Publié le : 01 octobre 2013
Source : michelcollon.info
Seymour Hersh a des idées extrêmes pour régler les problèmes du journalisme – fermer les rédactions de NBC et ABS, virer 90% des directeurs de rédaction et revenir au travail de base du journalisme qui, selon lui, consiste à être un outsider. Il n’en faut pas beaucoup pour énerver Hersh, le journaliste d’investigation qui a été le cauchemar des présidents US depuis les années 60 et fut un jour décrit par le parti républicain comme « ce que le journaliste compte de plus proche d’un terroriste ». Il est en colère contre la frilosité des journalistes aux États-Unis, contre leur incapacité à défier la Maison Blanche et à incarner un messager impopulaire de la vérité. Ne lui parlez même pas du New York Times qui, d’après lui, passe « tellement plus de temps à servir les intérêts d’Obama que je n’aurais jamais pu l’imaginer » – ou de la mort d’Oussama Ben Laden. « Rien n’a été fait à propos de cette histoire, c’est un gros mensonge, pas un seul mot n’est vrai », dit-il à propos du raid des US Navy Seals en 2011.
Hersh est en train d’écrire un livre à propos de la sécurité nationale et y consacre un chapitre à la mort de Ben Laden. Il dit qu’un rapport récent produit par une commission pakistanaise « indépendante » sur la vie dans le quartier où était terré Ben Laden ne tient pas la route. « Les Pakistanais ont sorti un rapport, ne m’en parlez pas. Disons-le ainsi : il a été réalisé avec un apport américain considérable. C’est un rapport bidon, » déclare-t-il en mentionnant des révélations à paraître dans son livre.
L’administration Obama ment systématiquement, déclare-t-il, mais aucun des ténors des médias américains, des chaînes de télé à la grande presse papier, ne remet en question ce qu’elle affirme.
« C’est pathétique, ils sont plus qu’obséquieux, ils ont peur de s’en prendre à ce mec (Obama), » affirme-t-il dans une interview accordée au Guardian.
« Il fut un temps où, lorsque des événements dramatiques se produisaient, le président et ses larbins avaient le contrôle de la manière de raconter l’histoire, on savait plus ou moins qu’ils feraient de leur mieux pour la raconter correctement. Ça n’arrive plus désormais. Maintenant, ils tirent profit de la situation et travaillent à la réélection du président. »
Il n’est même pas certain que les révélations à propos de l’ampleur et de la profondeur de la surveillance qu’exerce la NSA aient des répercussions durables.
Snowden a changé le débat autour de la surveillance
Il est persuadé que le dénonciateur de la NSA Edward Snowden « a changé la nature du débat » sur la surveillance. Hersh dit que lui-même et d’autres journalistes ont écrit à ce sujet, mais Snowden était pertinent car il a fourni des preuves documentées – bien qu’il soit sceptique quant à l’effet que cela aura sur la politique du gouvernement américain.
« Duncan Campbell [le journaliste d’investigation britannique qui a révélé l’affaire Zircon], James Bamford [journaliste américain] et Julian Assange et moi et le New Yorker, nous avons tous décrit cet état de surveillance constante, mais il [Snowden] a fourni un document et cela a changé la nature du débat, c’est désormais une réalité, » déclare Hersh.
« Les directeurs de rédaction adorent les documents. Les directeurs de merde qui n’auraient jamais approché ce type de sujet, ils adorent les documents, et il a donc changé la donne, » ajoute-t-il, avant de préciser sa pensée.
« Mais je ne sais pas si cela aura une influence à long terme parce que d’après les sondages que je vois aux États-Unis, le président peut se contenter de dire ‘Al-Qaïda, Al-Qaïda’ et le public votera à deux contre un pour ce genre de surveillance, ce qui est tellement idiot. »
Devant un public dense lors des cours d’été de la City University à Londres, Hersh, 76 ans, met le paquet, avec une déferlante d’histoires étonnantes sur ce que le journalisme était par le passé ; comment il a révélé le massacre de My Lai au Vietnam, comment il a obtenu les photos de soldats américains brutalisant des prisonniers irakiens à Abu Ghraïb, et ce qu’il pense d’Edward Snowden.
Espoir de rédemption
En dépit de ses inquiétudes quant à la témérité du journalisme, il croit que la profession présent encore un espoir de rédemption.
« J’ai cette espèce de vision heuristique du journalisme, nous offrons potentiellement un peu d’espoir parce que le monde est plus que jamais dirigé par de véritables nigauds… Pas que le journalisme soit toujours merveilleux, ce n’est pas le cas, mais au moins nous proposons une sorte d’alternative, une certaine intégrité. »
Son histoire à propos de sa révélation de l’atrocité de My Lai est un exemple de journalisme à l’ancienne et de persévérance. En 1969, il reçoit un tuyau à propos d’un chef de peloton de 26 ans, William Calley, inculpé par l’armée de meurtre d’assassinats en masse.
Au lieu de téléphoner à un officier de presse, il est monté dans sa voiture et est parti en quête du soldat à la base de Fort Benning, en Géorgie, où Hersh avait entendu qu’il était détenu. Il a arpenté toute la vaste base de porte en porte, parfois en baratinant pour arriver à ses fins, fonçant à la réception, tapant du poing sur la table en hurlant : « Sergent, faites sortir Calley tout de suite. »
Finalement, ses efforts auront payé avec son premier article publié dans le St Louis Post-Despatch, publié par intermédiaires à travers tout le pays, qui lui vaudra le Prix Pulitzer. « J’en ai fait cinq articles. J’ai demandé 100 dollars pour le premier, et à la fin le [New York] Times payait 5000 dollars par article. »
Il fut engagé par le New York Times pour couvrir les conséquences du scandale du Watergate et finit par traquer Nixon au Cambodge. Près de 30 ans plus tard, Hersh a refait les gros titres en révélant les abus sur les prisonniers irakiens à Abu Ghraïb
Y consacrer le temps nécessaire
Son message aux étudiants en journalisme est de consacrer du temps et des kilomètres. Il était au courant de l’affaire d’Abu Ghraïb cinq mois avant de pouvoir écrire à ce propos, ayant été tuyauté par un officier de haut rang de l’armée irakienne qui a risqué sa vie en quittant Bagdad pour Damas afin de lui raconter que les prisonniers écrivaient à leur famille pour leur demander de venir les tuer parce qu’ils avaient été « dépouillés ».
« J’ai passé cinq mois à chercher une preuve, parce que sans preuve documentée, il n’y a rien, ça ne mène à rien. »
Hersh en revient au président Obama. Il a déclaré par le passé que la confiance de la presse à remettre en cause le gouvernement s’est écroulée à près le 11 septembre 2001, mais il affirme catégoriquement qu’Obama est pire que Bush.
« Pensez-vous qu’Obama ait été jugé selon des normes rationnelles ? Guantanamo est-il fermé ? La guerre est-elle finie ? Qui fait un peu attention à ce qu’il se passe en Irak ? Parle-t-il sérieusement d’intervenir en Syrie ? Nous ne sommes pas en très bonne position dans les 80 guerres où nous sommes impliqués en ce moment, pourquoi diable veut-il donc aller en faire une nouvelle ? Que se passe-t-il [du côté des journalistes] ? » demande-t-il.
Il dit que le journalisme d’investigation américain est en train de mourir étouffé par la crise de confiance, le manque de moyens et une notion erronée de ce que signifie être journaliste.
« Une bonne part consiste désormais à remporter des prix. C’est du journalisme à la recherche d’un Pulitzer, » ajoute-t-il. « Un journalisme sur mesure, donc vous choisissez une cible comme - je ne veux pas dénigrer parce que ceux qui le font travaillent dur – mais comme la sécurité des passages à niveaux des chemins de fer et des trucs du genre, c’est un sujet sérieux mais il y a d’autres problématiques que celle-là. »
« Comme tuer des gens, comment Obama s’en sort-il avec le programme des drones, pourquoi n’en faisons-nous [les journalistes, ndt] pas plus à ce sujet ? Comment justifie-t-il cela ? Quels sont les renseignements ? Pourquoi n’examinons-nous pas cette politique pour déterminer si elle est bonne ou mauvaise ? Pourquoi les journaux citent-ils sans cesse les deux ou trois groupes qui supervisent les assassinats par drone interposé ? Pourquoi ne faisons-nous pas notre travail ? »
« Notre boulot est de découvrir par nous-mêmes, et non de se contenter de dire ‘il y a débat’ – notre boulot est d’aller au-delà du débat et de découvrir qui a raison et qui a tort à propos de ces problématiques. Cela n’arrive pas assez souvent. Cela coute du temps, de l’argent, cela comporte des risques et met en danger. Le New York Times a encore dans son équipe des journalistes d’investigation mais ils servent plus les intérêts du président que je ne l’aurais jamais imaginé… Plus personne n’ose être un outsider. »
Il dit que dans certains aspects, l’administration Bush était un sujet plus facile à traiter. « Durant l’ère Bush, j’ai le sentiment qu’il était plus facile d’être critique qu’avec Obama. C’est bien plus difficile sous Obama. »
Interrogé à propos de la solution à ces problèmes, Hersh trouve la plupart des directeurs de rédaction pusillanimes et pense qu’ils devraient être virés.
« Je vais vous donner la solution, débarrassez-vous de 90% des directeurs de rédaction qui sont en place actuellement et commencez à promouvoir ceux que vous ne savez pas contrôler. Je l’ai vu au New York times, je voyais que ceux qui recevaient des promotions étaient ceux qui étaient les plus soumis à l’éditeur et étaient ce que leurs supérieurs voulaient et les fauteurs de trouble n’étaient pas promus.
Commencez à promouvoir ceux qui vous regardent droit dans les yeux et vous disent ‘Je m’en fous de ce que vous dites’. »
Hersh ne comprend pas non plus pourquoi le Washington Post a gardé pour lui les fichiers de Snowden jusqu’à ce qu’ils apprennent que le Guardian allait les publier.
S’il était patron d’US Media Inc., sa politique de la terre brûlée ne s’arrêterait pas aux journaux.
« Je fermerais les rédactions des chaînes d’information et repartirais à zéro, tabula rasa. Les majors, NBC, ABC, ils n’apprécieront pas cela – faites juste quelque chose de différent, faites quelque chose qui rend les gens furieux à votre égard, c’est ce que nous sommes censés faire. »
Hersh a fait une pause en tant que reporter, occupé qu’il est avec l’écriture d’un livre qui sera sans aucun doute inconfortable à lire tant pour Bush que pour Obama.
« La république est en danger, nous mentons à propos de tout, le mensonge est devenu la matière première. » Et il implore les journalistes de réagir.
Traduction par le collectif Investig’Action
Source originale : The Guardian