Publié le : 11 février 2013
Source : marianne.net
La France est sur un petit nuage. Les djihadistes qui avaient déferlé en 4×4 sur le sud-Mali ont été repoussé de belle façon. De manière « impressionnante », selon le vice-président américain Joe Biden, venu apporter sa bénédiction à Paris.
La vocation missionnaire et universaliste de la France est comblée. Voilà des populations civiles soustraites à l’obscurantisme. Du devoir d’ingérence humanitaire rondement mené. La France s’imagine naïvement que le monde entier va lui en savoir gré…
C’est là que les choses se compliquent. Joe Biden à peine reparti, les nuages s’amoncellent. A Bamako, des soldats maliens ont échangé entre eux des tirs. En Tunisie, un assassinat politique rappelle au monde entier que les révolutions arabes sont fragiles.
Parallèlement, l’Amérique est empêtrée dans sa stratégie de containment offensif de l’islamisme. Schématiquement, des compétences ont été transférées du Pentagone à la CIA pour mener deux guerres de l’ombre. D’une part, le cyber-sabotage du programme iranien d’enrichissement a retardé le dessein du régime des mollahs mais l’a rendu encore plus entêté. D’autre part, les drones tueurs au Pakistan et au Yémen sont diablement efficaces mais viennent de s’attirer une enquête de l’ONU.
Le dilemme des otages
En proie au doute, les Etats-Unis attendent au tournant l’initiative malienne de la France. Pas question pour eux de reconnaître l’échec de leur entreprise d’instruction de l’armée malienne. Durant ces dernières années, ils ont vainement tenté de mettre sur pied un embryon d’armée solide qui puisse fortifier un Etat. Mais les armements et dollars fournis se sont évanouis.
Le monde anglo-saxon est convaincu que la France porte une lourde responsabilité dans la détérioration de la situation au Mali. Elle découlerait de l’intervention franco-britannique en Libye et des rançons d’otages français au Sahel. Dans le Financial Times, l’universitaire Hugh Roberts, spécialiste de la région, impute à l’intervention française en Libye la responsabilité du chaos qui s’ensuit au Sahel. Une ex-ambassadrice américaine au Mali, Vicki J. Huddleston, reproche à la France d’avoir payé AQMI pour libérer certains otages.
Ce sont pourtant les Américains qui avaient donné le mauvais exemple. La libération des otages de l’ambassade américaine à Téhéran était opportunément intervenue lors de l’élection de Ronald Reagan. Les preneurs d’otages savent qu’ils peuvent jouer sur la corde sensible des démocraties. Non seulement le prix de la vie humaine y est élevé, mais une tentation démagogique peut pousser des équipes politiques à des compromissions, pour s’attirer les faveurs de l’opinion ou se faire réélire.
La France a connu nombre d’affaires, depuis la libération des otages du FLNKS calédonien sous l’égide de Charles Pasqua jusqu’aux accusations du fils Kadhafi à propos des infirmières bulgares. Une chose est sûre, les preneurs d’otages ne se risquent guère à kidnapper du sujet britannique, encore moins du citoyen israélien et surtout pas du russe. D’autres, comme les Suisses ou les Japonais, « négocient » et l’admettent, tout en donnant des consignes draconiennes à leur ressortissants pour qu’ils se retrouvent le moins possible dans des situations à risque.
Avec son riche réseau d’ambassades, ses expatriés, ses militaires, ses retraités globe-trotters, ses french doctors et ses petits reporters, la France est surexposée aux prises d’otages tout en traînant une réputation de pusillanimité. Dans un monde concurrentiel, où s’établissent des marchés sur lesquels chacun s’emploie à faire valoir ses avantages comparatifs, la France peut difficilement continuer à prétendre au statut de grande puissance sans en assumer les inconvénients.
Marc Crapez