Publié le : 13 avril 2013
Source : atlantico.fr
C’est parce qu’il n’avait pas la majorité au Sénat que le gouvernement a fait passer le projet de loi Taubira à main levée.
Tel Théodose II… Seuls les spécialistes de l’Antiquité tardive savent ce que fut le « brigandage d’Ephèse ». Réunissant en 449 un concile réticent, l’empereur byzantin Théodose II utilisa tous les moyens en sa possession : exclusion de la salle de réunion, intimidation, manipulation du vote pour obtenir l’approbation des thèses christologiques qui avaient sa faveur. Ce concile n’a finalement pas été reconnu par la tradition.
C’est un peu ce qui s’est passé au Sénat le vendredi 12 avril lors du vote de la loi en faveur du « mariage » dit pour tous. Le gouvernement a fait adopter le projet par la Haute-Assemblée en décidant brusquement un vote à main levée qui a pris tout le monde de court. Même légale, cette procédure n’en est pas moins étonnante, d‘abord par sa soudaineté, mais surtout par son caractère expéditif, eu égard à l’importance du texte que Mme Taubira elle–même n’hésite pas à appeler un « changement de civilisation » ! Plus étonnant encore : depuis une semaine que durait le débat au Sénat, tant les motions de procédure qu’au moins une vingtaine d’amendements avaient fait l’objet d’un vote par scrutin public, lequel permet, non seulement à tous les députés de voter, fut-ce par procuration, mais aussi au public de savoir précisément qui a voté quoi. Si des amendements mineurs avaient fait ainsi l’objet de procédures formelles, a fortiori pouvait-on s’attendre à ce qu’il en soit de même pour le vote sur l’ensemble du texte.
Mais il y a plus : le décompte des voix ayant été fait très vite, le président du Sénat, en violation du règlement, s’en remet aux présidents de groupe (dont aucun n’a objecté) pour lui communiquer ultérieurement le détail des votes !
Une manœuvre cynique
Première réflexion qu’inspire ce vote « à la hussarde » : si le gouvernement a procédé de cette manière, c’est qu’il n’était pas du tout sûr d’avoir une majorité au Sénat sur la loi organisant le « mariage » entre personnes du même sexe.
Certes, il avait disposé à presque tous les scrutins intermédiaires, d’une majorité d’une vingtaine de voix. Mais cette majorité n’avait été obtenue que grâce à la défection d’une quinzaine de sénateurs de droite, s’abstenant ou votant avec le gouvernement, et parce que le groupe socialiste (comme le groupe communiste) déclarait régulièrement 128 voix pour sur 128 membres, incluant d’autorité tous les dissidents, en particulier la dizaine de sénateurs de gauche d’outre-mer qui avait dit et répété dans leur circonscription qu’ils ne voteraient jamais ce texte.
Plusieurs de ces derniers semblent s’être ressaisis au cours des dernières heures du débat, et, craignant à juste titre les réactions des élus et de la population de leur département, n’avaient pas l’intention de voter le texte dans sa globalité. La droite était dès lors tenue de resserrer les rangs pour éviter que le résultat final du scrutin ne fasse apparaitre que le texte était passé grâce à elle, ce qui eut été d’un effet désastreux aux yeux de son électorat, surtout à un moment où l’opinion tend à s’en prendre non seulement aux élus socialistes mais à la classe politique dans son ensemble.
Le vote à main levée, à condition d’en choisir bien le moment, permettait, non seulement de s’assurer une majorité, mais encore de donner un alibi aux sénateurs d’outre-mer pour ne pas participer au vote, tout en exonérant la droite de l’avoir laissé passer.
Une telle manœuvre est certes bien dans le style de l’actuel président du Sénat, Jean-Pierre Bel, apparatchik brutal et sectaire, très éloigné du radicalisme cassoulet que pourrait évoquer sa qualité de sénateur de l’Ariège. Mais il est vraisemblable qu’elle a été conçue plus haut. Qui ne voit que le cynisme qui sous-tend ce genre de manœuvre est bien de même nature que celui que l’on fustige chez un Cahuzac ?
Il n’en reste pas moins étonnant qu’aucun des responsables des groupes de l’opposition n’ait demandé le scrutin public comme c’était possible. Ceux qui écartent l’ hypothèse que la droite sénatoriale ait été d’accord dès le début pour que le texte soit voté, ne peuvent s’empêcher de voir là, pour le moins, la marque d’une grave incompétence. Quoi qu’il en soit, le Sénat dans son ensemble n’en sortira pas grandi.
Une erreur politique
La deuxième leçon à tirer de ce quasi coup d’état est que le gouvernement est décidé plus que jamais à aller jusqu’au bout du vote de la loi Taubira et cela par tous les moyens, y compris les artifices de procédure le plus critiquables.
D’autant que l’on apprend dans la foulée qu’il compte accélérer la procédure : le nouveau passage à l’Assemblée nationale est prévu dès mercredi prochain : l’Assemblée se ralliant , selon toute probabilité, aux amendements du Sénat , le vote sera alors définitivement acquis.
Cette obstination relève-t-elle de la tactique politicienne ? A-t-elle pour but de faire oublier l’affaire Cahuzac et l’envol du chômage, d’ inscrire à l’actif du gouvernement au moins une réforme importante ? S’agit-il, parmi tant de déçus, de satisfaire au moins une clientèle, le lobby dit « gay » ( et tout ce qu’il y a derrière , telles les multinationales américaines qui financent Terra nova , les mêmes qui s’activent actuellement pour que la Cour suprême rende obligatoire le « mariage gay » aux Etats-Unis ) ?
Si tel est le cas, ces calculs sont tous faux. Ce qui sera ressenti par des centaines de milliers d’anti-mariage unisexe comme une nouvelle magouille n’est pas prêt à faire oublier l’affaire Cahuzac, bien au contraire. Le lobby « gay » ne représente pas grand-chose, surtout si on en soustrait tous les permanents vivant de fonds publics ou des subsides de Pierre Bergé. Beaucoup d’homosexuels sentant combien le vote de cette loi à la hussarde risque de faire monter l’homophobie, la vraie celle-là. D’autre part, loin d’apaiser les esprits, l’adoption définitive de la loi apparaitra comme une profonde humiliation pour ses opposants, qui mettront dès lors toute leur énergie à faire battre les socialistes (et les éventuels dissidents de droite !) aux prochaines échéances électorales. Loin d’être « digérée » par l’opinion, cette loi va continuer d’alimenter les rancœurs et la division de la société française (qu’ il revenait au président de la République de rassembler !).
S’il est vrai que les sondages ont longtemps donné le mariage homosexuel majoritaire dans l’opinion, beaucoup de gens, pris à froid, répondant en fonction de ce qu’attend le politiquement correct médiatique, cette majorité est en train de s’inverser depuis que le débat est lancé et que chacun a eu le temps d’approfondir le sujet. Il est clair en tous cas que, si on ne dénombre que les très convaincus, les opposants surclassent de très loin les partisans de la loi Taubira, comme l’a montré l’ampleur des récentes manifestations.
Pour un gouvernement accablé par les sujets de mécontentement comme c’est le cas aujourd’hui, il aurait même été de bonne politique, à s’en tenir à la stricte logique politicienne, de crainte que tous les mécontents ne se conjuguent dans la rue, de relâcher la pression. Laisser le projet Taubira échouer au Sénat eut été pour cela un moyen élégant, pas déshonorant pour lui.
La fureur idéologique
Non, si le gouvernement s’obstine envers et contre tout à faire passer ce projet en force, c’est qu’il est aveuglé par la fureur idéologique.
Un projet qui ne vise qu’à faire reconnaitre un principe absurde : le déni de la sexuation de l’ espèce humaine, comme jadis on voulait éradiquer l’instinct de propriété ou l’instinct religieux (ce qui pourrait bien revenir à l’ordre du jour !), est un projet idéologique. Nous avons affaire à un gouvernement d’idéologues sur ce sujet ; il pourrait l’être bientôt sur d’autres.
Un projet idéologique ne vise, contrairement à ce que prétendent ses promoteurs, à régler aucun problème, à abolir aucune injustice véritable, seulement à affirmer un principe philosophique faux, et cela au prix de terribles effets pervers. Heurtant le sens commun comme le sentiment profond du peuple, voire la morale commune chère à Jules Ferry, il ne tolère aucun compromis et, entouré d’une hostilité croissante, amène nécessairement le pouvoir à se raidir.
« Possédé » par l’idéologie, un gouvernement de cette nature est prêt à tout sacrifier pour répondre à la logique folle de l’ « idée » qui s’est emparée de lui : la démocratie (en l’occurrence sinon dans sa lettre, du moins dans son esprit), la république, l’unité nationale. C’est dès lors à un régime de type nouveau que nous avons affaire. Sachons-le : tous les coups lui sont permis. Cela jusqu’à ce que le peuple juge, à son tour, que, pour en finir avec cette logique folle, tous les coups lui sont, à lui aussi, permis.
Roland Hureaux
Roland Hureaux a été universitaire, diplomate, membre de plusieurs cabinets ministériels (dont celui de Philippe Séguin), élu local, et plus récemment à la Cour des comptes.