Publié le : 09 mai 2014
Source : bvoltaire.fr
La couverture médiatique des événements en Ukraine par la presse occidentale est unanime : Poutine est un nationaliste boutefeu qui pousse son avantage le plus loin possible. La Russie est à la fois l’agresseur direct (en Crimée) et le marionnettiste cynique (dans l’est de l’Ukraine). Le tout avec la mentalité du joueur d’échecs (vieux cliché sur les Russes).
Puisqu’on parle échecs, on rappellera qu’il y a deux manières de gagner à ce jeu subtil appliqué aux grandes choses du monde. Celle qui passe par la victoire nette (le mat) ou celle qui passe par la révélation du jeu de l’adversaire, qui se retrouve ainsi nu aux yeux du public. Il semble que c’est cette deuxième sorte de victoire que vient de remporter Poutine. Explications.
À la suite de la visite à Moscou, le 7 mai, du Suisse Didier Burkhalter, président de l’OSCE, Poutine a fait un pas en avant dans les quatre dimensions de la feuille de route de l’OSCE : cessez-le-feu, désarmement, dialogue, élections. Il a rappelé le rôle de la Russie dans la libération des observateurs de l’OSCE, indiqué que les soldats russes avaient regagné leurs bases, demandé aux séparatistes russophiles d’abandonner leur projet de référendum du 11 mai et, enfin, accepté le principe de l’élection présidentielle du 25 mai. En clair, il a fourni les gages qu’on lui demandait de donner au nom de l’apaisement, validant au passage – et ce n’est pas un hasard – la proposition allemande.
La démarche est subtile à trois niveaux :
- Sur le terrain, elle est facteur d’apaisement et de responsabilité. Mais comme le point de non-retour est déjà dépassé depuis longtemps, chacun voit bien que l’Ukraine rêvée par le pouvoir de Kiev a vécu.
- Sur le plan diplomatique, il valide le dialogue constructif avec Berlin au détriment des agitations stériles européennes et des positions radicales du pouvoir de Kiev soutenu par les Américains. Poutine sait que les Américains et leurs alliés, pour des raisons diverses, sont soit réticents soit gênés pour appliquer un réel train de sanctions. Il joue de leurs divisions et choisit ses interlocuteurs. Il y a fort à parier qu’il y aura d’autres dignitaires américains pour s’exclamer « Fuck the EU ! »
- Sur le plan médiatique, il apparaît comme celui qui calme le jeu. Il est symptomatique que tous ceux qui l’ont enfermé dans ce rôle de pseudo-dictateur cynique parlent de « revirement surprenant ». Quand vous avez diabolisé votre adversaire, vous n’êtes plus capables d’être lucides sur ses actes et d’anticiper. Les milieux économiques, plus rationnels, ne s’y trompent pas, comme en témoignent les réactions immédiates des marchés financiers et monétaires.
Le public de Poutine n’est pas les opinions publiques occidentales. Il est celui des grandes institutions internationales et des États spectateurs et potentiellement acteurs comme la Chine, le Japon, l’Asie centrale et une grande partie des pays d’Europe hostiles, pour des raisons diverses, aux politiques de sanction et à un élargissement inconsidéré de l’OTAN à l’Ukraine. On pense à l’Italie, l’Espagne, la Tchéquie ou la Bulgarie notamment. Tous voient bien que, face à ce geste, le pouvoir de Kiev continue ses appels belliqueux et que les officiels américains persistent à exiger davantage pour ne jamais être satisfaits. Comme s’il fallait, encore et toujours, multiplier les prétextes de faire la guerre morale, économique et demain physique à l’espace russe.
En faisant tomber les masques, Poutine prend un risque : conduire chacun à cesser de faire semblant et enfin révéler au monde que le combat entre Occident et Russie, bien plus qu’un affrontement pour des zones d’influence territoriales, est en fait une lutte à mort entre deux systèmes. L’univers marchand libéral-libertaire triomphant contre une communauté enracinée qui refuse la sujétion au village global.
L’enjeu n’est pas mince. Car une fois le pot aux roses révélé, chacun devra choisir son camp.
Philippe Christèle