Publié le : 26 février 2013
Source : bvoltaire.fr
Des arrestations justifiées ou arbitraires, des gens qui croupissent en prison sans procès, le recours banal à la torture pudiquement nommée « défense nécessaire » (necessity defense), voilà ce que serait le sort des prisonniers politiques en Israël. À noter que c’est un scénario qui ressemble trait pour trait à celui du grand frère américain tel que décrit dans le récemment oscarisé Zero Dark Thirty.
Victime sans doute de l’un de ces « interrogatoires serrés », comme on dit encore, Arafat Jaradat, un Palestinien âgé de 30 ans, est mort samedi après-midi dans la prison israélienne de Meggido. Officiellement d’un arrêt cardiaque, les autorités israéliennes affirmant qu’il souffrait des séquelles de précédentes blessures. Le ministre palestinien des Prisonniers – eh oui, ça existe – affirme quant à lui que l’autopsie a révélé « des fractures sur tout le corps et sur le crâne », preuve qu’il aurait été assassiné.
Quelles que soient les raisons de la mort de ce malheureux, arrêté pour avoir « jeté des pierres contre des soldats et civils israéliens » de la colonie de Kiryat Arba, l’affaire ne fait qu’envenimer le climat dans une Cisjordanie de nouveau au bord de l’explosion (sans jeu de mots). Israël dit craindre une nouvelle intifada.
C’est dans ce contexte qu’a été sélectionné pour les Oscars « Five broken cameras » (Cinq caméras brisées), un documentaire qui relate l’histoire de la résistance du village de Bil’in, en Cisjordanie, contre l’occupation israélienne. Diffusé dans les salles françaises depuis mercredi dernier, on a déjà pu le voir sur Internet et les chaînes du câble.
L’homme derrière la caméra est Emad Burnat. Le jour de la naissance de son quatrième fils, Gibreel, qui est aussi le jour où démarre dans son village la construction de la « barrière de séparation » (le mur), il achète une caméra et commence à filmer. Pendant cinq ans, il va filmer cet enfant qui grandit au milieu d’un village à l’horizon bouché. Il filme les manifestations, la résistance tenace des villageois qui, chaque vendredi, après la prière, vont protester au pied du mur. Il filme la répression, les arrestations musclées, les blessés, les tués quand un jeune soldat fait un carton du haut de son char… Le gamin apprend à marcher entre les barbelés, à jouer au foot contre le mur. Cinq ans et cinq caméras brisées par les soldats d’en face, dont une où s’est fichée la balle qui visait Emad Burnat.
Le moment le plus terrible de ce documentaire, celui où l’on pleure devant tant de bêtise humaine, est l’arrachage des oliviers. Des champs entiers d’arbres multi centenaires, non seulement la seule ressource de toutes ces familles, mais les témoins de l’histoire de cette terre aujourd’hui éventrée par le béton du mur et des colonies qu’il abrite. La ténacité des habitants de Bil’in a fini par payer. Un peu. La ligne du mur a été déplacée. « On s’est battu pendant 5 ans pour regagner un peu de terre et faire reculer le mur. On a récupéré, disons, 100 hectares de nos terres. Mais le mur ici et la colonie juste de l’autre côté, sont bâtis sur les terres de Bil’in. Donc on continuera à se battre jusqu’à ce que toutes les terres de Bil’in soient rendues », dit l’un des frères d’Emad. Alors, chaque vendredi, les manifestations continuent.
« Five Broken Cameras » a donc été sélectionné pour les Oscars, à Hollywood, dans la catégorie Meilleur documentaire. Lorsque Emad Burnat et sa famille ont atterri à Los Angeles, ils ont été arrêtés par les services de l’immigration et emmenés pour être interrogés sur leur présence aux États-Unis. Ils ont eu beau produire des documents prouvant qu’ils étaient invités à cette prestigieuse cérémonie, rien n’y a fait : l’idée d’un Palestinien sélectionné aux Oscars est tout juste impensable. Il a fallu l’intervention de la direction des Oscars, rameutée par Michael Moore, pour qu’on ne remette pas la famille Burnat dans l’avion. Ou au trou.
Guy Davidi, le professionnel israélien et militant pour la paix qui a aidé Emad Burnat à monter et produire « Five Broken Cameras » n’a pas eu de souci. Il est vrai qu’Israël revendique aujourd’hui la paternité du film.
Si rien ne change, il y aura assurément une troisième intifada, puis une quatrième, une cinquième… Il est tout aussi sûr que le jeune Gibreel en sera. Parce que, depuis qu’il est né et qu’il bute sur un mur, il ne rêve que de cela. Et il est malheureusement impossible qu’il en soit autrement.
Marie Delarue