Publié le : 28 avril 2014
Source : bvoltaire.fr
Quels sont les rapports entre les services secrets allemands, la NSA et le réseau « Five Eyes » ?
Ils sont intimes. En fait, les services allemands et les services américains se rendent mutuellement service. Ils mettent en commun les informations, mais aussi les outils et les infrastructures dont ils ont besoin pour atteindre leur cible commune. C’est très dangereux. À titre d’exemple, « XKeyscore », l’un des principaux programmes de la NSA, est un moteur de recherche leur permettant de visionner tous les enregistrements qu’ils collectent chaque jour à travers le monde.
Qu’est-il possible de faire avec les outils de la NSA ? L’Allemagne a-t-elle accès à ces outils ?
Je peux connaître votre vraie identité, je peux trouver toutes les associations desquelles vous êtes membre et je peux même créer ce qu’on appelle une empreinte unique : quels que soient votre activité, le lieu où vous vous trouvez n’importe où dans le monde et même si vous essayez de cacher votre présence en ligne, la NSA et toute personne ou entité autorisées à utiliser ce logiciel peuvent vous retrouver. L’Allemagne est un des pays qui a accès à « XKeyscore ».
C’est effrayant. Le BND (services secrets allemands) peut-il fournir des informations sur les citoyens allemands à la NSA ?
Le BND le fait-il directement ou sait-il que la NSA obtient ces informations allemandes ? Ce n’est plus un secret que tous les pays du monde fournissent des données de leurs citoyens à la NSA. Des millions de données venant de l’Allemagne concernant la vie quotidienne, les conversations téléphoniques, les envois de SMS, les visites de sites Internet, les achats en ligne atterrissent à la NSA et il est raisonnable de penser que le BND en est conscient dans une certaine mesure. Maintenant, je ne peux pas dire si, oui ou non, ils fournissent ces informations volontairement.
Le BND soutient, en gros, que s’il fournit toutes ces infos, il le fait par accident et que son filtre de données ne fonctionne pas…
Certes, mais ils parlent aussi d’infiltration, ce qui signifie que lorsque la NSA installe un serveur secret chez un fournisseur allemand de télécommunications ou qu’elle pirate un routeur allemand, elle détourne le trafic pour pouvoir mettre son nez dedans. La NSA prétend que si elle voit un Allemand parler avec un autre Allemand, elle laisse tomber. Mais comment fait-elle pour le savoir ? Vous pourriez imaginer que si ces gens parlent allemand, si l’adresse IP semble être celle d’une société allemande, on laisse tomber. Mais ce n’est pas si simple. En réalité, lorsque la NSA dit qu’il n’y a aucun espionnage des Allemands, cela ne veut pas dire que les données allemandes ne sont pas collectées. Ça ne veut pas dire que les données n’ont pas été volées ou enregistrées. Leurs recherches sur les citoyens allemands ne sont donc pas intentionnelles. Mais on dirait une promesse avec les doigts croisés dans le dos. Ce n’est pas fiable.
Qu’en est-il de nos voisins d’Europe du Sud, comme l’Italie, la France et l’Espagne ?
C’est la même chose dans le monde entier.
Les espions de la NSA peuvent-ils découvrir le secret du succès de Siemens, de Mercedes ou des autres compagnies allemandes et avoir l’avantage de savoir ce qui se passe dans le monde scientifique et économique ?
Aux journalistes de le dire, mais je pense qu’il ne fait aucun doute que les USA sont impliqués dans l’espionnage économique. S’il y a des informations intéressantes chez Siemens, et que celles-ci sont bénéfiques non pas pour la sécurité nationale des USA, mais pour leur intérêt économique, ils seront prêts à se les approprier.
Rien n’a le plus ennuyé le gouvernement allemand que d’apprendre que la NSA avait infiltré le téléphone privé de la chancelière allemande Angela Merkel au cours de dix longues années. Soudainement, cette surveillance secrète a été liée à un visage connu et non pas avec une personne ayant un passif terroriste connu : Obama a maintenant promis de cesser d’espionner Merkel, ce qui soulève les questions suivantes : la NSA a-t-elle déjà enregistré les gouvernements précédents, y compris les anciens chanceliers ? Quand l’a-t-elle fait et pendant combien de temps ?
Il est difficile de répondre à cette question, mais je crois fermement que l’information vaut la peine d’être portée à la connaissance du public. Encore une fois, je laisse les journalistes examiner le matériel et décider si, oui ou non, la valeur publique de cette information l’emporte sur le niveau de réputation des fonctionnaires qui ont ordonné la surveillance. Nous savons qu’Angela Merkel a été espionnée par la NSA. Est-il raisonnable de penser qu’elle fut la seule ? Difficile de croire aujourd’hui que si quelqu’un s’intéressait à la chancelière, il ne s’intéressait pas à ses assistants, ses ministres et autres hauts fonctionnaires du gouvernement ou dirigeants locaux.
Entretien réalisé par Hubert seipel
