Publié le : 04 mars 2013
Source : comite-valmy.org
L’explosion du chômage est désormais un fait incontestable. Le dernier baromètre de l’intérim, publié par Prisme (BAROMETRE PRISME Emploi_NATIONAL_JANVIER 2013), indique que de janvier 2012 à janvier 2013, les effectifs de l’intérim ont baissé de 16,2%, l’effondrement étant particulièrement significatif dans le Bâtiment et Travaux Publics (BTP) avec une baisse de 23% et dans l’industrie avec 19,1%. On constate d’ailleurs que cet effondrement est proportionnellement plus important chez les cadres (16,5%) et chez les ouvriers qualifiés (17,9%). La vielle rengaine selon laquelle le chômage toucherait essentiellement les ouvriers non-qualifiés, et traduirait ainsi un défaut de qualification lié au système d’enseignement et de formation est ainsi battue en brèche. Notons que la chute de l’intérim est plus rapide que celle des emplois stables. On constate la même chose dans le rapport entre les CDD et les CDI. Ceci éclaire d’un jour cru les projets du gouvernement et du MEDEF qui veulent « faciliter » les licenciements dans le but supposé d’accélérer les embauches : en réalité, dans une période de récession, le démantèlement des obstacles juridiques aux licenciements ne peut qu’accélérer la montée du chômage et ceci sans aucune contrepartie. Ceci est une condamnation sans appel de l’accord signé par la CFDT avec la patronat. Car la hausse générale du chômage se poursuit inexorablement. Les chiffres sur la France Métropolitaine l’indiquent clairement et montrent que cette hausse date de la fin de 2010 mais s’accélère depuis peu.
Graphique 1
Source : INSEE
Il est en effet de bon ton de faire porter la responsabilité du chômage sur le précédent gouvernement. Mais c’est oublier que les grandes orientations économiques, en particulier la « rigueur » budgétaire mise en place pour sauver l’Euro et articulée sur le TSCG, sont communes au gouvernement Ayrault comme au gouvernement Fillon, à François Hollande comme à Nicolas Sarkozy. L’accroissement du chômage depuis juin 2012 a été de près de 250 000 personnes. La prévision faite à la fin de l’été dernier d’un accroissement de 400 à 500 000 chômeurs de juin 2012 à juin 2013 est donc en passe de se réaliser. L’accroissement du chômage a fortement repris en janvier dernier.
Graphique 2
Source : Ministère du Travail et des Affaires Sociales, DARES
L’accroissement du nombre des demandeurs d’emplois sur la France Métropolitaine, en incluant les trois catégories de la DARE, a été de 320 000 sur la même période. La progression au rythme de janvier nous donne donc un chiffre total de 560 000 demandeurs d’emploi supplémentaires fin mai 2013.
Graphique 3
Source : DARES
Mais, ces prévisions supposent que nous restions dans les prochains mois sur une trajectoire inertielle. Or, rien n’est moins sûr. Les signes d’un possible effondrement de l’emploi salarié, en particulier dans l’industrie, mais qui se répercuterait sur l’ensemble des activités, se multiplient depuis les dernières semaines. Les statistiques des défaillances d’entreprises, recueillies par l’INSEE, sont l’un de ces signes.
Graphique 4
Source : INSEE
On voit nettement une accélération du mouvement des défaillances. Or, dans la situation actuelle, les PME/PMI, où se trouve concentré l’essentiel de l’emploi industriel, sont particulièrement fragiles. Une chute de la consommation, alors qu’elles ne peuvent attendre aucun soutien ni recours des exportations du fait du taux de change de l’Euro, serait en mesure de produire cet effondrement. Or, les dernières données montrent que cette chute de la consommation est en train de se produire. La chute de la consommation de biens manufacturés est importante. Elle est liée à la contraction du marché automobile, mais elle est loin de s’y réduire.
Graphique 5
Source : INSEE
Que ce passerait-il si la consommation des ménages devait baisser de 4% à 5% ? Compte tenu des contraintes que s’est fixé de lui-même le gouvernement, ce n’est pas dans la consommation publique qu’il faudra attendre un soutien à l’économie. Par ailleurs, la baisse de la consommation entraîne la baisse de la production, qui elle-même entraîne une baisse de l’investissement. La relation entre la croissance du PIB et celle de la Formation Brute de Capital Fixe (FBCF) est bien établie. En fait, rien de plus logique : les entreprises confrontées à des carnets de commandes peu remplis n’investissent pas, ou peu. Cela signifie qu’elles ne se modernisent pas non plus car pour se moderniser, pour faire progresser l’appareil productif, il faut renouveler le parc de machine et donc faire un pari sur les capacités d’absorption du marché. On comprend pourquoi, dès que le marché se réduit non pas seulement de manière relative mais de manière absolue, le pari sur le futur devient, ou est perçu, comme de plus en plus dangereux. C’est d’ailleurs particulièrement le cas si les ajouts en capital ont une forte spécificité, c’est-à-dire s’il faut s’attendre à une forte perte de leur valeur en cas de revente pour une autre utilisation. Or, la modernisation de l’appareil productif passe justement par des achats d’unités de capital qui sont toujours plus spécifiques. Progressivement donc, en cas de stagnation de l’économie et de contraction de la demande, c’est tout l’appareil productif qui est atteint par une atonie croissante. C’est en grande partie la raison pour laquelle l’investissement s’est littéralement effondré dans les pays soumis à une austérité draconienne qui a entraîné un fort repli de la production, comme la Grèce, le Portugal et l’Espagne. On doit donc craindre qu’un tel mécanisme ne se mette en place en France, s’il ne s’est pas déjà mis en place, car la stagnation de l’économie dure depuis près d’un an.
Graphique 6
Source : Calculs réalisés au CEMI-EHESS sur sources INSEE
Si ce scénario « noir » est celui qui se dévoilera dans les prochains mois, cela implique que l’accroissement du chômage sera supérieur à 40 000 personnes sans emploi par mois. Il faudrait donc s’attendre à plus de 480 000 chômeurs sur l’année 2013, soit à une hausse de plus de 700 000 depuis juin 2012. La progression du nombre des chômeurs sur l’année 2014 serait probablement aussi rapide, voire peut-être plus rapide avec une hausse du chômage qui serait comprise entre 500 000 et 700 000. Il n’est donc pas impossible que la France achève l’année 2014 avec un nombre de chômeurs, sur le territoire métropolitain compris entre 3,9 et 4,1 millions soit représentant plus de 13% de la population active (au sens BIT ou DARES catégorie A). Des phénomènes d’irréversibilité qui caractérisent un chômage de masse commenceraient à se manifester. Par contre, si la consommation se stabilisait, le nombre de chômeurs ne devrait pas excéder 300 000 en 2013 et sans doute 200 000 en 2014. Ce scénario, que l’on ne peut décemment qualifier de « rose », limiterait le nombre des chômeurs sur le territoire métropolitain à 3,4 millions à la fin de 2014, ce qui implique néanmoins un accroissement de 500 000 par rapport à janvier 2013. La différence entre les deux scénarii est essentiellement politique. Autant le gouvernement sera confronté à une montée lente des tensions et des problèmes sociaux et économiques dans le cadre d’un scénario de hausse « modérée » du chômage, autant ces mêmes problèmes prendront une tournure véritablement explosive si la consommation recule, comme on peut le craindre, et si le chômage voit sa progression accélérer.
Mais les conséquences d’une telle situation pourraient bien dépasser les tensions et mouvements politiques et sociaux. Avec un chômage autour de 4 millions, et un appareil productif dévasté, il deviendra très difficile de réamorcer un mouvement de croissance ultérieur. La France peut soit connaître une longue période avec un taux de chômage très élevé, soit même s’enfoncer toujours plus dans la récession puis la dépression. En fait, les conséquences d’une telle situation apparaissent tellement catastrophiques qu’il est difficile de faire des prévisions raisonnables.
On dira que ceci ne tient pas compte du contexte extérieur, et que la croissance américaine voir chinoise pourrait nous tirer d’affaire. Mais le contexte international est bien plus détérioré qu’on ne le croit (Zone Euro : pourquoi le potentiel de croissance est-il faible dans le reste du monde ? ). La véritable solution réside plutôt dans une rupture avec le « pacte de chômage » passé par l’Europe et mis en scène avec le TSCG et l’Euro.
Jacques Sapir