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« Lance Armstrong a été prévenu avant tous les contrôles »

25 août 20120
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Publié le : 25 août 2012

Source : lemonde.fr

Michel Rieu, conseiller scientifique de l’Agence française de lutte contre le dopage, décrit le système mis en place par Lance Armstrong.

Quel regard portez-vous sur l’épilogue de l’affaire Lance Armstrong ?

Je ne suis pas très surpris. Depuis longtemps, Pierre Bordry, ancien président de l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) et moi, étions en contact étroit avec l’Usada, l’agence américaine antidopage. Je rends hommage à son courage. Peu d’agences nationales auraient eu la même démarche. Officiellement, Lance Armstrong n’a jamais été contrôlé positif. Mais les témoignages recueillis l’ont mis en cause. D’autant que Lance Armstrong n’était guère un personnage plébiscité par l’ensemble des coureurs.

Comment Lance Armstrong a-t-il trompé la vigilance des préleveurs ?

Les préleveurs ont éprouvé des difficultés à effectuer des contrôles inopinés sans que Lance Armstrong puisse bénéficier d’un délai de vingt minutes. Il a été prévenu avant tous les contrôles. Je repense à un prélèvement inopiné alors qu’il s’entraînait dans le sud de la France lors de son retour sur le Tour en 2009. Son entourage avait accumulé prétextes et palabres pour obtenir ce fameux délai. En vingt minutes, beaucoup de manipulations sont possibles. Il effectuait des perfusions de sérum physiologique pour diluer son sang. Il remplaçait sa propre urine par une urine artificielle. Il s’administrait l’EPO par petites doses. La substance était indécelable. Sans les renseignements de la gendarmerie ou de la douane, il était impossible de combattre cette méthode.

Sa victoire en 1999 est pourtant apparue comme celle du sursaut après le Tour marqué, l’année précédente, par les cas de dopage…

Lance Armstrong a accumulé ses premières victoires sur le Tour à une période où le laboratoire de Chatenay-Malabry était autonome. Le ministère des sports gérait les contrôles en collaboration avec l’Union cycliste internationale (UCI). Il a fallu beaucoup de temps, en 2000, pour que la méthode officielle de détection de l’EPO soit validée par l’Agence mondiale antidopage (AMA). A l’époque, il y avait peu de contrôles inopinés, on savait que le maillot jaune ou le vainqueur de l’étape serait contrôlé. Tout était programmé. Depuis, les méthodes autour du dosage de l’EPO se sont affinées. Sur le Tour 1999, Lance Armstrong a été contrôlé positif aux corticoïdes mais l’affaire a été étouffée.

De quels appuis bénéficiait-il dans cette logique de tricherie ?

Ces appuis débordaient sur l’UCI et sur le Comité international olympique. Aussi, Lance Armstrong s’était entouré de scientifiques physiologistes, dont certains se sont défaussés par la suite. Ce personnage inspirait beaucoup de crainte. A l’UCI et parmi l’organisation du Tour, Amaury Sport Organisation (ASO), deux camps s’opposaient. Certains avaient peur qu’un scandale entraîne une remise en cause du passé. Ils ont préféré passer outre et ne voulaient pas abîmer l’image du sport. D’autres souhaitaient crever l’abcès et se débarrasser de l’influence d’Armstrong. Ces derniers avaient raison. Cet épilogue entache dix années du Tour.

Etait-il vraiment impossible de contourner ces barrages ?

C’était fort Chabrol. On ne savait qu’à la dernière minute dans quel hôtel il s’était installé. D’où ces nombreux barrages. Ce fut un vrai parcours du combattant car il était prévenu sur ses lieux de résidence. Il avait des moyens considérables pour se protéger et mettre en place une logistique. La rumeur voulait qu’il eût fait acheminer du sang depuis les Etats-Unis dans son jet privé.

L’AFLD a-t-elle eu des doutes concernant le cas Armstrong ?

L’AFLD n’est arrivée que tardivement sur le Tour, en 2007. En 2008, nous avions bénéficié d’une autonomie totale. L’UCI s’était alors retirée et nous avions détecté huit cas positifs à l’EPO. En 2009, nous avons contribué à diffuser un rapport, révélé par Le Monde, attestant que l’équipe d’Armstrong bénéficiait d’un traitement de faveur des inspecteurs de l’UCI. Nous étions en rupture avec l’UCI. Notre rôle était marginal mais nous étions au courant des difficultés éprouvées par les contrôleurs avec le coureur américain. En octobre 2009, Armstrong est convié à un déjeuner à l’Elysée. Derrière cette visite, on sait qu’il souhaitait obtenir le départ du président de l’AFLD, Pierre Bordry. Lequel a démissionné un an plus tard. En mars 2010, Armstrong a offert un vélo au chef de l’Etat. Quelques mois plus tard, le président de la République a profité d’une étape du Tour pour ériger Lance Armstrong en modèle pour la jeunesse. Ce fut abusif.

Quels enseignements les agences antidopage doivent-elles en tirer ?

Cet épilogue est très important pour la lutte contre le dopage. Cela démontre qu’aucun personnage, même puissant et protégé, n’est à l’abri. Il faut être extrêmement vigilant et conserver les échantillons huit ans, comme l’autorise le code mondial antidopage. Sur le Tour de France, les contrôleurs doivent avoir une réelle indépendance. Le cas Armstrong est l’exemple de tout ce qu’il ne faut pas faire. Il n’est pas un cas isolé. Son auréole a été consolidée au fil des années. Lance Armstrong est le produit d’un système, celui du pognon, de la gagne à tout prix, du retour sur investissement.

Propos recueillis par Rémi Dupré

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