Publié le : 16 janvier 2014
Source : bvoltaire.fr
D’abord le ton, souligné par le geste. Décidé, pugnace, et même fréquemment agressif. Le poing serré, la voix ferme, le visage grave. Le Président est énervé, on le serait à moins. Énervé par le contexte imprévu et gênant dans lequel s’inscrit sa conférence de presse. Énervé d’avoir lui-même fourni les verges pour se faire battre. Énervé par la mise en doute constante et généralisée de sa capacité à trancher, que vient encore d’illustrer – comme s’il en était besoin – le désordre de sa vie privée. Énervé de n’être pas seulement le président de l’impopularité et de l’échec mais, face à six cents journalistes venus du monde entier, l’auteur et l’un des trois interprètes du plus classique et du plus banal des vaudevilles à la française.
Ensuite le fond. L’administration à un pays mal en point de doses massives d’impositions, de taxations et de subventions n’a fait qu’aggraver l’état du malade ; toutes les incantations, les processions et les génuflexions organisées devant les vieilles idoles de la gauche n’y ont rien changé. Le chômage est toujours à la hausse, la production et la consommation à la baisse, l’investissement atone, la confiance morte et tous les indicateurs au rouge. Il faut donc s’incliner de plus en plus servilement devant les directives de Bruxelles, de Francfort, de la City et de Wall Street, capituler devant les ukases des banquiers et des penseurs libéraux, aller à Canossa. On tapera encore dans les dépenses publiques, on allégera les charges patronales, on rendra hommage à l’entreprise, sans laquelle il n’est ni activité, ni productivité, ni commerce, ni emploi, sans laquelle on n’est rien. On fera du Sarkozy sans Sarkozy.
Ici intervient l’habillage. On fera du Sarkozy, mais sans le dire – mieux : en disant qu’on ne le fait pas. Le reproche le plus clair et le plus vif que fait désormais le successeur à son prédécesseur n’est pas la politique qu’il menait mais – un comble quand on compare les deux hommes – de l’avoir menée avec moins d’énergie, de détermination, d’audace qu’il ne le fait lui-même. Sarkozy l’homme du dire, Hollande l’homme du faire. On aura tout entendu !
Cela dit, attention. Quand Sarkozy prétendait lui aussi s’attaquer à la dépense publique, lorsqu’il multipliait les cadeaux et les hommages aux entrepreneurs, ceux-ci venaient d’un homme de droite. Ce n’est plus le cas. Le président nominalement socialiste ose désormais l’avouer : il met ses pas dans les traces de Tony Blair et de Gehrard Schröder. Il est social-démocrate, autrement dit socialiste en peau de chagrin. Et la meilleure preuve en est qu’il compte très fermement sur le soutien sans faille de sa majorité de gauche pour mener la politique de la droite.
Maintenant, quelles seront les suites de cette grande conférence de presse qui, marquée par la rupture du pacte de fidélité conclu entre ses partenaires en 2006, traduit dans les mots l’inflexion, voire le tournant de la politique conduite pendant vingt mois par le président élu en 2013 ?
Naturellement, rien ne changera dans le comportement des entrepreneurs qui recrutent avec enthousiasme quand l’économie est au beau et que la croissance revient et qui, lorsque ni la confiance ni l’innovation ni la prospérité ne sont au rendez-vous, empochent avec plaisir sans embaucher pour autant. À examiner de plus près les mirifiques promesses énoncées par le Président, on constate qu’elles se réduisent à peu de chose. Ce ne sont pas cinquante milliards – somme colossale – qui vont être immédiatement injectés dans la relance, mais entre dix et quinze milliards supplémentaires, échelonnés sur trois ans. Naturellement, les meilleures intentions du monde vont, comme d’habitude, se diluer et se perdre dans l’habituelle bouillie de conférences, de consultations, de concertations, de conseils stratégiques, d’observatoires, de hauts comités et de complications bureaucratiques qui accompagnent et suivent les chocs de simplification et de clarification solennellement annoncés par les chefs d’État de ce qui n’est plus un État et qui n’a plus de chef. Naturellement, aucun projet concret et innovant, aucune dévaluation monétaire – et pour cause –, aucune mesure d’aide et de protection de l’économie nationale, rien n’est prévu de ce qui permettrait de relancer la grosse machine en panne, faute de carburant et de mécanicien compétent.
Quant aux grandes réformes évoquées, telles que la simplification du mille-feuille administratif et la diminution du nombre des régions, nous savons déjà – et aussi bien que celui qui en a parlé – qu’elle se heurteront à l’opposition des bénéficiaires du gâteau et donc qu’elles ne se feront pas.
Reste que l’inflexion très réelle du tour et de la philosophie du quinquennat coupe l’herbe sous le pied du MEDEF et de l’UMP. C’était peut-être le premier but et ce sera peut-être la seule suite de tout ce grand tam-tam. Le Sarkozy nouveau est arrivé. L’étiquette a changé mais la piquette est toujours la même, l’échec et la gueule de bois sont toujours assurés. Le discours du Bourget a fait place au discours du bourgeois. C’était pas la peine, assurément, de changer de gouvernement.
Dominique Jamet