Publié le : 13 août 2012
Souce : lefigaro.fr
Selon un récent sondage, près de 60 % de la population turque serait contre l’aide d’Ankara aux opposants syriens.
Dans ce café fréquenté uniquement par les hommes, près de la place de Sirinevler, un quartier populaire en périphérie d’Istanbul, on suit de près les derniers développements en Syrie. Seyfettin, le patron, regarde le journal télévisé. Sont évoqués les 3 000 Syriens qui, de l’autre côté de la frontière, attendent de pouvoir passer en Turquie. «Assad fait vivre un vrai calvaire aux Syriens. Un dirigeant qui persécute ainsi son peuple ne peut plus rester au pouvoir», commente-t-il. Lorsqu’on lui rappelle qu’il reprend presque mot pour mot le discours du premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, il sourit. Seyfettin a voté pour l’AKP au pouvoir et se déclare fier d’Erdogan, devenu, selon lui, le leader de l’ensemble du Moyen-Orient.
Mais le nombre de ceux qui partagent l’opinion de Seyfettin semble être en baisse: selon un récent sondage, près de 60% de la population turque serait contre le soutien apporté par Ankara aux opposants syriens. «Au début des affrontements, les opposants avaient la sympathie de la société turque parce que l’on considérait que, dans leur majorité, ils menaient une lutte pour la démocratie», explique Bereket Kar, chercheur spécialisé dans les relations turco-syriennes. «Mais depuis la diffusion des informations sur la présence possible des militants d’al-Qaida ou des Frères musulmans au sein de ces groupes, mais aussi sur le soutien financier de l’Arabie saoudite et du Qatar, les gens sont plus sceptiques.»
Heurts dans les camps
L’arrivée massive des réfugiés a aussi contribué à cette évolution. Près de 50 000 Syriens sont hébergés dans des camps de réfugiés proches de la frontière. Si, aux premiers jours du conflit, les médias turcs ont soigneusement véhiculé l’image de «la Turquie qui accueille ses frères syriens», le ton a changé. La presse met en avant les heurts dans les camps et sous-entend qu’ils pourraient être provoqués par les militants islamistes mêlés aux combattants de l’Armée libre syrienne. La tension est d’autant plus grande à Antakya, qui abrite quatre camps, que la population majoritairement alévie de la région se sent menacée par l’arrivée massive des réfugiés sunnites. «On raconte que des combattants armés se promènent en uniforme dans la ville et que ces groupes sont entraînés par des militaires turcs dans un camp secret. Ce qui augmente l’inquiétude des alévis», explique Bereket Kar.
Les Turcs craignent aussi la création d’une entité autonome kurde au nord de la Syrie. La prise du contrôle par la branche syrienne du PKK de plusieurs villes du nord de la Syrie et l’intensification des actions du PKK sur le territoire turc nourrissent les craintes. Vendeur de journaux sur la place de Sirinevler, Hasan ne comprend pas pourquoi la Turquie prend un tel risque. «Erdogan, qui demande tant le départ d’Assad, que va-t-il faire si le Kurdistan occidental est proclamé dans le nord de la Syrie?» Pour tenter de calmer l’opinion, le ministre des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, avait affirmé, le 27 juillet dernier, que le nord de la Syrie n’était pas uniquement peuplé de Kurdes et que la zone contrôlée par la branche syrienne du PKK était très limitée.
Burçin Gerçek