Publié le : 13 mars 2013
Source : causeur.fr
La nouvelle modification constitutionnelle n’a rien d’anticonstitutionnelle
Lundi dernier, la Hongrie a modifié sa Constitution pour la quatrième fois depuis l’arrivée au pouvoir de Viktor Orban, rappelant le houleux débat qui avait pris place lors de la précédente modification constitutionnelle. Adoptée en février 2011 par les deux tiers de l’Assemblée nationale après consultation de 8 millions d’électeurs, la nouvelle Constitution hongroise n’était que le résultat d’un amendement constitutionnel de 1989 qui prévoyait déjà la disparition du texte fondamental de 1949, dès lors que le quorum des deux tiers le permettrait, pour mieux enterrer l’idéologie du communisme. À l’époque, la Hongrie était devenue la bête à abattre et affrontait les remontrances de Bruxelles et de Washington. Parmi les chevau-légers de la démocratie, on avait même vu l’élégant Jean-Christophe Rufin prendre la plume pour dénoncer un Viktor Orban censé être « à la dictature ce qu’Yves Saint Laurent était à la haute couture ». Il faut dire que le nouveau texte n’avait rien pour plaire aux idéologues modernes. Dès son article II, la nouvelle loi fondamentale faisait état de l’inviolabilité de la dignité de la personne humaine dès sa conception. Plus loin, une disposition consacrait le mariage entre un homme et une femme, éloignant d’un revers de la main les revendications homoparentales ou transsexuelles. Plus grave encore, le mot République n’était plus accolé à la dénomination du pays (on le retrouvait en réalité un article plus loin) et une référence explicite aux valeurs chrétiennes faisait son apparition. Crime suprême enfin, le texte prévoyait la mise sous tutelle de sa banque centrale tandis qu’un paquet de lois entérinait des dévaluations compétitives du Forint ainsi que des nationalisations.
Cette fois-ci, la réforme constitutionnelle aura principalement porté sur les compétences de la Cour constitutionnelle, prérogatives qui sont définies par le Parlement, comme dans la plupart des pays démocratiques. L’amendement, nous dit-on déjà, empêcherait la Cour constitutionnelle de se référer à sa jurisprudence d’avant l’entrée en vigueur de la nouvelle Constitution, le 1er janvier 2012. L’Europe et les Etats-Unis n’ont pas manqué d’exprimer un certain nombre de réserves, notamment en ce qui concerne « le principe de la primauté du droit, le droit de l’UE et les normes du Conseil de l’Europe ». L’affaire est un peu plus compliquée que ce que les professionnels de l’indignation voudraient nous faire croire puisqu’il s’est agi pour le Parlement hongrois de régler la question de l’application de la loi dans le temps. Entre les jurisprudences et les dispositions transitoires qui règlent le passage entre l’ancienne et la nouvelle Constitutions, il fallait un peu d’intelligibilité pour déterminer quel droit prévaut et à quel niveau il se situe dans la pyramide de Kelsen, responsabilité qui échoit au Parlement, si l’on se réfère à la décision de la Cour Constitutionnelle hongroise n°45/2012. Certes, les décisions de la Cour constitutionnelle adoptées sous le régime de l’ancienne Constitution seront abrogées mais leur effet légal restera préservé. Et la Cour aura toute liberté pour rendre ses futures décisions en se référant soit à l’ancienne jurisprudence, soit en l’ignorant, ce qu’elle ne pouvait pas faire auparavant. Plus encore, l’amendement adopté lundi permet désormais à la Cour Constitutionnelle de vérifier la constitutionnalité de la Loi fondamentale mais aussi celle de tous les futurs amendements du point de vue procédural. Quant à la saisine de la Cour, en plus d’un quart des députés et de l’Ombudsman, elle est dorénavant accessible au Président de la Cour suprême et au Procureur général. Voilà ce qu’on appelle un « frein » contre les abus de pouvoir.
D’aucuns ont aussi agité le spectre de la chasse aux SDF alors même que la modification constitutionnelle impose à l’Etat et aux municipalités de trouver un logement décents aux sans-papiers. Si certains lieux publics feront l’objet de restrictions, c’est justement parce que ce droit au logement opposable devient un critère de l’ordre public. D’autres ont fustigé l’obligation faite aux étudiants de rembourser l’intégralité de leurs frais d’études s’ils ne s’engagent pas à demeurer en Hongrie un certain nombre d’années après l’obtention de leur diplôme. On peut trouver cette décision limitative de liberté mais on peut aussi considérer que l’Etat n’est pas une vache à lait juste bonne à payer un enseignement pour que les mieux lotis aillent jouir ailleurs des bénéfices engrangés dans leur pays. On se souvient encore du titre de Libération qui avait défrayé la chronique : « Jeunes de France, votre salut est ailleurs : barrez-vous ! ». Peut-on reprocher au Parlement de promettre à ses concitoyens un espoir dans leur propre pays ?
Quoi qu’on puisse penser de cette modification constitutionnelle, cette Europe qui s’inquiète dès qu’un pays s’exprime démocratiquement est bien curieuse. Car quoi de plus démocratique que de proposer aux représentants du peuple de faire usage de leur pouvoir de constituant ? Quoi de plus démocratique et positiviste que de considérer qu’aucune loi ne tire une force supérieure de celle de la volonté du peuple ? Quoi de plus démocratique que de renvoyer au passé l’infaillibilité de la loi et de poser en principe que ce que l’homme a fait, l’homme peut le défaire ? Car qui peut décider de l’inaliénabilité des textes sinon le peuple lui-même ?
Les démocraties ne peuvent pas plus se passer d’être hypocrites que les dictatures d’être cyniques disait Georges Bernanos. Rien n’a changé…
Théophane Le Méné