Il est minuit largement passé et je ne parviens toujours pas à dormir… A peine avais-je fini et mis en ligne mon précédent billet sur l’imperceptible diabolisation et l’esprit profondément démocratique que la quasi-totalité des hommes et femmes politiques et des journalistes de France mettent en œuvre dès lors qu’il s’agit d’évoquer le Front National, que je suis tombé, presque par hasard (merci à FdSouche sur ce coup-là !), sur un de ces petits joyaux d’information factuelle et impartiale que Europe 1 -parmi d’autres fleurons de la presse française- sait si souvent nous offrir. J’avoue un peu honteusement que je l’avait loupé, et vous reconnaîtrez aisément avec moi que c’était sacrément dommage !
Du coup, des billets en ce 16 octobre (euh… ben non, en fait : on est déjà le 17), vous en aurez (tout de même) deux pour le prix d’un !
Impossible en effet pour moi de faire l’impasse, car Europe 1 a certainement établi en cette occasion un nouveau record du monde du point godwin en franchissant et à une vitesse stratosphérique le mur du con (non, je n’ai pas fait une faute d’orthographe) ce 13 octobre 2013 à 21h04. Malheureusement, le nom de l’intrépide auteur de cet exploit qui restera certainement dans les anales (non, là non plus, je n’ai pas fait de faute !) n’est pas visible sur cet article d’anthologie, signé d’un anonyme et bien frustrant « Europe 1 ». Qu’il sache tout de même, ce mystérieux auteur, ce héros si discret (Jean Moulin, peut-être ?), et s’il vient un jour à lire ces lignes, qu’il a toute ma gratitude pour le travail accompli. Je le cite :
« Dimanche soir, accompagné de la députée FN Marion Maréchal-Le Pen et entouré de partisans chantant la Marseillaise, le vainqueur frontiste de la cantonale partielle de Brignoles, Laurent Lopez, a qualifié sa victoire de « divine surprise »… reprenant là l’expression du nationaliste et fondateur de la revue L’Action française Charles Maurras à propos de l’avènement du régime de Vichy .
La réaction de Marine Le Pen à cette victoire a été moins sulfureuse :
Moins sulfureuse, moins sulfureuse… Ce n’est tout de même pas de la gnognotte non plus, convenons-en !
Je sais… Vous avez en réalité toutes les peines du monde à croire ce que je rapporte ici, et je peux le comprendre… moi-même, bien qu’ayant lu et relu, je doute encore. Reprendre ainsi une expression naguère inventée par -j’ose à peine l’écrire- Charles Maurras, et si peu, si peu depuis passée dans le langage courant ! Mais la preuve de ce que j’avance ce soir est là… terrible, irréfutable. Alors, je sais que c’est dur, mais tentez de reprendre vos esprits (je viens pour ma part de faire une pause -pénible- pour aller vomir aux toilettes).
« La Marseillaise… Divine surprise… » Non mais quelle horreur ! Quelle ignominie !
Bien évidemment profondément bouleversé (qui ne le serait pas ?) par cette nouvelle preuve terrifiante et ô combien révélatrice de l’abomination frontiste, J’ai aussitôt décidé d’effectuer une rapide recherche sur Google, et là, je dois le dire, toutes mes certitudes, tout mon monde intérieur se sont écroulés : car nous sommes cernés par les fascistes, mes pauvres amis, et ils se terrent souvent là où on n’aurait sans doute jamais pensé à les débusquer… Alors, tenez-vous bien (tenez-vous mieux !) et prenez votre courage à deux mains (si vous le voulez bien !) pour une plongée dans les abysses insondables de la monstruosité crypto-fasciste :
Ainsi de Benoîte Groult, qui, dans Ainsi soit-elle écrit : « En somme, après la divine suprise des années 70, on assistait à la revanche des misogynes. Les pamphlétaires (des deux sexes) se déchaînent dans des articles et des essais beaucoup plus virulents et haineux qu’aucun livre féministe … » … Benoîte… les bras m’en tombent !
Mais il y a plus terrifiant encore, et j’ose là encore à peine l’écrire… Guy Sorman ! oui, LE Guy Sorman que le monde entier nous envie (ou pas, mais c’est une autre histoire) ! Tu quoque mi fili ? Et ben oui ! Dans La Révolution Conservatrice, l’ignoble écrit ceci : « Pour ces lecteurs, la Révolution conservatrice américaine apparaissait comme une divine suprise. Mais les mêmes ne voulurent pas voir l’aspect révolutionnaire, déstabilisant du reaganisme. Car ce mouvement exalte aussi les créateurs … ». Une idole s’écroule, une icône se déchire, et c’en est presque insoutenable !
Et même jusqu’à … l’Evènement du Jeudi (vous vous souvenez, ce journal « plus branchouille que moi tu meurs » aujourd’hui disparu fondé par Jean-François Kahn, le postillonnant histrion médiatique, le plus grand fan -et d’ailleurs le seul- de François Bayrou ?) qui horreur, et en 1992 déjà abritait la bête immonde, osant écrire sous une plume dont je n’ai pas osé chercher à identifier la main qui la tenait, et dans un article pourtant apparemment anodin : « … la divine suprise pour les médecins qui se battent contre le projet de loi déjà limitant leurs honoraires et leurs prescriptions… »… si !
Ah, ben oui, je vous avais prévenus : « c’est du brutal » (1). Et d’ailleurs j’avoue que je n’ai pu, après ces premières et terrifiantes découvertes, qu’arrêter ces recherches pourtant nécessaires à la rédaction de ce billet fort pénible à écrire, tant le fait de prolonger plus avant cette immersion dans l’immensité de l’abjection fasciste (29 200 000 résultats sur Google !) étant en réalité très nettement au dessus de mes forces. Il faut savoir reconnaître ses limites.
Est-ce que je vais seulement parvenir à dormir, après « ça » ? Mais encore une fois, et avant d’aller faire mon cauchemar… mille mercis à Europe 1, chère, très chère radio, toi qui est prête à tout ou presque pour nous délivrer (du mal et ne pas nous soumettre à la tentation ? Euh, non, c’est pas vraiment le genre de la maison !) une information si déontologique et si totalement impartiale !
PS : je viens de réaliser avec effroi que je suis moi-même peut-être (sans doute ?) atteint par le virus du crypto-fascisme dénoncé par Europe 1 : après tout, ne m’arrive-t-il pas fréquemment de dire « bonjour madame », d’écrire « il n’en croyait pas ses oreilles », de caresser mon chien, d’embrasser un enfant, ou bien de faire caca… Comme Charles Maurras ? Comme Adolf Hitler ? Et comme Marine Le Pen et Laurent Lopez ?
Marc LEROY- La Plume à Gratter
(1) Encore et toujours Michel Audiard, dans Les Tontons Flingueurs.
Que voulez vous, la bêtise va si bien à la gauche qu’elle ne résiste jamais à la tentation de s’en parer outrageusement. Le FN l’inspire manifestement beaucoup, surtout quand il gagne.
J’en viens à souhaiter une profusion de petits textes de la même veine.
Amitiés.