Publié le : 06 avril 2013
Source : bvoltaire.fr
Dis-moi d’où tu causes… Je te dirai qui tu es. Événement passé inaperçu sous la mer roulante et écumante de l’affaire Cahuzac, mais, néanmoins, non sans importance dans le paysage médiatique français. La sortie en kiosque, ce jeudi 4 avril, du mensuel Causeur dirigé par Élisabeth Lévy. D’abord lancé sur Internet, puis réservé, dans sa version papier, aux seuls abonnés, le magazine qui se veut « dérangeant », selon l’éditorial, arrive à grands tirages au prix de lancement de 4,90 €. Dont acte.
Devons-nous saluer le courage de madame Lévy et de son équipe d’oser l’aventure de la presse écrite, à l’heure où celle-ci se porte assez mal, soutenue bien plus par les aides publiques, les banques privées et les mannes publicitaires que par un lectorat déserteur ? Causeur défierait-il ces lois d’airain de l’apesanteur économique ? À y regarder de près, on se dit que si la causerie se mesurait, elle ne servirait pas de mètre étalon de la bonne santé de la presse française.
Invitée du « Buzz Média Orange-Le Figaro », notre Rouletabille en jupon admettait, toute à sa candeur alliée à sa spontanéité proverbiale, que parmi les actionnaires de son canard, on comptait « Charles Beigbeder et Xavier Niel, copropriétaire du Monde et actionnaire de Mediapart ». D’emblée, on s’interroge sur la sincérité de la profession de foi des causeurs professionnels quand, la main sur le cœur, ils proclament vouloir « obliger l’époque à livrer ses petits secrets, dévoiler la tectonique des plaques idéologiques à l’œuvre sous le tapis du débat public : voilà notre cahier des charges ». On plonge alors dans un abîme de perplexité et l’on conjecture sur l’originalité (et donc aussi la pertinence, voire l’impertinence) de la grille d’interprétation de l’actualité qu’ils offriront à leurs lecteurs.
En d’autres termes, comment se réclamer d’une foncière indépendance d’esprit et de plume quand on est tenu en laisse (même longue) par les grands clercs du capital ? Rappelons, à toutes fins utiles, que le quotidien vespéral dit « de référence », Le Monde, est entre les mains de la banque Lazard « qui se partage le contrôle du capital avec Xavier Niel de Free et Pierre Bergé, le milliardaire rouge, financier de SOS Racisme » (J.-Y. Le Gallou, La Tyrannie médiatique, Via Romana, 2013). Xavier Niel a, lui, bâti sa colossale fortune grâce au Minitel rose, ce qui lui permit de faire entrer en Bourse son groupe Iliad avec l’appui duquel, en 1999, il lança le premier fournisseur d’accès gratuit à Internet, Free. Le même groupe a également financé le site Mediapart, fondé et dirigé par Edwy Plenel, ce qui fait bien du trotskisme l’autre idiot utile du capitalisme après le communisme. Quant à l’homme d’affaires Charles Beigbeder, précisons qu’il est l’invité régulier des dîners du très fermé (et très influent) club Le Siècle et membre du puissant lobby de dirigeants d’entreprises à forte croissance Croissance Plus, très en pointe lors du mouvement de contestation fiscale des « Pigeons », en septembre 2012.
Dès lors, questions : le magazine Causeur est-il à même de pouvoir donner libre cours à toutes les opinions au nom de la liberté d’expression dont se réclame avec constance Élisabeth Lévy depuis près de vingt ans ? La déontologie de son équipe, comme sa ligne éditoriale ne risquent-elles pas, à un moment ou à un autre, d’être prises entre le marteau des actionnaires précités et l’enclume de l’élémentaire liberté journalistique ? Une chose semble acquise, nonobstant : un journal qui mange, même avec une longue cuillère, en compagnie du diable de la finance d’affaires ne peut manquer d’être attrait devant le tribunal de l’opinion pour suspicion légitime sur sa prétendue indépendance à l’égard des gens de pouvoir et des puissances d’argent.
Dans L’Avenir de l’Intelligence (1903), Maurras prévenait : « En même temps que la liberté politique, chose toute verbale, [la presse] a reçu la servitude économique, dure réalité, en vertu de laquelle toute foi dans son indépendance s’effaça, ou s’effacera avant peu. Cela à droite comme à gauche ». Signalons, au surplus, que la belle Lévy, sans doute pour aggraver son cas, clame qu’elle est « sioniste ». Quelle hardiesse, quand on sait que le positionnement contraire, simplement borné à la critique constructive de la politique intérieure et internationale d’Israël, voit s’abattre sur ses défenseurs l’anathème paralysant et, in fine, ostracisant, d’antisionisme, substantif infâmant assimilé, ipso facto, à l’antisémitisme par la novlangue du politiquement correct.
Aristide Leucate