Publié le : 25 mars 2013
Source : bvoltaire.fr
Hier, entre le haut de l’avenue Foch, la place de l’Étoile et les Champs-Élysées, près d’une centaine d’enfants âgés de 0 à 14 ans — certains étaient encore dans des poussettes — ont été gazés par les forces de l’ordre.
Ils toussaient, crachaient, pleuraient, se frottaient les yeux sans comprendre ce qui leur arrivait. Certains CRS, à l’arrière ou sur les côtés, pris de pitié, ont même sorti de leur poche je ne sais quel antidote réservé à leur usage personnel pour calmer les irritations des plus désemparés. L’un d’entre eux a dû être pris en charge par les secours pour être ventilé.
C’est vrai que les ordres sont les ordres, et ceux qui ont été donnés obéissaient de toute évidence à l’intérêt supérieur du pays : ces enfants-là mettaient en danger la sécurité de l’État. Attention, le lancer de biberons et l’attaque de doudous, ça peut faire super mal. Ils ne sont pas vieux, et comme première expérience de l’exercice de la démocratie, ça se pose là.
Mais Harlem Désir a été catégorique, ceux qui ont été victimes des violences des forces de l’ordre n’étaient rien que des « nervis d’extrême droite ». Moi, je veux bien, mais c’est qu’alors ils les prennent au berceau. Ou à la maison de retraite. Car, sur la place de l’Étoile, devant le mur anti-émeutes des forces de l’ordre, j’ai vu une vieille dame à terre, aveuglée par les gaz lacrymogènes, qui a manqué se faire piétiner lorsque la foule paniquée a reflué.
Ou que ces « nervis d’extrême droite »-là étaient facétieux : car, pour faire un lien entre les « insultes » qu’ils proféraient à l’encontre des forces de l’ordre et les heures les plus sombres de notre histoire, il va falloir quand même se creuser la tête : « Les gendarmes à Saint-Tropez ! » scandaient les uns, « CRS = tendresse ! » rigolaient les autres. Quand ils ne se mettaient pas à danser : « Deux pas en avant, trois pas en arrièèèèère, les mains sur le côtéééé, et recommencez ! ». Et je ne vous parle même pas des donzelles en escarpins dont le gaz lacrymogène faisait couler le rimmel. Sans rire, qu’est-ce qu’ils leur apprennent dans leurs camps d’entraînement ? Tout fout le camp, ma brave dame, les nervis d’extrême droite, ce n’est plus du tout ce que c’était.
Après le spectre de l’extrême droite, la leçon de morale du maître d’école : n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes ! N’avaient qu’à rester bien sagement parqués là où on leur avait dit ! Sauf que voilà, manque de bol, ceux qui ont été gazés avenue Foch — ouverte par les forces de l’ordre elles-mêmes pour cause d’affluence — étaient sur le parcours autorisé. Sauf que voilà, on s’était tué à lui dire, à la préfecture, que l’avenue de la Grande-Armée, cela n’allait pas suffire. Alors, forcément, l’étroitesse des lieux jointe à un public un tout petit peu agacé d’être pris, depuis cinq mois, pour l’homme invisible par le gouvernement, ça a fait craquer le wagon à bestiaux.
Après la leçon du maître d’école, le déni de réalité : la préfecture — ça sent le recuit — concède 300.000 manifestants du bout des lèvres quand nous étions évidemment plus d’un million, et pour Arnaud Montebourg, nous n’étions carrément qu’une « poignée d’opposants ». Pas gâté par la nature, le garçon. Avec des mains pareilles, je ne vois qu’une solution, les gants sur mesure.
Le bras de fer avec les forces de l’ordre a duré jusque tard dans la soirée. Pas de vitrines brisées, pas de commerces pillés, pas de cocktails Motolov, pas de casseurs professionnels à capuche et foulards sur le nez, mais des familles décidées, forcées de venir expliquer, de façon ubuesque, pour la troisième fois, qu’on aurait beau retourner le problème dans tous les sens, un bébé ne naîtrait jamais que de l’union d’un père et d’une mère. Des familles bien élevées mais fatiguées, voire excédées d’être devenues le bouc émissaire si évident du gouvernement. L’accueil violent qui leur a été réservé ce soir n’a fait que consolider leur détermination forte et non violente. Mais dans les combats asymétriques, le plus fort n’est pas toujours celui que l’on croit. Et dire que le printemps vient à peine de commencer.
Gabrielle Cluzel