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«En Libye, il n’y a plus d’Etat» entrevue avec Patrick Haimzadeh

24 avril 20130
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Publié le : 23 avril 2013

Source : liberation.fr

Ce mardi matin, un attentat à la voiture piégée contre l’ambassade de France à Tripoli a blessé deux gendarmes français, dont un a été grièvement atteint, et provoqué d’importants dégâts. Il s’agit de la première attaque contre des intérêts français en Libye depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011. Pour l’analyste Patrick Haimzadeh, spécialiste de la Libye, cet attentat est symptomatique d’un pays en proie à la violence permanente.

Après la guerre, la Libye est peu à peu sortie de l’agenda médiatique, quelle est la situation actuelle ? Le pays semble s’être complètement balkanisé, si on peut employer ce terme.

Je suis toujours réservé sur les comparaisons. C’est un pays, historiquement, avec un sentiment d’identité nationale fragile. Et, paradoxalement, c’est Kadhafi qui avait contribué à la construction de ce sentiment national. La guerre, du coup, malgré ce qu’on a pu dire ou écrire en France en 2011, a ravivé les clivages. Il ne faut pas oublier que ce fut huit mois de guerre civile, des Libyens contre d’autres Libyens. Donc forcément, à une identité nationale déjà faible se sont ajoutées les divisions du conflit et la prédominance d’une culture de l’affrontement.

Ensuite, il y a aussi la question de l’islam politique. Tolérée lors des cinq ou six dernières années de Kadhafi, elle ne faisait pas encore sens à l’époque. Mais avec cette guerre, ses membres se sont retrouvés en pointe des combats, ils ont été soutenus de l’étranger, ils ont acquis une légitimité révolutionnaire et militaire, et ils cherchent à transformer le tout en une légitimité politique. Ils ont des milices et ils ont tout naturellement aussi intégré l’appareil militaro-industriel en cours de reconstruction à des postes clés.

Quels sont les groupes les plus puissants ?

Dans l’est de la Libye, à Benghazi on peut citer notamment les milices d’Ansar al charia et à Tripoli la milice Al nawasi rattachée au quartier très peuplé de Souq al Juma et dont les chefs sont proches du responsable du conseil supérieur de sécurité de la capitale.

Le gouvernement à Tripoli et notamment le Premier ministre Ali Zeidan ont-ils un semblant de pouvoir et d’autorité ?

On est dans un contexte où il n’y a plus d’Etat. Dans le sens régalien du terme, il n’est pas en mesure d’exercer la violence légitime. Sa légitimité est discutée par tout le monde. Une nouvelle fois, il faut mettre en avant ces questions d’identités, tribales, géographiques, religieuses, qui sont problématiques. Elles ont été exacerbées avec la guerre et elles ont été largement sous-estimées à l’étranger par ceux qui ont voulu réduire la guerre libyenne à une insurrection populaire contre un dictateur pour instaurer la démocratie.

La France a-t-elle mal préparé l’après-guerre ?

La France a pris une décision rapide d’entrer en guerre sans penser aux conséquences qu’aurait ce conflit. Après il était trop tard, on n’allait pas occuper la Libye et on ne pouvait pas mettre un casque bleu derrière chaque milicien.

Sur l’attentat en lui-même, peut-être la France a-t-elle minimisé le risque d’être attaquée, et n’a pris toutes les mesures sécuritaires. Je connais bien l’endroit où se situe l’ambassade, et un filtrage efficace des deux accès à la petite rue où se trouvait l’ambassade aurait pu éviter l’attentat ou en dissuader leurs auteurs.

L’intervention au Mali peut-elle jouer contre la France ?

Ce type d’attaques était peut-être déjà pensé et envisagé par ces gens-là mais l’intervention au Mali peut aider, d’une certaine manière, à passer à l’action et à la légitimer. Il y a des personnes qui ont accepté l’intervention de la France par pragmatisme. Entre les deux Satans, il fallait choisir le moindre. Mais la guerre au Mali, perçue comme une intervention occidentale en terre d’islam, les conforte dans cette vision que la France est une menace impérialiste.

La situation risque-t-elle de se dégrader dans les prochains mois ?

De manière générale, il y a des affrontements, des règlements de comptes presque tous les jours, mais cela n’intéresse personne car c’est le plus souvent entre Libyens. Jouer à la boule de cristal est toujours dangereux et je ne dis pas que cela va devenir la Somalie, mais on risque d’entrer dans une situation grise, avec des violences régulières. Cela peut prendre des années avant de se stabiliser. On peut avoir un entre-deux incertain qui aura des conséquences sur notre présence dans le pays et accroîtra notre méconnaissance et notre incompréhension du pays. La tentation étant alors de rester à l’abri dans son bureau et de se couper du pays réel et de sa population.

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