Publié le : 19 décembre 2012
Source : michelcollon.info
Ce qui a fait la une des médias, c’est que le directeur de la CIA, le général David Petraeus a donné sa démission à cause d’une relation adultère avec sa jeune biographe [Paula Broadwell], et que le général John Allen, Commandant en chef des forces américaines en Afghanistan est actuellement mis en examen – et sa promotion comme Commandant en chef des forces américaines en Europe suspendue – à cause, nous dit-on, de commentaires “inappropriés” dans un échange de mails avec une amie dans le civil.
Un agent local du FBI « particulièrement téméraire », Frederick Humphries Jr., aurait parait-il découvert en enquêtant sur une affaire d’espionnage informatique, des échanges de mails amoureux du Gal. Petraeus à sa petite amie biographe. Estimant que le « comportement adultère » du général mettait en danger la sécurité nationale des États-Unis, l’agent Humphries, du bureau du FBI de Floride, aurait alors remis les pièces à charge à un membre du Congrès, Eric Cantor, l’un des plus puissants Républicains de Washington DC, qui à son tour les aurait transmises au Directeur du FBI… ce qui aurait finalement conduit à la démission de Petraeus.
En d’autres termes, nous sommes priés de croire qu’un simple petit agent un peu zélé du FBI aurait en fait ruiné la carrière de deux des plus importants généraux des États-Unis – dont l’un dirigeait la plus puissante agence de renseignements du monde, la CIA, et l’autre toutes les forces américaines et alliées engagées dans le plus important conflit armé actuellement en cours, en Afghanistan – pour une bête histoire de drague et d’infidélités !
A voir comme ça, de prime abord, on peut difficilement imaginer plus cocasse !
Dans un univers d’organisations aussi drastiquement hiérarchisées que l’armée américaine ou la CIA, où l’activité et les prérogatives de chaque subordonné, fonctionnaire avant tout, dépend d’une direction centralisée où toute initiative en matière d’enquête doit recevoir l’aval de supérieurs hiérarchiques (a fortiori lorsqu’il s’agit de fouiner dans les correspondances privées des principaux responsables de la CIA ou d’engagements militaires stratégiques majeurs), l’idée qu’un petit agent puisse en solo jouer les free-lance est parfaitement absurde. Jamais un agent « cowboy » ne pourrait même orienter son enquête vers des cibles aussi « sensibles » que le patron de la CIA ou un général en plein conflit, sans le feu vert des plus hautes sphères ou de tout un réseau de responsables politiques aux objectifs éminemment prioritaires. Les implications politiques vont ici nécessairement bien au-delà de la banale « affaire de mœurs » entre deux individus adultes, consentants et non dangereux, même si l’agent en question estime pour sa part que la fornication constitue en soi une grave menace pour les États-Unis.
On est clairement en eaux profondes : on baigne ici dans une intrigue politique au plus haut niveau avec de très sérieuses implications en matière de sécurité nationale, et qui touche directement à la direction même de la CIA, aux opérations clandestines, aux rapports des services secrets et à des milliards de dollars de dépenses et d’efforts des États-Unis pour stabiliser leurs régimes clients et déstabiliser leurs régimes cibles. Les informations et rapports de la CIA identifiant alliés et ennemis déterminent de manière cruciale toute la politique extérieure des États-Unis. Tout changement de direction à la tête du commandement opérationnel de l’Empire américain a donc potentiellement et nécessairement une importance stratégique.
L’éviction du Gal. Allen, Commandant en chef des forces engagées en Afghanistan – la principale zone d’opérations militaires actuelle des États-Unis – arrive à un moment crucial. Avec un calendrier de retrait drastique des forces d’occupation militaire américaines d’ores et déjà entériné et des « cipayes » – soldats et officiers du régime fantoche de Karzai – qui commencent à montrer de sérieux signes de désaffection, il s’agit très clairement d’un changement politique de premier ordre.
Quels éléments clés trouve-t-on derrière la destitution de ces deux généraux ?
Sur le plan international, tous deux étaient fervents partisans de l’impérialisme américain, et tout particulièrement du contrôle militaire de pans entiers de cette hégémonie. Tous deux continuent d’ailleurs de conduire et de soutenir les conflits en série initiés par les Présidents Bush et Obama : Afghanistan, Irak et une kyrielle de « proxy wars » [guerres indirectes dites « par procuration »] en Libye, Syrie, Yémen, Somalie, etc. Mais ces deux Généraux étaient aussi connus pour avoir pris publiquement des positions assez impopulaires parmi certaines factions clé des élites dominantes américaines.
Le Gal. Petraeus, qui dirige la CIA, a toujours été un partisan fervent des « proxy wars » engagées en Libye et en Syrie. Dans ces conflits, il a toujours défendu une politique de collaboration avec les régimes islamistes de droite [les monarchies du Golfe en particulier] et avec les mouvements d’opposants islamistes – quitte à former, armer et soutenir des intégristes islamistes, en vue de renverser les régimes cibles des États-Unis au Proche-Orient (généralement des États laïcs). Pour poursuivre cette politique, Petraeus disposait du soutien quasi unanime de toute la classe politique américaine. Il était néanmoins parfaitement conscient que cette « grande alliance » entre les États-Unis et les mouvements et régimes islamistes intégristes pour asseoir l’hégémonie américaine, impliquerait tôt ou tard un re-calibrage des relations israélo-américaines. Pour Petraeus, le projet de guerre contre l’Iran, cher à Netanyahu, les sanglantes annexions de nouveaux territoires dans les zones occupées de Palestine et les bombardements, spoliations et autres assassinats de quantité de Palestiniens chaque mois sont un véritable boulet dans les relations diplomatiques que Washington tente d’entretenir avec les régimes islamistes d’Égypte, de Tunisie, de Turquie, d’Afghanistan, du Pakistan, d’Irak, du Yémen ou des monarchies du Golfe.
Petraeus s’est plusieurs fois étendu sur cette implication au cours de déclarations publiques, et en huis clos il défendait clairement une suspension du soutien à l’expansion sanglante des colonies israéliennes à travers la Palestine, au point d’exhorter même le régime d’Obama à faire pression sur Netanyahu pour qu’il accepte d’entériner un compromis avec Abbas, dirigeant malléable et client des États-Unis. Et par-dessus le marché, Petraeus, qui soutenait pleinement les sanguinaires jihadistes de Libye et de Syrie, restait en même temps opposé à la guerre contre l’Iran promue par Israël et qui, selon lui, risque fort de polariser l’intégralité du monde arabe contre l’alliance Washington-Tel Aviv et de pousser les intégristes islamistes des « proxy forces » que les États-Unis entretiennent au Proche-Orient, à retourner leurs armes contre leurs commanditaires de la CIA. Dans la vision globale de Petraeus, la politique impériale américaine est désormais en contradiction avec la stratégie israélienne qui attise l’hostilité des régimes et mouvements islamistes contre les États-Unis, et en particulier avec l’attitude d’Israël qui consiste à stimuler les conflits au Proche-Orient pour dissimuler et légitimer l’intensification de son nettoyage ethnique de la Palestine. Parmi les éléments centraux de la stratégie israélienne les plus radicalement opposés à la mise en pratique de la doctrine de Petraeus, on retrouve l’influence de la ZPC (Zionist Power Configuration), tant à l’extérieur qu’à l’intérieur même du gouvernement américain.
Aussitôt que le rapport du Gal. Petraeus – où il qualifie Israël de « handicap stratégique » – a été rendu public, la ZPC a bondi en action pour contraindre Petraeus à se rétracter, au moins publiquement. Mais une fois nommé directeur de la CIA, Petraeus a continué sa politique de collaboration avec les régimes islamistes de droite, et à fournir armes et renseignements aux jihadistes fondamentalistes pour renverser les régimes laïcs indépendants, en Libye puis en Syrie. Cette politique s’est trouvée violemment mise en lumière à Benghazi, lorsque l’ambassadeur des États-Unis et plusieurs responsables de la CIA et des Forces Spéciales ont été assassinés par des terroristes pourtant soutenus par la CIA. Cela a entraîné aux États-Unis une véritable crise politique, où les républicains du Congrès ont exploité de leur mieux l’échec diplomatique de l’administration Obama. Ils s’en sont pris particulièrement à l’ambassadrice des États-Unis auprès des Nations Unies, Susan Rice, dont les maladroits efforts pour dissimuler la véritable nature des attaques de Benghazi ont fini par ruiner toutes ses chances de remplacer un jour Hilary Clinton au poste de Secrétaire d’État.
Autour du Gal. Petraeus, la pression est subitement montée de tous côtés : le ZPC s’en est pris à lui pour ses critiques à l’encontre d’Israël et son excessive ouverture en faveur des régimes islamistes, les Républicains pour la débâcle de Benghazi, et le FBI pour sa relation extraconjugale avec sa biographe, véritable booster du scandale médiatique qui lui a porté le coup de grâce. Il a reconnu officiellement l’adultère, salué militairement et remis sa démission. Ce faisant, il se « sacrifiait » lui-même pour « sauver la CIA » et sa stratégie d’alliance à long terme avec les régimes islamistes « modérés », et d’alliances tactiques à plus court terme avec les jihadistes pour renverser un à un les régimes laïcs du monde arabe.
L’homme politique clé derrière l’offensive au sommet du FBI contre Petraeus n’est autre qu’Eric Cantor, leader de la majorité à la Chambre des représentants, qui claironne cyniquement que les idylles romantiques du général sont une menace pour la sécurité nationale. On nous affirme que M. Cantor a solennellement transmis à M. Mueller, directeur du FBI, les correspondances et les rapports qu’il avait reçu de l’agent Humphries, « justicier solitaire » du FBI, non sans ordonner à M. Mueller de prendre les mesures requises concernant cette enquête, sous peine de s’exposer à une enquête du Congrès que M. Cantor lancerait lui-même. Basé à Washington et de longue date supporter zélé de la toute puissance d’Israël, M. Cantor n’a jamais caché son hostilité au rapport du Gal. Petraeus et aux positions de ce dernier sur le Proche Orient. Basé pour sa part en Floride, l’agent Humphries n’était pas non plus n’importe quel vieux détective consciencieux : islamophobe notoire, il est plutôt du genre à traquer l’islamiste sous chaque lit, et se fait une grande gloire d’avoir fait arrêter deux musulmans dont un s’apprêtait à faire sauter l’aéroport de Los Angeles, tandis que le second préparait ailleurs quelque autre attentat. Une pirouette judiciaire plus loin – plutôt inhabituel dans ce genre d’opérations du FBI – les deux individus étaient acquittés faute de preuves de leurs complots respectifs. On trouva tout de même moyen d’en inculper un des deux pour avoir publié un système permettant de déclencher une bombe avec un jouet d’enfant ! L’agent Humphries fut alors transféré de Washington à Tampa, en Floride – siège du CENTCOM, le Centre de commandement général des armées.
Nonobstant leurs différences manifestes – région d’affectation, position sociale, etc. – il y a des affinités idéologiques entre M. Cantor, leader de la majorité à la Chambre des représentants et l’agent Humphries – et peut-être même une commune exécration du Gal. Petraeus. Ses penchants islamophobes et idéologiquement zélotes pourraient bien expliquer pourquoi le FBI s’est empressé de démettre l’agent Humphries de sa mission d’épluchage obsessionnel des correspondances personnelles du directeur de la CIA et du Gal. Allen. Mais sans se soucier le moins du monde des ordres de ses supérieurs du FBI, l’agent Humphries s’en est alors remis directement à son co-zélote Cantor.
Qui pouvait bénéficier de l’éviction du Gal. Petraeus ? Parmi les trois premiers candidats au remplacement du Gal Petraeus à la tête de la CIA, on trouve Mme Jane Harmon, ex-membre du Congrès en Californie et sioniste hyper-zélote. En 2005, Mme Harmon avait été enregistrée par l’Agence de la Sécurité Nationale, alors qu’elle expliquait à des membres de l’ambassade israélienne qu’elle userait de toute son influence pour venir en aide à deux responsables de l’AIPAC [le principal lobby d’Israël aux États-Unis] qui avaient reconnu avoir communiqué des documents secrets américains au Mossad [les services secrets israéliens], si l’AIPAC parvenait à réunir assez de votes au Congrès pour la faire élire à la présidence du Comité aux renseignements de la Chambre des représentants – un acte qui frise la haute trahison mais pour lequel, à la faveur d’une autre pirouette judiciaire, elle ne fut jamais tenue de rendre des comptes. Si Jane Harmon devait succéder à Petraeus, l’éviction de ce dernier à la tête de la CIA pourrait représenter le plus sensationnel « coup constitutionnel » de l’histoire des États-Unis : l’élection d’un agent étranger notoire aux commandes de l’agence d’espionnage la plus énorme, de la plus létale et de la plus pharaoniquement financée du monde. Qui bénéficierait de la chute de Petraeus ? Plus que quiconque, l’État d’Israël.
Les insinuations, calomnies et fuites d’investigation dans la correspondance électronique privée du Gal. Allen tournent pour leur part autour de questions qu’il aurait soulevées concernant la politique américaine de présence militaire prolongée en Afghanistan. Sur la base de sa propre expérience pratique, le Gal. Allen a lui-même reconnu que l’armée fantoche d’Afghanistan n’était pas fiable : des centaines de soldats américains et d’autres pays de l’OTAN ont déjà été tués ou blessés par leurs alliés afghans, du simple première classe au plus hauts responsables de la sécurité – des troupes « indigènes » que les États-Unis avaient pourtant, en principe, formées en vue d’un très solennel transfert de commandement en 2014. Le changement de dispositions du Gal. Allen à l’égard de l’occupation de l’Afghanistan répondrait donc à l’influence croissante des Talibans et d’autres partisans de la résistance au sein même de l’armée afghane, qui contrôlent désormais presque toutes les zones rurales et certains districts urbains, jusqu’aux portes même des bases américaines et de l’OTAN. Pour Allen, une « force résiduelle » d’instructeurs militaires américains n’aurait littéralement aucune chance de survie après le retrait du gros des troupes américaines. En un mot, après plus d’une décennie de défaites militaires, Allen serait plutôt partisan d’une politique consistant à couper totalement les ponts en déclarant « victoire », et à plier bagage vite fait pour se replier en terrain plus favorable.
Mais les militaristes civils et les néoconservateurs de l’Exécutif et du Congrès refusent de sceller leur piteuse défaite avec un retrait américain complet en forme d’abdication pure et simple devant un nouveau régime taliban. D’un autre côté, ils peuvent difficilement rejeter ouvertement les conclusions désagréablement réalistes du Gal. Allen, et moins encore tenir pour rien l’expérience de terrain du Commandant en chef des forces américaines en Afghanistan.
Dans un contexte politique aussi chargé, lorsque le même agent férocement islamophobe du FBI, Humphries, a déniché les correspondances affectueuses et personnelles du Gal. Allen à la mondaine femme fatale, Jill Kelly, les néoconservateurs et militaristes civils se sont empressés – par le biais des plus veules journalistes du Washington Post, du New York Times et du Wall Street Journal [les plus grands journaux de référence aux États-Unis] – de faire mousser la campagne de diffamation en insinuant l’existence d’un second scandale sexuel, impliquant cette fois le Gal. Allen. L’ire des néoconservateurs, des militaristes et des médias prit bientôt de telles proportions que l’invertébré Président Obama et le haut commandement militaire se sont sentis contraints d’annoncer la mise en examen du Gal. Allen et de suspendre les délibérations du Congrès concernant sa nomination à la tête des forces américaines en Europe. Tandis que le Gal. Allen conserve discrètement le haut commandement des forces américaines en Afghanistan, sa réputation est à présent celle d’un officier vaincu et déchu, dont l’expertise professionnelle et l’opinion sur l’avenir des opérations militaires américaines en Afghanistan n’ont plus désormais aucun poids.
Questions clés sans réponse sur les intrigues des élites et les purges militaires
Vu que la version officielle du justicier solitaire du FBI, sans grade, incompétent, islamophobe et zélé, qui met le doigt par miracle sur un scandale sexuel entraînant le discrédit voire la démission des deux plus hauts responsables de l’armée et des services secrets de la première puissance mondiale est manifestement absurde, plusieurs questions politiques clés se posent (ayant de profondes implications sur la politique américaine dans son ensemble), au nombre desquelles :
1) Quels responsables politiques ont autorisé le FBI, agence de sécurité intérieure, à conduire une enquête sur le directeur de la CIA, et à le contraindre à démissionner ?
2) Nos structures actuelles d’État policier – dont les procédures conduisent à un espionnage arbitraire généralisé – auraient-elles conduit nos principales agences de renseignement à s’espionner mutuellement de façon que chacune purge le sommet de la hiérarchie de l’autre ? Est-ce vraiment l’histoire de la truie qui dévore ses petits ?
3) Quels sont les objectifs réels des responsables politiques qui ont couvert l’agent Humphries après son refus d’obtempérer aux ordres de ses supérieurs du FBI – qui lui enjoignaient de cesser immédiatement d’enquêter sur le directeur de la CIA ?
4) L’agent Humphries a-t-il des liens particuliers (et de quel ordre) avec les politiciens néoconservateurs, sionistes et islamophobes, ou avec d’autres services de renseignements (Mossad inclus) ?
5) Pourquoi la démission du directeur de la CIA a-t-elle été immédiatement avalisée (voire imposée) par Obama – lui qui précédemment ne tarissait pas d’éloges pour son brillant « guerrier érudit » de Petraeus – après la mise au jour de quelque chose d’aussi banal, dans la vie civile, qu’une bête histoire d’adultère ? Quels sont les véritables enjeux politiques à l’origine de cette éviction préemptive ?
6) Pourquoi les questions politiques de fond et les dissensions sur les politiques à suivre ne peuvent-elles se résoudre chez nous que sous couvert de chantage, de diffamation ou d’élimination, plutôt que par des débats et discutions ouverts, a fortiori dès qu’il s’agit de choisir nos alliés stratégiques et tactiques, ou de la conduite de nos guerres à l’étranger ?
7) L’élimination et l’humiliation publique de deux des plus hauts gradés de l’armée est-elle devenue une forme acceptable de « sanction exemplaire », une façon pour les militaristes civils d’avertir que lorsqu’il s’agit des politiques à mener au Proche-Orient, le rôle des militaires n’est pas de questionner mais d’obéir aux ordres ? (et à Israël !)
8) Comment une zélatrice sioniste collaboratrice avérée du Mossad comme Jane Harmon peut-elle émerger comme la principale candidate au remplacement du Gal. Petraeus à la tête de la CIA, à peine quelques jours après la démission de ce dernier ? Quels sont les liens politiques, passés et présents, qui unissent M. Eric Cantor – leader fanatique du lobby pro-israélien au Congrès américain, auquel l’agent Humphries a remis les dossiers secrets concernant Petraeus, avant même de les communiquer aux responsables du FBI – à la très influente personnalité sioniste Jane Harmon, principale candidate au remplacement du Gal. Petraeus ?
9) Jusqu’à quel point l’éviction de Petraeus et l’éventuelle nomination de Jane Harmon à la tête de la CIA, vont-elles aggraver l’influence et le contrôle d’Israël sur la politique des États-Unis au Proche-Orient et peser sur les relations diplomatiques entre Washington et les régimes islamistes ?
10) Enfin, quelles seront les conséquences de l’humiliation du Gal. Allen sur le « retrait » américain du désastreux bourbier afghan ?
Conclusion
Le déboulonnage des plus hauts responsables aux postes clés de la politique étrangère et de l’armée des États-Unis, indique clairement une aggravation du déclin de nos droits constitutionnels et de ce qui reste de nos procédures démocratiques : c’est une preuve patente de l’incapacité de notre leadership au plus haut niveau à résoudre les luttes intestines sans sortir les « longs couteaux ». La progression de l’État policier, dans lequel les agences de renseignement ont très largement étendu leur pouvoir politique sur les citoyens, tourne à la surveillance drastique et à la purge au sommet des unes par les autres : le FBI, la CIA, la Homeland Security, la NSA [National Security Agency] et l’Armée développent et scellent toutes des alliances avec les médias, avec des responsables civils de l’Exécutif et du Congrès, mais aussi avec les groupes de pression de puissants intérêts étrangers, pour gagner davantage de poids et de moyens de pression pour jeter les bases de leur propre vision de l’avenir de l’Empire.
L’éviction du Gal. Petraeus et l’humiliation du Gal. Allen sont autant de victoires pour les militaristes civils, supporters inconditionnels d’Israël et de fait opposés à tout rapprochement avec les régimes islamistes, même « modérés ». Ce qu’ils demandent, c’est [non pas un retrait mais] une omniprésence militaire américaine pérenne, en Afghanistan et ailleurs.
Le véritable facteur accélérateur de cette petite « guerre sale » au sommet, c’est en fait l’effondrement de l’Empire et la lutte pour la gestion des défis à venir. Les symptômes de déclin sont partout : l’armée est gangrenée par l’immoralité, des généraux couverts de médailles sodomisent leurs subordonnés et amassent des fortunes en pillant les caisses de l’État avec leurs contrats d’armement. Les milliardaires achètent et vendent les politiciens qu’ils financent aussi bien que les agents de puissances étrangères, et la politique étrangère la plus sensible finit sous la coupe d’intérêts étrangers.
Le discrédit du Congrès américain est littéralement planétaire – près de 80% des Américains estiment que la Chambre des représentants et le Sénat sont des prédateurs du système social, serviteurs de leur seul enrichissement personnel et esclaves de la corruption. Les élites économiques baignent régulièrement dans des affaires d’escroquerie colossales, plumant tour à tour leurs petits porteurs, leurs créanciers ou se plumant les uns les autres. Les grandes multinationales et les plus grosses fortunes plongent dans la fuite des capitaux pour engraisser leurs comptes à l’étranger. L’exécutif lui-même (le « tout sourire » Président Obama) envoie clandestinement des escadrons de la mort et des terroristes-mercenaires assassiner ses adversaires pour pallier son incapacité à défendre l’Empire par la diplomatie ou les armées traditionnelles, ou pour soutenir des États clients. C’est le copinage à tout va : entre Wall Street, le Trésor et le Pentagone, c’est un va et vient permanent, on change de poste à qui mieux mieux. Dans la population, c’est l’apathie et le cynisme qui se généralisent : près de 50% des électeurs ne votent même plus aux présidentielles, et 80% de ceux qui votent sont convaincus que ceux sur qui ils misent ne tiendront aucune de leurs promesses électorales. Des civils agressivement militaristes ont obtenu le contrôle de postes clés et se libèrent progressivement de toute contrainte institutionnelle. Dans le même temps, le coût des défaites militaires, de l’espionnage à tout va, des politiques sécuritaires et des budgets militaires ne cesse d’enfler alors que le déficit fiscal et commercial augmente. Les guerres de factions entre cliques rivales s’intensifient. Purges, chantages, scandales sexuels et immoralité sont devenus la norme parmi les plus hautes sphères. Les discours démocratiques sonnent de plus en plus creux : l’idéologie de l’État démocratique a perdu toute crédibilité. Plus aucun Américain sensé n’y croit.
Y a-t-il un balai assez large pour nettoyer de sa fange cette écurie infecte ? Un « Hercule collectif » émergera-t-il de ce nid de vipères et de corruption avec assez de force de caractère et de détermination pour y mener un changement révolutionnaire ? Nul doute, en tout cas, que la trahison et la cuisante humiliation des plus hauts responsables de l’armée américaine par les militaristes civils « mi poule (mouillée) mi faucon » servant des intérêts étrangers, risque fort d’amener plus d’un officier à revoir sévèrement ses notions de carrière, de loyauté et de dévouement à la constitution.
James Petras
Traduit de l’anglais par Dominique Arias
James Petras est professeur émérite de sociologie à l’Université Binghamton de New York. Défenseur de la justice sociale, il a rejoint le Mouvement des Sans-Terre du Brésil et celui des chômeurs d’Argentine. Membre du Tribunal Bertrand Russell sur la Répression en Amérique Latine en 1973-76 et de la conférence « anti-impérialiste » Axis for Peace organisée par le Réseau Voltaire, il est l’auteur de nombreux ouvrages, dont un seul a été traduit en français : La Face cachée de la mondialisation : L’impérialisme au XXIe siècle, Lyon, Parangon, 2002.
(Le sous-titre de l’article, « It’s not about sex, stupid ! » reprend la fameuse petite phrase de la campagne présidentielle américaine 2012 : « It’ not the economy, stupid ! » )
(Ndt : le contenu de cet article a d’autant plus de poids lorsqu’on ne perd pas de vue 1) que la stratégie des Forces Spéciales US (dont est issu Petraeus) qui consiste à soutenir les islamistes pour renverser des gouvernements laïcs ne date pas d’hier et remonte au moins au début des années 1980 et au premier conflit afghan ; 2) que le pire ennemi des Occidentaux et d’Israël au Proche-Orient n’est pas l’islamisme radical, fut-il iranien, mais a toujours été le Nationalisme Arabe et les perspectives qu’il ouvre ; 3) que ceux qui combattent les forces d’agression ou d’occupation occidentales sur le terrain, en Afghanistan comme ailleurs, ne sont pas nécessairement islamistes, au contraire, comme on a pu le constater en Palestine, en Yougoslavie, en Tchétchénie, en Irak, en Libye ou en Syrie notamment, où les islamistes étaient le plus souvent les alliés et supplétifs des Occidentaux, contre le reste de la population, et servaient les intérêts occidentaux, ne fut-ce qu’en divisant cette population et en empêchant ses différentes composantes de s’unir et de faire front.)