Publié le : 02 septembre 2013
Source : bvoltaire.fr
À Plouagat, on a des chapeaux ronds, mais surtout, par-dessous, une caboche courageuse qui ne s’en laisse pas conter. Les Plouagatins, récemment interrogés par leur maire via un référendum sur l’avenir de leur église en passe de s’effondrer, ont voté à 80 % pour sa restauration. L’église bretonne faisait partie de ces églises non classées – et elles sont nombreuses parmi les 45.000 que compte la France –, dans le collimateur de la municipalité en raison de son état de délabrement. En 2013, cinq d’entre elles ont été rayées de la carte à la pelleteuse sur un haussement d’épaules fataliste du conseil municipal : vous ne voudriez pas non plus qu’on investisse des fortunes pour les retaper, alors qu’en France les pratiquants sont si rares ?
Mais à Plouagat, pour la première fois, le maire a eu l’honnêteté de consulter au préalable les habitants. Une initiative « insolite », lit-on dans la presse. C’est vrai qu’un élu, en France, qui demande l’avis de ses administrés, c’est quand même très incongru, voire un peu dingue : pourquoi ces ploucs auraient-ils le droit de l’ouvrir ? Quand on voit le résultat à Plouagat, on comprend même que c’est très imprudent. Car ce « oui » ressemble singulièrement à un plébiscite de la France des clochers.
On leur a pourtant doctement expliqué que leur église, un patchwork architectural du XVe, XVIIIe et XIXe siècle, était moche. « Surplombant la localité, la haute flèche en granit sans charme particulier de l’église masque mal l’état de délabrement général de l’édifice, strié de larges lézardes. À tel point que la mairie a pris l’an passé, en accord avec l’évêché, un arrêté de fermeture en raison des risques d’effondrement », peut-on lire dans une dépêche AFP reprise in extenso par vingt-cinq sites de presse, de libération. fr à la-croix.com (Eh, les gars ! vous pourriez au moins vous fouler un peu et faire de la paraphrase).
Sans doute n’est-ce pas un chef-d’œuvre de l’art roman digne de faire se pâmer un journaliste d’Arte, mais si elle leur plaît, à eux, avec ses statues sulpiciennes aux joues roses, ses ex-voto, son harmonium et ses vitraux ? Leur maison de famille non plus n’aurait pas les faveurs de Des racines et des ailes, mais ils n’ont aucune envie pourtant de la dynamiter.
On leur a dit que la facture de la restauration ne serait pas indolore, et induirait sans doute l’augmentation des impôts locaux. Ils acceptent. Ce n’est pas parce que l’opération de la grand-mère coûte cher que l’on va pour autant la piquer comme le chien. Et dans cette église-là, il y a un peu de la grand-mère, mais aussi de toutes les générations qui l’ont précédée et y ont usé leurs genoux. De quel droit dilapideraient-ils ce trésor familial ? Quant à leurs impôts, pardon bien, mais on les a cent fois affectés à plus opaque et moins noble cause que celle-là. Et en se passant de leur permission.
Il faut croire que même ceux qui ne croient ni à dieu ni à diable, et n’ont pas gravi le porche de la paroisse depuis l’enterrement de leur vieux père, sentent confusément que leur village sans son clocher ne serait plus le même. En profondeur. Qu’il deviendrait aussi vide et cafardeux qu’une ville nouvelle centrée sur son Géant Casino. Que la démolition programmée de leur église, comme des autres, va bien au-delà des arguments utilitaires qu’on leur avance. Qu’elle serait le début d’un vaste chantier, le premier coup de ciseaux, avant d’en faire gaiement des chiffons, dans le blanc manteau d’églises couvrant la France dont parlait le moine Glaber au Xe siècle. Les Plouagatins ne sont pas tous pratiquants, mais pas bigleux non plus. Ils voient comme tout un chacun, parce qu’ils lisent la presse, que l’on a silencieusement retourné le sablier : pendant que l’on détruit des églises, on construit des mosquées.
Gabrielle Cluzel