Publié le : 06 avril 2013
Source : siel-souverainete.fr
Tribune de Paul-Marie Coûteaux publiée dans La Nef » n° 247 d’avril 2013
En février dernier, Mme Merkel, puis M. Obama lors du discours solennel sur l’état de l’Union prononcé quelques jours plus tard (étrange conjonction…) ont fait ressurgir le projet de « zone de libre-échange transatlantique » consistant à parachever l’abolition de toute protection commerciale, aussi dénommés « entraves au commerce », entre les États-Unis et les 27 et bientôt 28 pays de l’UE. Aussitôt M. Barroso annonçait que la Commission de Bruxelles ouvrirait dès juin des négociations avec l’administration états-unienne en vue de préparer un traité créant une « zone de libre-échange » qui se veut absolue : il ne s’agit pas seulement d’abaisser encore les droits de douane entre EU et UE (déjà extrêmement bas, de 2 à 4 %), mais de supprimer les « obstacles non tarifaires », c’est-à-dire toutes les législations réputées discriminantes, telles celles qui fixent des normes, notamment en matière d’environnement ou de santé, mais aussi toute forme de protection industrielle (sont notamment visées les « industries culturelles », les aides au livre ou au cinéma, les quotas de programmes français dans les radios et télévision, etc.), comme toute forme d’aide à l’agriculture, de longue date la bête noire de Washington – c’est sur ce dernier point, la PAC, que le projet achoppait jusqu’alors, mais sa progressive disparition (elle aussi voulue par Washington et Berlin, mais aussi Londres, contre les pays agricoles, principalement les pays latins) ouvre désormais toutes les vannes.
On s’étonne que, alors que les pays sud-européens paraissent plus que circonspects, le gouvernement français ait déclaré (par la voix du ministre Nicole Bricq, disciple de Jean Pierre Chevènement !) vouloir soutenir un tel projet, pourtant proche du démentiel : ce ne sont pas seulement de grandes parties de notre politique culturelle, de notre politique environnementale ou sanitaire (bonjour le bœuf aseptisé à l’acide…), comme de notre agriculture ou de ce qui reste de notre industrie pharmaceutique ou chimique (et l’on en passe) qui sont en jeu, mais de proche en proche tous les secteurs concurrentiels, le dollar étant, par la volonté de la Banque centrale dite « européenne », notoirement sous-évalué par rapport à l’euro, ce qui confère aux exportations états-uniennes un énorme avantage commercial.
Enjeux énormes, tandis que l’américanisation de l’Europe bat son plein – exemple entre cent, le projet gouvernemental ouvrant la voie à l’enseignement en américain dans nos universités, comme il se voit déjà dans le nord de l’Europe ou dans nos high schools : c’est tout ce qui pouvait encore protéger, certes de plus en plus « à la marge », les spécificités du « vieux continent » et sa civilisation qui s’évanouit sous nos yeux. Pire encore : pendant que l’Europe glisse ainsi dans l’abîme atlantique, et s’enferme peureusement sur « le monde blanc », elle se détourne de partenaires avec lesquels des partenariats multiformes seraient infiniment plus féconds : l’Inde, la Turquie, le Brésil, la Russie, et cette Afrique qui fournira sans doute les futurs dragons du XXIe siècle – voir le Nigéria, le Gabon, l’Angola, peut-être le Maroc. Mais n’est-ce pas là le point ultime de cette supposée « construction européenne » (d’inspiration d’ailleurs atlantiste), dont on voit de plus en plus clairement que, détruisant peu à peu les politiques, donc les États, donc les Nations qui en étaient la substance même, elle aura précipité l’Europe dans une presque irréversible décadence ?
Paul-Marie Coûteaux