Publié le : 27 septembre 2013
Source : comite-valmy.org
En 1956, le socialiste Guy Mollet mena contre l’Egypte nassérienne une désastreuse expédition militaire. En 1991, François Mitterrand participa à la coalition internationale contre l’Irak. En 2013, François Hollande rêve de bombarder la Syrie de Bachar Al-Assad. Cette remarquable continuité en dit long sur l’acharnement des socialistes français à combattre le nationalisme arabe, l’une des rares forces politiques de la région à n’avoir jamais pactisé avec Israël.
Résolument moderniste, le régime nassérien entendait assurer le développement de l’Egypte en recouvrant sa souveraineté sur le canal de Suez. Cette nationalisation déchaîna les foudres de la Grande-Bretagne, menacée dans ses intérêts économiques. Ulcérée par le soutien de Nasser au FLN algérien, la France emboîta le pas à son allié britannique. Avant-garde occidentale au cœur du Proche-Orient, Israël, enfin, voulait liquider la résistance palestinienne à Gaza.
La guerre de Suez est née de cette connivence entre les deux puissances européennes et leur clone israélien. Unies par un pacte secret, les trois Etats attaquèrent l’Egypte par surprise, déchaînant leur puissance conjuguée contre une jeune nation à peine sortie du carcan colonial. Militairement victorieux, mais sans gloire, ils subirent un échec retentissant lorsque les Etats-Unis et l’URSS leur intimèrent l’ordre de rapatrier leurs troupes.
Outre le fiasco de l’expédition de Suez, l’héritage socialiste de Guy Mollet, c’est aussi la guerre d’Algérie avec son sinistre cortège (le bourrage des urnes, l’envoi du contingent et la banalisation de la torture). Défenseurs jusqu’au bout d’un empire condamné par l’histoire, les socialistes français ne parviendront jamais à se défaire de ce tropisme colonial. Dans leur vision du monde, l’Occident est le dépositaire de l’universel et la colonisation un généreux tutorat bénéficiant à des peuples attardés.
C’est pourquoi ils ont toujours été les chantres passionnés de l’aventure israélienne : l’Etat d’Israël est leur alter ego colonial. Cet Etat est le seul de la planète qui colonise ouvertement en violation du droit international. Mais ses dirigeants sont reçus à Paris avec les honneurs. Lorsque l’armée d’occupation bombarde Gaza, en novembre 2012, Laurent Fabius incrimine la résistance palestinienne. Et si l’Elysée se montre intraitable à l’égard de Damas, il trouve toujours des circonstances atténuantes aux crimes sionistes.
La diplomatie française se réclame volontiers d’une morale humaniste, mais elle l’applique de façon sélective. Atteinte du syndrome des « deux poids, deux mesures », elle ne convainc que les convaincus. Ainsi l’utilisation présumée du gaz de combat en Syrie est un crime abominable, passible d’une sanction exemplaire, mais on ne dit pas un mot lorsque l’armée d’occupation israélienne assassine les enfants de Gaza en utilisant des bombes au phosphore.
Que les socialistes français mesurent leur responsabilité historique : parti colonial sous la 4ème République, la SFIO est devenue le parti belliciste sous la 5ème. Pour quel résultat ? En jouant le rôle ingrat du boutefeu refroidi (à la dernière minute), la présidence française s’est ridiculisée. Même les opposants au régime syrien ne lui montreront aucune reconnaissance, puisque Paris a dû faire machine arrière, le petit doigt sur la couture du pantalon, à l’instant même où les Américains l’ont décidé.
Inféodée à Washington jusqu’à la caricature, complice du colonialisme israélien, hostile à toute résistance arabe, complaisante à l’égard des dynasties obscurantistes, alliée objective d’Al-Qaida : telle est la politique proche-orientale de François Hollande. Comme sous Guy Mollet, l’invocation sélective de nobles principes, la posture du redresseur de torts, le recours tonitruant à l’intimidation militaire et le mépris pour la légalité internationale tiennent lieu de diplomatie.
Et pourtant, la frustration de la nation syrienne, à l’origine de la conquête du pouvoir par les militaires baasistes, est le fruit de la politique française durant la période mandataire (1920-1946) : amputations territoriales, refus de l’autodétermination nationale, morcellement politique sur une base ethno-confessionnelle. Les conseillers de l’Elysée ignorent sans doute que c’est l’armée française qui a écrasé la révolte arabe à Meyssaloun en 1920 et bombardé Damas en 1925.
Ils feignent de méconnaitre la profondeur des blessures infligées au Proche-Orient arabe par les manipulations dont les puissances occidentales, complices de l’envahisseur israélien, se sont rendues coupables. Ils s’imaginent que l’on peut donner des leçons à ceux que l’on a floués durant des décennies, comme si « la patrie des droits de l’homme », compte tenu de son passé colonial, était habilitée à distribuer des certificats de bonne conduite aux autres nations.
Les Etats arabes issus de la décolonisation sont jeunes, fragiles, en quête d’une stabilité que l’expansion israélienne, l’avidité pétrolière et les interventions militaires occidentales ont mise en péril. La véritable menace qui pèse sur le Proche-Orient, ce n’est pas le régime de Damas, mais l’implosion communautaire dont la guerre civile syrienne est le banc d’essai, au bénéfice des deux entités qui ont intérêt à cette fragmentation : Israël et les pétromonarchies.
Les millions de dollars versés aux factions jihadistes par le nouvel ami de la France, le Qatar, sont autant de bûches jetées dans ce brasier. Comme sous la 4ème République, les socialistes misent sur la diabolisation du nationalisme arabe pour déblayer le terrain en faveur d’Israël. Décidés à liquider le dernier régime laïc du Proche-Orient avec l’aide d’Al-Qaida, les socialistes sont prêts à jeter la France dans une guerre absurde pour perpétuer le rapt sioniste et son frère jumeau, le parasitisme wahabite.
En 1956, Guy Mollet voulait écraser le FLN et humilier Nasser, ennemi d’Israël. Le raïs égyptien a tiré de cette calamiteuse expédition un prestige inégalé, le FLN a arraché l’indépendance de l’Algérie et la SFIO a fini à 5% des voix aux élections. Manifestement, les socialistes n’ont tiré aucune leçon de ce fiasco inaugural qui marqua leur entrée dans l’arène internationale. Et ils oublient qu’à voir le Proche-Orient avec des lunettes israéliennes, on finit par ne plus rien voir du tout.
Bruno Guigue
Normalien, énarque, aujourd’hui professeur de philosophie, auteur de plusieurs ouvrages, dont « Aux origines du conflit israélo-arabe, l’invisible remords de l’Occident (L’Harmattan, 2002).