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Du bon usage du racisme – Par Descartes

19 novembre 20130
Du bon usage du racisme – Par Descartes 5.00/5 2 votes

Publié le : 17 novembre 2013

Source : comite-valmy.org

« elle a de la chance, elle est devenue une victime » (J. Glavany, à propos de Ségolène Royal)

Il était une fois un président socialiste qui avait tourné le dos à ses promesses – je sais, je me répète – et choisi d’imposer à son pays une politique d’austérité au nom de l’idéal européen. Ce président avait, tout comme son premier ministre, un grave problème de popularité. L’électorat populaire se détournait de lui, et même les classes moyennes commençaient à le contester. Il était hué lors de ses déplacements, et son premier ministre était malmené par des parlementaires inquiets pour leurs sièges. Et alors, ce président eut une Idée. En fait, c’était une vieille Idée, mais c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes. Son Idée était la suivante : pour redorer son blason, il fallait une diversion. Et pour faire diversion, il fallait deux ingrédients : un sujet rassembleur, et un épouvantail pour faire le pendant. Et le président se demanda : quel est le sujet qui rassemble toute la gauche ? Quel est le discours auquel tout homme et toute femme de gauche adhèrent sans même y réfléchir ? Et bien, c’est le rejet du racisme. Et ça tombe bien, parce que dans ce domaine il n’est pas trop difficile de trouver des épouvantails.

Ce président avait pour prénom François. Mais son nom n’était pas Hollande. Et la suite de son histoire est connue : avec sa main droite, il donna à son épouvantail, Jean-Marie Le Pen, un large accès aux médias. Avec sa main gauche, il encouragea ses jeunes porte-flingue à fonder une association, SOS-Racisme,pour canaliser les brebis effrayées par le grand méchant loup et en faire une masse de manœuvre électorale. Et la manœuvre a marché à merveille. Depuis lors, par une étrange coïncidence, chaque fois qu’un gouvernement socialiste est en difficulté, la France devient tout à coup un pays « raciste ». Probablement parce que l’antiracisme reste l’un des très rares sujets qui permettent encore à l’ensemble de la gauche, de Valls à Besancenot, de s’indigner ensemble. Car c’est cela que l’affaire Taubira met en évidence : la « gauche », ce n’est plus ni une communauté de projet, ni une communauté de vision. C’est tout au plus une communauté d’indignations.

Et hier comme aujourd’hui, il s’agit d’un jeu de billard a quatre bandes. A gauche, cela permet de reconstituer l’unité perdue. A droite, cela aboutit à ouvrir grands les micros à la frange la plus extrémiste de la droite et à jouer celle-ci contre les franges plus modérées. Mais cette fois-ci, les effets risquent d’être paradoxaux. La fantasia anti-Taubira n’est pas le fait du Front National « officiel », mais de francs-tireurs qui figurent dans les franges les plus « traditionalistes » du FN et rencontrent peu de sympathie chez les dirigeants proches de Marine Le Pen. Cette dernière peut même se permettre de suspendre ou de retirer l’investiture électorale aux provocateurs, et de rappeler que l’hebdomadaire « Minute », auteur de la dernière provocation en date, mène depuis des mois une guéguérre contre la « ligne Philippot ». Cette campagne risque de dédiaboliser encore plus la direction du FN en lui donnant l’opportunité de montrer le fossé qui la sépare de ses propres extrémistes.

Et finalement, pour Taubira, c’est tout bénéfice. Les attaques racistes de quelques imbéciles lui donnent une sorte d’immunité générale contre toute critique. Celui qui insinuerait que Taubira n’est qu’une petite carriériste opportunarde, changeant d’orientation politique comme de chemise en fonction de ses intérêts personnels du moment, embauchant dans son cabinet son compagnon… se verra taxé de « racisme » et/ou « sexisme ». Dans sa biographie « officielle », Taubira joue déjà à fond sur la corde victimiste, pourquoi se priverait-elle d’une stratégie qui a si bien fonctionné ?

Cela ne veut pas dire que le racisme ne soit pas un problème réel. Il l’est. Mais c’est un problème qui doit être ramené à sa véritable dimension. Pour cela, il faut d’abord s’entendre sur une définition précise du « racisme ». Or, précisément, c’est ce qui manque aujourd’hui. D’exagération en exagération, « raciste » est devenu un terme passe-partout pour diaboliser tout ce que la bienpensance n’aime pas. Celui qui ose défier le « politiquement correct » se verra qualifier de « raciste », « sexiste » ou « fasciste », termes devenus pratiquement interchangeables, dans un climat de terrorisme intellectuel et de chasse aux sorcières qui rappelle singulièrement le MacCarthisme.

A mon sens l’une des difficultés est qu’en matière de « racisme », la bienpensance pratique une logique de deux poids deux mesures. Le racisme est parfaitement acceptable – et même encouragé – chez les groupes auxquels le consensus bienpensant donne le statut de « victime » alors qu’il est odieux et puni chez les groupes que la bienpensance a décidé de qualifier « d’oppresseurs ». La constitution du CRAN (Conseil Représentatif des Associations Noires) a été salué par plusieurs personnalités du monde « antiraciste », et tolérée sinon encouragée par l’immense majorité des bienpensants. Sans que personne n’aille poser trop de questions, et en particulier celle-ci : c’est quoi une « association noire » ? Une association qui n’admet que des noirs ? N’est ce pas du « racisme », ça ? Quelle aurait été la réaction de ces mêmes bienpensants à la création d’une association qui se déclarerait « représentative des associations blanches » ? De la même manière, on peut mettre dans une affiche « black is beautiful » sans encourir les foudres des organisations antiracistes. A votre avis, quelle serait la réaction de ces mêmes organisations si l’on placardait des affiches proclamant que « white is beautiful » ? Je vous laisse deviner.

Plus profondément, la bienpensance établit comme dogme que les « victimes » ne sauraient pas être racistes, sexistes ou fascistes. Un dogme qui ne résiste pas à l’expérience : ceux qui ont eu l’opportunité de fréquenter des « minorités ethniques » savent qu’elles sont elles mêmes aussi « racistes » – et même bien plus – que la moyenne de la population « blanche ». Que la fille arabe qui amène un « boloss » chez ses parents recevra le même accueil que la fille versaillaise qui amènerait chez ses parents un « rebeu ». En fait, tout cela n’est pas très nouveau : il y a un demi-siècle, c’est dans le « prolétaire » que la bienpensance gauchiste investissait toutes les vertus de la terre. Le prolétaire ayant beaucoup déçu en 1968, le gauchisme s’est cherché une victime de substitution. Mais l’approche reste la même, et peut être résumée en un seul mot : paternalisme. Les « minorités ethniques » sont le bon sauvage de Rousseau mis au goût du jour.

Le déplacement du prolétaire à la « victime » n’est pas sans effets secondaires. Le prolétaire était, du temps où il était acteur politique, un être actif. Il faisait l’histoire, parce que son antagonisme avec la bourgeoisie était le moteur de celle-ci. Il était, pour reprendre la formule de Marx, « l’élément viril de l’histoire ». La « victime », par définition, ne fait l’histoire la subit. Elle ne menace donc personne, et c’est pourquoi elle est préférée par les idéologues des classes moyennes à un prolétariat qui, lui, est autonome et peut donc devenir dangereux. Ce n’est pas par hasard si le prolétariat, hier paré de toutes les qualités morales, est au contraire rejeté aujourd’hui par les bienpensants comme « raciste », « sexiste », « xénophobe », etc.

L’idéologie « victimiste » est une idéologie de la résignation et de l’acceptation des choses comme elles sont, beaucoup plus adaptée aux temps que nous vivons que les idéologies « constructives » de naguère. Il ne s’agit plus de changer le monde, il s’agit d’être gentil avec les « victimes », reconnaître leur douleur et leur donner les compensations qu’elles réclament. Avec la croyance magique que c’est dans cette « victimisation » que se trouve la racine de tous les malheurs du monde.

Nous goûtons les fruits empoisonnés d’une logique qui se qualifie d’anti-raciste mais qui en fait reste profondément raciste. Une logique qui ne rejette les stéréotypes racistes que pour les inverser. Là où le racisme « bourgeois » faisait du noir un être inférieur au blanc, le racisme « antiraciste » en fait un être moralement supérieur. Et le raisonnement n’est pas seulement confiné à la question ethnique. Toute la logique de la « diversité » est fondée sur l’idée qu’en remplaçant un homme adulte blanc hétérosexuel par « autre chose » (un jeune, un black, une femme, un handicapé, un homosexuel) on apporte magiquement un « plus ». C’est exactement le contraire de la logique de l’égalité qui prétend, elle, que le fait de remplacer un noir par un blanc, un homme par une femme, un valide par un handicapé ou vice-versa ne change intrinsèquement rien, puisque ces gens sont, in abstracto, égaux. C’est pourquoi à l’heure de leur confier un poste ou une fonction, ce sont leurs mérites qu’il faut regarder, en faisant abstraction de leur sexe, leur ethnie ou leur handicap.

Le passage d’une logique égalitaire à une logique diversitaire ne peut que légitimer les « communautés » et les dresser les unes contre les autres. D’abord, dans une concurrence pour obtenir le label de « victime » qui vous ouvre moralement tant de droits. On le voit avec la succession de lois mémorielles par lesquelles se manifeste la compétition des mémoires, et notamment avec la mémoire de la Shoah, érigé en étalon universel du « victimisme ». Mais une fois obtenu le label tant convoité, il faut encore l’exploiter pour extraire des groupes déclarés « oppresseurs » les compensations symboliques ou monétaires appropriées. A ce jeu, non seulement on atomise une partie de la société en une écologie de catégories qui se battent les unes contre les autres pour leur part du gâteau, mais surtout on finit par opposer toutes ces catégories « victimes » à la majorité de la population. Une majorité qui vit cette revendication permanente d’excuses et de prébendes comme injuste, et qui finit par suivre ceux qui la confortent, souvent pour des mauvaises raisons, dans cette conviction. Comment s’étonner dans ces conditions que ce que les bienpensants appellent « la parole raciste », et qui souvent n’est que la contestation de ce statut d’intouchable accordé à certaines minorités « victimes », ne finisse par se libérer ?

Prenons un exemple concret. Que penser d’un président de la République qui, en évoquant l’effroyable carnage de la première guerre mondiale consacre plus de temps au souvenir des catégories minoritaires (« fusillés pour l’exemple », troupes coloniales…) et oublie celle qui constituait l’immense majorité des combattants – et des morts – c’est-à-dire celle des paysans français, hommes, blancs, catholiques et qui n’ont pas déserté ? Comment les héritiers de ce groupe majoritaire peuvent réagir à ce discours qui donne l’impression – et ce n’est qu’un exemple parmi beaucoup – que seuls les « minoritaires victimes » on droit de cité ?

Il est certainement excessif de parler aujourd’hui de « racisme anti-blanc ». Mais on ne saurait exagérer les dangers d’une logique de la « diversité » qui sous une apparente ouverture ne fait que perpétuer, en les inversant, les pires clichés racistes et sexistes. Cette logique fabrique des situations d’injustice – symbolique ou réelle – qui ne peut que provoquer des réactions violentes. Protéger le « vivre ensemble » – qu’il ne faut pas confondre avec le « vivre côté à côté » – nécessite la négation de toute discrimination dans la sphère publique fondée sur les caractères ethniques, le sexe, le handicap ou toute autre caractéristique qui ne dépende du mérite de celui qui la porte. Il n’y a pas des discriminations acceptables et d’autres haïssables. Un club qui n’accepterait que des noirs ou des femmes est aussi détestable qu’un club qui n’accepte que des hommes ou des blancs. Un « ministère des droits des femmes » devrait apparaître aussi offensant qu’apparaîtrait un « ministère des droits des mâles ». Or, ce sont précisément ceux qui défendent la logique de la « diversité » qui ensuite poussent des cris d’orfraie – d’orfraie intéressée, of course – lorsqu’ils constatent les dégâts.

Descartes

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