Publié le : 10 février 2014
Source : russeurope.hypotheses.org
Arnaud Monterbourg a fait ce dimanche 9 février une déclaration importante au journal les Échos, dans une interview qui est sur le site internet des Echos[1]. Il y déclare en particulier :
« Comme ministre de l’Industrie, je considère que l’euro est sorti de ses clous par une surévaluation qui est devenue problématique aux yeux de tous pour nos entreprises. Entre 2012 et 2013, il s’est apprécié de plus de 10 % face au dollar et de plus de 40 % face au yen ».
Les propos qu’a tenus le Ministre du Redressement Productif (i.e. de l’Industrie) apportent un saisissant contraste avec ceux Pierre Moscovici, dans l’émission Mots Croisés du lundi 3 février. Visiblement, mettre l’Euro en cause, souligner sa responsabilité dans la crise que nous connaissons, n’est plus un tabou, ni un propos qui autorise le ministre de l’économie et des finances à vous qualifier d’extrême droite, encore qu’il faille s’attendre à tout de Pierre Moscovici… Plus sérieusement, les propos d’Arnaud Montebourg sont justes, mais la solution qu’il préconise est boiteuse, ce qui ne fait que souligner le problème de positionnement politique qui est le sien.
Des propos justifiés
Si l’on regarde ce qu’Arnaud Montebourg a dit, on ne peut être que frappé par la justesse du diagnostic. Ainsi :
« Nous avons la zone la plus dépressive au monde et la monnaie qui s’apprécie le plus au monde. Cette situation est ubuesque ».
Ceci est entièrement juste, et a été souligné par de nombreux économistes depuis des années[2]. On peut certes regretter qu’il ait fallu tout ce temps (6 années) pour le découvrir en France, mais dont acte. Cependant, cette réévaluation de l’Euro est compréhensible, quand on regarde l’excédent commercial global de la zone Euro, excédent qui résulte des excédents commerciaux de l’Allemagne, et de certains autres pays. Il ajoute ensuite : « L’euro pénalise l’industrie au lieu de la soutenir dans la grave crise de compétitivité que nous traversons. Tous les grands industriels européens dans l’aéronautique, dans l’agroalimentaire, dans les transports, et toutes les institutions économiques du FMI au Conseil d’analyse économique, lui-même placé auprès du Premier ministre, en passant par l’OCDE, défendent des politiques nouvelles et « non conventionnelles » visant à enfin faire baisser le niveau de l’euro. Pourquoi devrions-nous continuer à nous mettre la tête dans le sable ? » Sur ce point encore, on ne peut que partager le constat. Aujourd’hui, le taux de change de l’Euro pénalise la totalité de l’industrie française (et italienne, troisième pays de la Zone Euro). Ce taux de change accélère les processus de désindustrialisation que nous connaissons. Par ailleurs ils plongent aussi les pays de la périphérie de la zone Euro dans la déflation.
Graphique
Les taux de croissance qui sont indiqués par la DGTP (Direction Générale du Trésor et de la Prévision), soit 1,2% de croissance en cas de dépréciation de 10%[3] de l’Euro correspondent d’ailleurs aux valeurs « hautes » du modèle qui a été publié en septembre dernier. Nous tablions, pour une dépréciation de 20% de la monnaie française (et non de l’Euro seulement) sur un gain direct de 2,5% à 2,8%, et un gain indirect total de 4,5% à 6% par an se répétant pour les 3 premières années[4]. Ce qu’a dit Arnaud Montebourg correspond ainsi à la stricte vérité. Mais, dès qu’il s’agit de proposer des solutions, on entre dans un domaine où le Ministre du Redressement Productif est moins clair.
Déprécier l’Euro ou dissoudre l’Euro ?
La solution dite de « dépréciation » de l’Euro se heurte en effet à plusieurs obstacles. D’une part, on ne « déprécie » pas si simplement la monnaie correspondant à une zone économique qui est en excédent commercial. Une solution peut être de faire baisser les taux d’intérêts, mais ces derniers sont déjà très bas, et le gain, par rapport aux taux américains ou japonais, trop faible pour aboutir au résultat souhaité. On peut aussi faire l’équivalent d’une « quantitative easing [5] » à l’européenne, soit obliger la Banque Centrale Européenne à racheter des montants importants de dettes publiques pour injecter de la monnaie et, par un processus de marché, comme il y aurait plus d’offre d’euros que de demande, provoquer une baisse du cours par rapport au Dollar et au Yen. Mais, un tel programme rencontrera l’opposition absolue de l’Allemagne. En effet, l’article 88 de la loi fondamentale allemande interdit à la Banque Centrale de prêter à l’État, et la cour de Karlsruhe a statué que les pratiques de la BCE ne doivent pas violer la constitution allemande. D’ailleurs, le problème se pose dès aujourd’hui à propos du programme Outright Monetary Operation envisagé par Mario Draghi, le président de la BCE, dont la légalité au regard de la loi allemande et du statut de la BCE est mise en cause par 6 juges sur 8[6]. Enfin, il faudrait que la BCE adopte de manière claire une politique de ciblage du taux de change (et du taux de change réel par surcroît), ce qu’elle s’est toujours refusée à faire. On peut le déplorer, mais il faut le constater, il n’y a pas de majorité qui permette de faire changer de politique la BCE. Sauf à expulser l’Allemagne de la Zone Euro, rien ne sera possible dans la Zone Euro.
Par ailleurs, si par miracle on arrivait à déprécier l’Euro, cela ne réglerait pas le problème. En effet, si la France fait environ 50% de ses exportations à l’extérieure de la Zone Euro, elle en fait 50% à l’intérieur. Pour certains pays, comme l’Italie ou l’Espagne, c’est même 65% à 75% des exportations. En fait, déprécier l’Euro ne règle en rien la question de la surévaluation implicite des monnaies des pays du Sud de la zone Euro vis-à-vis de l’Allemagne. Cette surévaluation provient en partie des réformes Harz-IV, mais aussi – et peut-être surtout – de l’existence de taux d’inflation structurels[7] très divergents entre ces pays et l’Allemagne. La folie qu’il y a eu de vouloir faire vivre des pays profondément différents dans la même monnaie et sous le même taux de change apparaît alors clairement. Cette folie ne pouvait tenir que si l’on organisait des transferts massifs de ressources budgétaires des pays du Nord de l’Europe vers les pays du Sud. Mais, ces transferts impliqueraient que l’Allemagne y participe à hauteur de 8% à 12% de son PIB annuel, et ce pendant au moins 10 ans. Or, l’Allemagne ne le peut pas, quand bien même elle le voudrait. C’est une évidence, dont Arnaud Montebourg est conscient puisqu’il n’évoque pas cette solution.
Il ne reste donc comme solution que la dissolution de la Zone Euro, que cette dernière soit consensuelle ou qu’elle provienne de la décision d’un pays (la France ou l’Italie) de quitter la zone Euro, entraînant alors rapidement l’éclatement de cette dernière.
Le positionnement politique d’Arnaud Montebourg
Alors qu’un nombre croissant d’économistes en vient à considérer une dissolution de la Zone Euro comme la seule solution, Arnaud Montebourg est renvoyé au problème de son positionnement politique. Son action au Ministère du Redressement Productif a été positive. Il a contribué à limiter la casse industrielle en 2012 et 2013, et il aurait même pu mieux faire si le Premier Ministre ne s’était opposé, par bêtise ou par dogmatisme, à certaines de ses initiatives. Mais elle touche désormais à ses limites. Tant que la France restera dans l’Euro, son industrie est globalement condamnée. Or, Arnaud Montebourg sait bien que l’industrie est nécessaire à la France, non seulement parce qu’elle fournit des emplois bien payés quand les services n’offrent que des salaires très bas, non seulement parce que l’industrie est la seule à pouvoir permettre aux diplômés que nous formons tous les ans de trouver un emploi et de réaliser ce qu’ils rêvent en mettant en pratique les innovations conçues dans les centres de recherches, mais parce qu’il sait que l’industrie est une composante essentielle de la puissance et du rayonnement français.
Nombreux sont ceux qui ont hésité devant l’Euro. Dans un article récent, publié dans Marianne, Jacques Généreux a reconnu que certaines des hésitations du Parti de Gauche quant à l’Euro étaient dues à l’opposition du PCF et que cela avait bridé la campagne de Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle. Ainsi, la gauche réelle a perdu plus de 18 mois sur cette question. Désormais, le problème se pose à Arnaud Montebourg. S’il va jusqu’au bout de sa logique, s’il dit enfin que nous devons sortir de l’euro, libérant ainsi une parole publique trop longtemps réprimée, il se heurtera frontalement à François Hollande, et il devra sans doute démissionner. Mais, quel sens cela aurait-il de rester ministre si ce n’est pour ne rien faire ou, au mieux, accompagner la fin de l’industrie française ? Ne devrait-il pas saisir ici la chance qui lui reste et provoquer l’affrontement avec la ligne européiste du gouvernement sur des bases claires, qui plus est à la veille des élections européennes ? S’il est contraint à la démission, alors le scandale aura les retombées les plus néfastes sur le PS dans ces élections. Arnaud Montebourg peut choisir de regarder le PS ou de regarder la France, ses femmes et ses hommes qui souffrent et qui se désespèrent chaque jour un peu plus. Quoi qu’il fasse, ce sera SA décision, mais c’est une décision comme il y en a peu dans la vie d’un homme. Et il doit se souvenir que l’Histoire, en général, ne repasse pas les plats…
Jacques Sapir
[1] Consultable ici :http://www.lesechos.fr/economie-politique/france/interview/0203303714652-arnaud-montebourg-nous-devons-faire-baisser-l-euro-648970.php
[2] Bibow J. et A. Terzi, edits. Euroland and the World Economy, Palgrave MacMillan, New York, 2007.
[3] « D’après la direction du Trésor, une dépréciation de 10 % permettrait d’accroître notre taux de croissance de 1,2 %. Cela créerait 150.000 emplois, améliorerait la balance commerciale et réduirait notre déficit public de 12 milliards »
[4] Sapir J., Murer P. et C. Durand, Les scénarii de dissolution de la zone Euro, Fondation Respublica, Paris, 2013.
[5] Ou « aisance quantitative » du nom des programmes mis en place par la FED aux Etats-Unis.
[6] Voir la décision de la Cour :
http://www.bundesverfassungsgericht.de/pressemitteilungen/bvg14-009
[7] On rappelle ici que le taux d’inflation structurel définit le taux d’inflation nécessaire pour que l’économie soit au plein emploi.