Publié le : 20 novembre 2012
Source : usseurope.hypotheses.org
La Grèce fait, à nouveau, la une des journaux. Le problème qui semble se poser est de savoir si les créditeurs européens accepteront de payer encore la somme de 44 milliards pour ce pays. Dissipons immédiatement ce faux suspense, la réponse est « oui ». Mais cela sera-t-il efficace ? La réponse est clairement « non ». Ajouter de la dette à la dette ne servira rigoureusement à rien, mais contribuera à alourdir la facture des contribuables européens dans une période de récessions généralisée. Après la restructuration de 107 milliards de dettes privées de ce printemps, la dette souveraine grecque atteint toujours 287 milliards d’Euros. C’est une somme considérable, rapportée au PIB du pays. Si on lui accorde les 44 milliards demandés, dont une partie aurait dû, en réalité, être payée dès juin 2012, on atteint les 331 milliards. Ceci représentera 168% du PIB (197,1 milliards d’euros) à la fin de 2012. Or, les opérateurs de marché estiment en général qu’une dette souveraine pose de sérieux problèmes si elle excède les 120%. Compte tenu de la baisse du PIB en Grèce, cela aurait impliqué que le montant même de cette dernière baisse, de 276 milliards au premier trimestre 2009 à 236,5 milliards aujourd’hui. On voit que l’on est loin du compte.
Graphique 1
La charge des intérêts sur ces 168% (pour un taux moyen d’environ 5%) représentera alors 8,4 % du PIB, et ceci en dehors de tout remboursement du capital. Il est clair que la Grèce ne peut retrouver, dans ses conditions, un niveau qualifié de « soutenable » pour sa dette. Pour qu’une dette soit qualifiée de soutenable, il faut que son pourcentage par rapport au PIB n’augmente pas dans le temps. Cela équivaut à dire que le rapport Dette/PIB se transforme en dynamique dans le rapport Déficit Budgétaire / Variation du PIB nominal. Aujourd’hui, nous avons un PIB nominal qui diminue au rythme de -8% par an. Il faudrait donc que la Grèce fasse un excédent budgétaire de + 8%, et qu’avec cet excédent elle rembourse sa dette, pour éviter de la voir à nouveau augmenter. Or, elle fera en réalité -8,5% de déficit budgétaire. Ce serait donc un choc de 16,5% du PIB qu’elle devrait s’infliger. Ces montants disent eux-mêmes le point de folie que l’on a atteint quant à la situation de la Grèce.
L’annulation partielle de la dette et son coût pour la France
La date de 2022, qui est celle aujourd’hui estimée par le FMI, pour un retour à 120% du PIB du fardeau est parfaitement illusoire, et cela tout le monde, sauf les nains de Bruxelles, le sait. Les solutions proposées, et dont certaines seront probablement adoptées ce mardi soir comme l’allongement des délais de remboursement, le repayement à la Grèce des intérêts perçus par la BCE (environ 0,754 milliard d’Euro), sont parfaitement illusoires et témoignent d’une gestion au jour le jour de cette crise. Même le FMI le dit. La seule solution consisterait en réalité en un effacement de la moitié de la dette, mais cela aurait un coût pour la France.
Cette dernière est en effet directement engagée à hauteur de 65 milliards d’Euros, dont 11,6 milliards de prêts bilatéraux effectivement versés, la contribution au FESF (Fonds européen de Stabilité Financière), les « surgaranties » aux prêts consentis par le FESF (mentionnées dans le PLFR) et notre quote-part dans le compte TARGET-2 concernant la Grèce. Un effacement de 50% de la dette grecque coûterait donc directement à l’État 32 milliards d’Euros (1,6% du PIB). Mais ce coût aurait pour contrepartie de faire tomber la charge des intérêts qui pèse que la Grèce à environ 4,25%. Les taux d’intérêts pourraient aussi être renègociés. Avec des taux de 2%, on obtiendrait 1,68% du PIB en charge des intérêts. Bien sûr, et dans le même temps, il faudra que d’autres mesures soient prises pour que l’économie grecque retrouve au plus vite le chemin d’une forte croissance, car la « dévaluation interne », si elle a abouti à une forte contraction des importations n’a nullement dopée les exportations.
Graphique 2
Parmi ces mesures, Patrick Artus propose de transformer la Grèce en une immense zone franche pour y attirer les investissements1. Le problème est alors que cet exemple sera probablement imité par le Portugal, puis par l’Espagne, et que l’on entrera ainsi dans une dissolution de toutes les réglementations de l’Union Européenne. D’autres solutions sont possibles, comme l’assouplissement des « Mémorandums » avec la suppression de certaines des mesures qu’ils contiennent. Il est aussi évident qu’il faudra investir en Grèce, en particulier dans le secteur des infrastructures publiques. Tout ceci a été calculé il y a de cela près d’un an2. En fait, une dévaluation massive de la Grèce, accompagnée par des mesures pour relancer le crédit bancaire et les dépenses de demande, constituerait – et de loin – la meilleure des solutions. Cela implique cependant que la Grèce sorte de l’Euro. Pour l’instant, cependant, il n’y a pas de majorité, tant en Grèce que dans les pays de la zone Euro pour un tel scénario. L’annulation de 50% de la dette grecque ne constituera, à elle seule, qu’une bouffée d’oxygène temporaire. Mais au moins aurons-nous fait quelque chose d’utile pour la population grecque que la dette réduit à une misère atroce.
Solon, le grand législateur et père de la démocratie athénienne, fit voter en -593 avant Jesus Christ l’annulation des dettes, la seisachtheia, qui de plus interdisait l’esclavage pour dette. Aujourd’hui ce ne sont plus les seuls athéniens, mais la Grèce tout entière que, de fait, est mise en esclavage pour dette. L’effacement de 50% de la dette sans contrepartie serait un acte fondateur pour la démocratie européenne, pour les relations entre les nations de l’Union Européenne et pour le peuple grec.
Jacques Sapir