Publié le : 1er mars 2013
Source : marianne.net
Un chanteur au nom étrange est devenu la vedette médiatique de ces derniers jours : La Fouine. C’est un rappeur comme tant d’autres, à ceci près qu’il a réussi encore mieux que d’autres à maîtriser les valeurs de l’ultralibéralisme qui régissent ce milieu. Il ne jure que par le fric, le machisme, la com, sans oublier cette once de fausse révolte qui permet aux lascars du rap business d’être les idoles de Libération et des Inrockuptibles, où l’on vénère les rebelles qui ne voient pas plus loin que le bout de leur capuche.
Le dernier fait d’armes de La Fouine a consisté à utiliser l’un des épisodes semi-mafieux de sa lutte au couteau musicale avec son concurrent Booba. Les deux laissent planer des rumeurs de règlement de comptes à coups de revolver banals de l’autre côté de l’Atlantique. D’ailleurs La Fouine et Booba vivent à Miami, dans ce pays qui est pour eux la Mecque de la réussite, loin de leur mère patrie qui a inspiré à Booba une chanson élégamment titrée : Fuck la France.
A Miami, Booba et La Fouine habitent dans le même immeuble, ce qui laisse sceptique quant à la portée réelle de leur hostilité médiatique. Mais comme le «clash» est une garantie de «buzz», il faut savoir en profiter. Il y a quelques jours, La Fouine s’est fait tirer dessus alors qu’il rentrait dans son pied-à-terre de la région parisienne, à Saint-Maur-des-Fossés, dans un quartier chic du 9-4, loin des ghettos urbains où il est né et qu’il a oubliés depuis qu’il est un trader de la musique.
Coup monté ou réel attentat ? Mise en scène sophistiquée ou règlement de comptes entre voyous du rap ? La Fouine a refusé de porter plainte, laissant ainsi entendre que ce genre de différends se réglait ailleurs que dans une enceinte judiciaire. Peu importe. Pour La Fouine, et même pour Booba (volontairement ou pas), l’essentiel était de rallumer la guerre des «chefs du rap français».
Bon, on ne découvre pas ici les lois du star system, encore qu’elles soient portées au paroxysme par ces énergumènes et les bandes accrochées à leurs baskets. Mais l’étonnant est qu’ils puissent bénéficier d’un traitement médiatique aussi complaisant, alors qu’ils véhiculent des clichés qui feraient bondir n’importe quel journaliste s’ils sortaient d’une autre bouche que la leur.
Sous prétexte qu’ils sont d’origine immigrée et issus d’une banlieue qu’ils ne fréquentent plus depuis longtemps, Booba, La Fouine et leurs compères peuvent étaler leur communautarisme friqué, leur homophobie crasse et leur culte de la violence. Pour certains, il est inéluctable qu’il en soit ainsi, vu leurs origines, ce qui relève d’un essentialisme empreint d’un mépris de classe.
Heureusement, d’autres rappeurs n’entrent pas dans cette catégorie. Parmi eux, Kash Leone, ouvrier à l’usine PSA d’Aulnay depuis douze ans. Cet été, après l’annonce du plan de suppressions d’emplois, il a enregistré une chanson intitulée Ça peut plus durer. Le clip fait un tabac sur Internet où il reste cantonné, hors quelques rares incursions dans le temple médiatique. Ce n’est pas étonnant vu que Kash Leone chante la solidarité, le monde ouvrier, le diktat des rentiers, et l’exigence de respect. Autant de thèmes aux antipodes de ceux portés par le rap bien en cour.
Jack Dion