « Dieu, qu’il fait sombre… »
Le cri d’alarme de Jean-François Kahn
Etonnant paradoxe de voir la gauche se désespérer au moment même où la France, il faut le rappeler car la lecture de la presse finit par l’occulter, vient de se doter d’un président socialiste! Le mandat de François Hollande serait-il donc le chant du cygne de cette gauche française si archaïque, si sectaire, si sclérosée? Son élection ne serait-elle qu’un accident de l’histoire, à contre-courant de l’évolution des mentalités et de ce que nous pourrions appeler le « sursaut national », due uniquement au forfait contraint – à l’« empeachment » – du candidat naturel du PS qu’était Dominique Strauss-Kahn et à l’imprégnation des esprits, révoltés par tant d’attitudes méprisantes, des premières années, et même des premières heures, du mandat de Nicolas Sarkozy?
Jean-François Kahn lui-même n’hésite pas à publier un livre titré La Catastrophe du 6 mai 2012 (Plon) ! Mais quelle « catastrophe », de son point de vue? « Elle tient, cette catastrophe, à un chiffre: 48,38 %. Le score obtenu par Nicolas Sarkozy ce 6 mai. Une défaite, malgré tout? D’un candidat, certes. Tout le monde savait qu’il représentait le principal handicap de sa cause. Mais de son discours? Les électeurs ont recalé le vendeur – le camelot –, mais ils étaient prêts à consommer sa marchandise. » Alors que, selon lui, « sous l’influence de deux gourous néo-maurrassiens » – Patrick Buisson et Henri Guaino, bien plus barrésien que maurrassien mais passons –, Nicolas Sarkozy avait carrément procédé, non pas à une manœuvre visant à renouveler l’opération de 2007 ayant consisté à capter les électeurs lepénistes mais à « une tentative de débordement de Marine Le Pen sur sa droite »!
Tout ceci intégré, les leaders de la droite parlementaire, débarrassés, au moins pour un temps, de la personne encore répulsive de Nicolas Sarkozy, auraient pu s’engouffrer dans la profonde mutation politique en cours dans notre pays pour mener campagne tambour battant sur les thématiques désormais tenues pour prioritaires, centrales même, par la majorité de leurs électeurs potentiels. Or ils ne l’ont pas fait, en partie par tactique, en partie en raison de l’actuelle situation de l’UMP.
Ne pas ouvrir une voie royale à Marine Le Pen
Les leaders de l’UMP ne peuvent pas le dire à leurs électeurs mais une victoire de l’opposition aux élections législatives ne les arrangerait pas… du tout. Les yeux rivés, dès avant le deuxième tour de la présidentielle, sur le prochain scrutin présidentiel de 2017, ils misent, tous ou presque, sur ces « pleins pouvoirs » à la gauche que représenterait une victoire de celle-ci aux élections législatives, après que le PS, allié aux écologistes, aux radicaux et aux communistes, mélenchoniens ou autres, a conquis le Sénat, la totalité des conseils régionaux à l’exception de l’Alsace et une majorité des conseils généraux et des grandes villes de France.
Si, par malheur, la droite parlementaire venait à l’emporter au soir du 17 juin, François Hollande n’aurait d’autre choix que d’appeler à Matignon un ténor de l’UMP, qui ne pourrait être François Fillon, premier ministre durant cinq ans de Nicolas Sarkozy, et qui ne pourrait être non plus Jean-François Copé, trop droitier pour pouvoir cohabiter avec le président de la République et son équipe.
Le seul premier ministre de cohabitation envisageable est, de toute évidence, Alain Juppé, tout à fait « hollando-compatible » et dont nul n’est sûr à l’UMP que, dans le secret de l’isoloir, il n’ait pas voté au second tour de la présidentielle selon la consigne donnée (et appliquée) par le clan chiraquien – à l’exception de Bernadette Chirac, le seul « homme de droite » de la famille –, aujourd’hui tout à son bonheur d’être débarrassé de Nicolas Sarkozy.
Or Juppé à Matignon, c’est l’assurance, tant pour la droite qui ne s’assume pas comme telle (Fillon) que pour celle qui se décide enfin à l’être (Copé), d’une politique mollassonne, faite de compromis et, en fait, de soumission à l’idéologie dominante, qui porterait un coup fatal, d’une part à leurs ambitions pour 2017 – tant « le meilleur d’entre nous » se discréditerait rapidement et, avec lui, discréditerait la droite parlementaire; d’autre part à une UMP dont bon nombre d’élus n’accepteraient pas longtemps de soutenir un gouvernement allant à l’encontre des exigences de leurs électeurs et, pour certains, de leurs propres convictions.
Ce serait, pour dire les choses clairement, la certitude d’ouvrir une voie royale à Marine Le Pen pour 2017, qu’elle ait ou non des élus à l’Assemblée nationale. La présidente du Front national aurait en effet beau jeu de dénoncer, durant le temps qu’accorderait François Hollande au gouvernement d’Alain Juppé avant de prononcer la dissolution de l’Assemblée nationale, la connivence « UMPS » dont Juppé est, effectivement, l’un des pires représentants.
La popularité en trompe-l’oeil de Hollande
La popularité dont jouissent François Hollande et son premier ministre, Jean-Marc Ayrault, est pourtant en trompe-l’œil. Selon l’étude de l’institut LH2 pour le « Nouvel Obs », parue le 4 juin, 58 % des personnes interrogées déclarent avoir une opinion positive de François Hollande en tant que président de la République. Certes, pour un homme qui n’a encore rien fait – mais fera-t-il un jour quelque chose? –, cela peut paraître beaucoup. En fait, il n’y a pas de quoi sauter de joie. Au même moment en 2007, les Français étaient 63 % à avoir une opinion positive de Nicolas Sarkozy!
Et surtout, le chef de l’Etat entrant ne bénéficie d’aucun « état de grâce ». Une lecture attentive de cette étude montre que seuls 19 % des Français ont une opinion « très positive » de lui, chiffre qui ne dépasse pas 37 % au sein même de l’électorat de gauche! Les 58 % d’« opinions positives » sont obtenus en additionnant les opinions « très positives » et les opinions « assez positives », soit ceux qui ont coché cette case parce qu’il fallait bien répondre quelque chose…
En raison des incertitudes totales sur le taux de participation et du non-sens absolu que constituent des sondages nationaux à l’approche d’un scrutin qui est en fait constitué de 577 scrutins spécifiques, il est totalement impossible de dire ce qui sortira de ces élections, et il sera temps, la semaine prochaine, d’analyser les résultats du premier tour en fonction des ambitions de chacune des formations politiques. Deux choses, en revanche, sont certaines : pour la droite et, a fortiori, pour les droites que constituent désormais l’UMP et le Front national de Marine Le Pen, ces élections étaient – et sont encore – gagnables ; et les dirigeants de l’UMP n’ont vraiment rien fait pour les gagner.
Antoine Vouillazère
1. « Le Nouvel Observateur » du 3 mai 2012, page 50
2. « Face au Front national. La Droite lâche », in « Marianne » n° 789 du 2 au 8 juin 2012.
Article de l’hebdomadaire “Minute” du 6 juin 2012 reproduit avec son aimable autorisation. En kiosque ou sur Internet.