Publié le : 07 octobre 2012
Source : comite-valmy.org
Le sénateur républicain Lindsey Graham se joint au chœur des décideurs politiques qui s’insurgent contre l’idée que l’Iran puisse avoir les moyens de dissuader les États-Unis de l’attaquer.
Dans le Washington Post d’aujourd’hui, Richard Cohen exprime sa surprise que le président iranien Mahmoud Ahmadinejad « se mette à dire des choses sensées » et « devienne rationnel ». Cohen cite cette déclaration que le président iranien a faite la semaine dernière :
« Imaginons même que nous ayons une bombe atomique, une arme nucléaire. Que ferions-nous avec ? Quelle personne sensée attaquerait les 5 000 bombes étasuniennes avec une seule bombe ? »
Cohen est surpris et pourtant de nombreux leaders iraniens, dont Ahmadinejad, ont déjà dit la même chose. Et c’est d’une telle évidence que ça ne devrait même pas avoir besoin d’être dit. Aucune personne sensée ne prend au sérieux l’affirmation que si l’Iran parvenait à obtenir une arme nucléaire, il commettrait aussitôt un suicide national garanti en attaquant une nation qui a un stock énorme d’armes nucléaires et qui se trouve inclure à la fois les États-Unis et Israël. Il n’y a rien, dans la manière dont se comporte le régime iranien qui puisse laisser supposer qu’il ait atteint un tel niveau de folie ou qu’il ait des impulsions suicidaires.
Le fait que l’Iran puisse utiliser des armes nucléaires contre les États-Unis et Israël est l’argument central de la campagne de diabolisation de l’Iran destinée à obtenir le soutien du peuple à une attaque contre l’Iran pour l’empêcher d’avoir l’arme nucléaire. Quelle est donc la vraie raison pour laquelle tant de dirigeants étasuniens et israéliens tiennent tant à empêcher la prolifération iranienne ?
De temps en temps, il y en a un qui révèle la vraie raison : le nucléaire iranien empêcherait les États-Unis d’attaquer l’Iran quand ils le voudraient et cela est intolérable. La dernière personne à avoir, sans le vouloir, révélé la vraie raison pour laquelle il serait inacceptable que l’Iran ait des capacités nucléaires est le sénateur républicain Lindsey Graham, un des va-t-en guerre étasuniens les plus constants et les plus assoiffés de sang.
Lundi, Graham a fait une intervention en Caroline du Sud et on l’a interrogé sur la manière dont les sanctions contre l’Iran affectent les Iraniens ordinaires. Ayman Hossam Fadel était présent et il a enregistré l’échange. En réponse à la question, Graham a félicité le président Obama de menacer de déclarer la guerre à l’Iran à cause des armes nucléaires, il a décrété que « le peuple iranien devait être prêt à souffrir aujourd’hui en échange d’un avenir meilleur » et puis – en reprenant le vieux script néoconservateur qu’on ressort chaque fois qu’il faut justifier une nouvelle guerre – il a comparé les armes atomiques iraniennes à Hitler dans les années 1930. Mais au milieu de sa réponse, il a révélé la vraie raison de craindre les armes nucléaires iraniennes :
« Le régime iranien a deux objectifs : le premier est de se maintenir. Et le meilleur moyen de se maintenir, dans son esprit, c’est d’avoir l’arme nucléaire parce que, quand on a l’arme nucléaire, personne n’ose vous attaquer. »
Graham a ajouté que le second objectif, c’est « l’influence » que procure l’arme atomique, quand vous l’avez, on vous « écoute ». En d’autres termes, on ne peut pas laisser l’Iran développer l’arme atomique car alors nous ne pourrions plus l’attaquer quand bon nous semble et nous ne pourrions plus faire pression sur lui dans sa région.
La réponse de Graham corrobore ce que de nombreuses élites politiques étasuniennes disent depuis des années au sujet des ennemis des États-Unis en général et de l’Iran en particulier : la vraie menace de la prolifération nucléaire est que cela ferait obstacle à l’agression étasunienne. Thomas Donnelly de American Enterprise Institute et de New American Century Project dit clairement depuis longtemps que c’est la véritable raison de l’opposition à la capacité nucléaire iranienne :
« Quand leurs missiles sont équipés d’ogives nucléaires, biologiques ou chimiques, même de faibles puissances régionales ont un pouvoir de dissuasion sans lien avec l’équilibre des forces conventionnelles… Dans la période qui a suivi la guerre froide, ce sont les États-Unis et leurs alliés, et non l’Union Soviétique, qui ont développé la plus grande force de dissuasion et des états comme l’Irak, l’Iran, la Corée du Nord sont ceux qui sont les plus désireux de développer des capacités dissuasives. »
Il a ajouté : « La manière la plus sure de se protéger contre une intervention étasunienne c’est d’avoir un arsenal nucléaire en bon état de marche… Il est certain que la perspective d’un Iran nucléaire est un cauchemar. Mais le cauchemar n’est pas tant le fait que Téhéran puisse se servir de ses armes ou les passer à des groupes terroristes -même si c’est une possibilité- le cauchemar c’est surtout que cela limiterait sans doute drastiquement la liberté d’action stratégique des États-Unis dans tout le Moyen Orient. Le danger est que l’Iran « fasse profiter » de sa force de dissuasion, toute une série d’états et d’acteurs régionaux, directement ou indirectement. Cela rappellerait ironiquement la force de dissuasion dont les alliés des États-Unis ont bénéficié grâce à eux pendant la guerre froide. »
Comme Jonathan Schwarz l’a largement montré, c’est ce que les élites étasuniennes répètent à l’envie. En 2001, le Secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld, a dit :
« Nombre de ces [petites nations ennemies] sont profondément hostiles aux États-Unis et s’arment pour nous dissuader d’utiliser notre puissance conventionnelle ou nucléaire dans une crise régionale. »
En 2002, un officiel du département d’État, Philip Zelikow, a dit que si on permettait à l’Irak de garder ses armes de destruction massives, « cela pourrait nous dissuader de l’attaquer parce qu’il serait vraiment en capacité de riposter. » En 2008, le sénateur démocrate Chuck Robb et le sénateur républicain Dan Coates ont écrit un article d’opinion incroyablement radical dans le Washington Post pour exiger une attaque contre l’Iran :
« Une République Islamique d’Iran qui aurait l’arme atomique serait intenable au plan stratégique. Elle menacerait la sécurité nationale des États-Unis… Le pire scénario serait une attaque nucléaire, mais l’Iran n’aurait pas besoin d’utiliser son arsenal nucléaire pour menacer les intérêts des États-Unis. Le simple fait d’être capable d’assembler rapidement une arme nucléaire donnerait à l’Iran une force de dissuasion nucléaire. »
La principale inquiétude des responsables de la sécurité nationale étasunienne semble être que des pays soient capables d’empêcher les États-Unis de les attaquer à volonté, que ce soit pour changer leur régime ou pour d’autres raisons. En d’autres termes, les armes nucléaires iraniennes pourraient servir à éviter des guerres – des guerres étasuniennes- et c’est cela qu’il faut craindre par dessus tout.
(La personne qui a interrogé Graham a dit qu’elle ne croyait pas que l’Iran ait l’intention de développer une arme nucléaire et Graham lui a répondu que les dirigeants israéliens étaient arrivés à la conclusion opposée. Ce qui est tout simplement faux.)
Quoiqu’on puisse penser de l’Iran, le signal que les États-Unis ont envoyé au monde est clair : tout gouvernement sensé doit se doter de l’arme nucléaire. Les Iraniens ont vu comment les États-Unis ont traité deux dictateurs qui avaient renoncé à l’arme nucléaire -l’Irakien Saddam Hussein et le Libyen Mouammar Kadhafi – et ils en ont tiré les conclusions qui s’imposent : la seule manière de protéger son pays contre une attaque étasunienne, en dehors d’une totale inféodation, c’est d’avoir l’arme nucléaire. C’est exactement la raison pour laquelle les États-unis et Israël sont prêts à tout pour les en empêcher**.
Glenn Greenwald
Notes :
* http://www.washingtonpost.com/opini…
** Dedefensa analyse cet article : http://www.dedefensa.org/article-po…
Pour consulter l’original : http://www.guardian.co.uk/commentis.
Traduction : Info-Palestine.net – Dominique Muselet