Publié le : 1er mars 2013
Source : bvoltaire.fr
Faisons un sondage, disons un « micro-trottoir » puisque c’est à la mode. Demandons aux Français s’ils connaissent Pierre Joxe ou Michel Charasse. Peut-être seront-ils 10 % à répondre que ces noms leurs disent vaguement quelque chose, quant à savoir quoi… Ces deux grandes figures du socialisme furent ministres sous Mitterrand. On se souvient un peu du premier parce que, ministre de l’Intérieur, il orchestra en mai 1990 la manipulation de Carpentras. Et si le directeur des RG Yves Bertrand reconnut plus tard que François Mitterrand avait alors tiré les ficelles pour empêcher toute alliance entre un FN montant et la droite parlementaire, force est de constater que Joxe y mit un zèle certain, faisant défiler les Français, gouvernement en tête, de la République à la Bastille derrière l’effigie d’un Le Pen empalé sur une pique. Au nom de la démocratie et de la présomption d’innocence, cela va de soi.
Ministre de l’Économie, des Finances et du Budget, Charasse se rendit d’abord célèbre par ses bretelles et ses gros cigares, son amour des chasses présidentielles à Chambord et sa sale habitude de faire pleuvoir des contrôles fiscaux sur tous les mal-pensants. Enfin, il manifesta ostensiblement son refus d’entrer à l’église de Jarnac pour les obsèques de Mitterrand, préférant, au nom de la laïcité, faire pisser la chienne Baltique sur le parvis. En récompense, Nicolas Sarkozy l’a nommé au Conseil constitutionnel en février 2010.
Pourquoi évoquer ces deux sinistres personnages ? Eh bien, parce que vous et moi leur payons depuis plus de vingt ans une garde rapprochée. Certes, ils ne sont pas seuls à bénéficier de la protection attentive de la police française, mais ils appartiennent aux « 30 à 40% de personnes qui bénéficient d’une protection alors que l’état de la menace les concernant ne la justifie pas », dit un policier à l’AFP. En effet, à part le surpoids ou au pire une patate envoyée par un ancien contrôlé fiscal, on se demande bien ce qui peut menacer Charasse. Quant à Joxe, non seulement il a sombré dans le plus total oubli, mais sa face de commissaire politique atrabilaire suffirait à faire fuir tous les Ansar Dine, Akmi et autres Moujao réunis.
Pourquoi leur assurer une protection alors ? C’est simple : parce que personne n’ose la leur retirer. En 2010, déjà, la Cour des comptes ayant pointé les coûts pharamineux de ces services inutiles – 700 policiers affectés à la protection des hautes personnalités (SPHP), chacun coûtant « près de 71 000 euros par an », soit un coût global de près de 50 millions d’euros – le très détesté Brice Hortefeux, alors ministre de l’Intérieur, avait décidé de priver quelques légumes de leurs tuteurs. Dont Charasse. Qui tira sur ses bretelles, fit quelques moulinets avec son gros cigare, poussa des cris d’orfraie et… garda ses gardes. Il faut dire — parole de « source autorisée », comme disait Coluche — qu’il se ferait payer un loyer par les deux flics qui, logés chez lui, veillent à sa sécurité. Allo Cahuzac, si tu m’entends…
En principe, la décision d’apporter une protection à une personnalité dépend de l’évaluation des risques qu’elle encourt, laquelle est effectuée par l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT) et, en principe là encore, « régulièrement actualisée » en fonction des événements. Voilà pour la théorie. Dans la réalité, tous les bouffis de l’ego dont nous parlons considèrent que leur petite ou grosse personne mérite une protection à vie.
« Les politiques ne veulent pas forcément se créer des inimitiés en enlevant ces protections. Et puis les gens se sont habitués à avoir un chauffeur », dit la fameuse source à l’AFP. « Quand vous êtes protégé, c’est que vous êtes menacé ; quand vous êtes menacé, c’est que vous êtes important. Si vous n’êtes plus protégé, c’est que vous devenez moins important. Il y a une part de statut social attachée à la protection. » Ben oui, car une protection rapprochée, ça vous sert aussi de coupe-file : pas d’attente aux guichets, embarquement immédiat, table ouverte au restaurant et visite en solo au musée. Elle est pas belle la vie ?
Mais à côté de la soixantaine de personnes protégées en permanence (membres du gouvernement, anciens présidents, ex-Premiers ministres, et ex-ministres de l’Intérieur), il est des personnalités qui sont, elles, sciemment exposées. Ainsi Marine Le Pen que certains aimeraient sans doute aussi voir au bout d’une pique. Les services jugent sérieuses les menaces qui pèsent sur elle, mais parce qu’on considère — du moins on le suppose — qu’elles sont intérieures au pays, on ne juge pas utile de l’en préserver. À moins que la République n’espère secrètement en être débarrassée…
Marie Delarue