Publié le : 27 avril 2014
Source : bvoltaire.fr
Edward Snowden, c’est le moins qu’on puisse dire, s’est fait, à son corps défendant, discret ces temps derniers. Ayant finalement obtenu l’asile politique en Russie, il a rompu sa diète médiatique en répondant aux question du site allemand ndr.de. Boulevard Voltaire ne pouvait faire moins que de vous donner les meilleurs extraits de cet entretien ignoré par tous les autres « grands » médias.
Monsieur Snowden, vous avez demandé une protection policière. Avez-vous reçu des menaces ?
Les menaces sont importantes, mais je dors très bien. Je pense à cet article, publié sur le site BuzzFeed, dans lequel des espions de la National Security Agency se sont exprimés sous anonymat. Ils ont affirmé au journaliste qu’ils voulaient m’assassiner. Ces espions – ils relèvent des agissements officiels du gouvernement – ont dit qu’ils apprécieraient volontiers de me mettre une balle dans la tête, de m’empoisonner lorsque je reviendrai de l’épicerie ou que je meure sous la douche.
Le récent discours de Barack Obama sur la surveillance de ses propres concitoyens signe-t-il le début d’une véritable réglementation en la matière ?
Avec ce discours, le Président voulait apporter quelques changement mineurs mais surtout préserver ces instances dont nous n’avons nul besoin. Le Président a créé une commission composée de fonctionnaires qui sont tous des amis personnels, des habitués de la sécurité nationale, d’anciens de la CIA, des gens qui ont tout intérêt à se montrer bienveillants envers ces programmes qui n’ont pourtant aucune utilité. Ils n’ont jamais stoppé les attaques terroristes aux États-Unis mais ils ont été utilisés pour d’autres choses. La seule chose pour laquelle le programme de surveillance des métadonnées téléphoniques, Section 215 – au passage, c’est un programme de collecte plus étendu que le programme de surveillance massive –, a servi, c’était pour stopper ou détecter un télépaiement de 8.500 dollars d’un chauffeur de taxi en Californie. Bref, nous n’en avons absolument pas besoin. Ces programmes ne nous tranquillisent pas. Ils captent des ressources importantes pour rien. Pourtant, la NSA opère sous l’unique autorité exécutive du Président qui peut y mettre fin ou demander une modification de leur politique à tout moment.
Vous travailliez pour la NSA et pendant ce temps vous avez secrètement rassemblé des milliers de documents confidentiels. Quel a été le moment décisif ? Qu’est-ce qui s’est passé pour que vous agissiez de la sorte ?
Le point de rupture a été de voir le directeur du Renseignement national, James Clapper, mentir sous serment devant le Congrès. Il n’y a aucune raison de croire qu’un service de renseignements puisse mentir au public et aux législateurs. En constatant ce que cela signifiait vraiment pour moi, il n’y avait aucun retour en arrière possible. Au-delà de ça, j’ai réalisé avec effroi que personne d’autre que moi ne pouvait le faire. Le public a le droit de connaître le contenu de ces programmes. Le peuple a le droit de savoir ce que le gouvernement fait en son nom, et ce qu’il fait contre le peuple.
Il n’y a pas seulement la NSA, mais cet accord multilatéral de coopération entre les services et cette alliance d’opérations de renseignement est connu comme étant les « Five Eyes ». Quels sont les agences et les pays dans cette alliance et quel est son but ?
L’alliance des « Five Eyes » est une sorte de bobard datant d’avant la Seconde Guerre mondiale où les pays anglophones se sont regroupés pour coopérer et partager les coûts d’infrastructures utilisées pour la collecte des renseignements. Ainsi, nous avons le GCHQ au Royaume-Uni, la NSA aux États-Unis, le C-Sec au Canada, l’ASD en Australie et le DSD en Nouvelle-Zélande. Pendant des décennies, ces organisations de renseignement supranational ne se sont pas soumises aux lois et aux règlements de leurs propres pays.
Dans de nombreux pays, des agences telles que la NSA ne sont pas autorisées à espionner à l’intérieur de leurs frontières et encore moins leurs propres citoyens. Mais les Britanniques peuvent espionner le monde entier, à l’exception – peut-être – de l’Angleterre…
Si vous interrogez nos gouvernements, ils nieront espionner leurs propres citoyens en expliquant que les accords politiques passés entre les membres du « Fives Eyes » ne permettent pas d’espionner les citoyens de chaque pays concerné. Pourtant, il y a deux points clefs à connaître sur ce sujet. D’abord, leurs façons de concevoir l’espionnage n’ont rien à voir avec la collecte massive de données. Le GCHQ recueille une quantité incroyable de données sur les citoyens britanniques. La NSA recueille également des données sur les citoyens américains. Ils expliquent qu’ils ne ciblent personne en faisant cela. Qu’ils n’appréhenderont pas un citoyen britannique. De plus, les accords politiques entre eux mentionnent que les Anglais ne cibleront pas les citoyens américains, et vice versa. Les protocoles réels d’intention mentionnent spécifiquement qu’ils ne sont pas destinés à imposer une restriction légale à un gouvernement. Ce sont des accords politiques qui peuvent être écartés ou brisés à tout moment. Donc, s’ils veulent espionner un citoyen britannique, ils peuvent le faire et même partager les données avec le gouvernement britannique qui, lui, n’a pas le droit d’espionner ses propres citoyens. On peut dire qu’il s’agit d’une sorte de commerce dynamique.
Entretien réalisé par Hubert Seipel