Publié le : 22 mai 2014
Source : corto74.blogspot.fr
Ce qu’il y a de rigolo avec les médias et par ricochets une bonne partie des Français, c’est que dès qu’on leur donne une connerie à croire et à transmettre, ils y vont gaiement ! Et tant pis pour le grand n’importe quoi.
Il en va ainsi de cette polémique complètement stupide sur cette histoire de trains trop larges ou de quais trop étroits. Le Canard Enchaîné balance une info vierge de toute analyse: la SNCF a acheté des trains qui sont trop larges, il va falloir raboter les quais de mille et quelques gares. Et hop, la machine à conneries débitées au kilomètre se met en branle: C’est un scandale, qui va payer, RFF et SNCF infoutues de se parler, ingénieurs nuls etc… Bouquet final: les politiques s’en mêlent. Le secrétaire d’Etat en charge du secteur depuis 2 ans réclame que des têtes tombent (qu’a-t-il foutu depuis deux ans celui-ci ?). Cambadélis demande la démission de Pepy, le patron de la SNCF et de Rapoport, celui de RFF. Les Grandes Gueules sur RMC en font leur dossier du matin: on est dans un pays de cons (ce qui n’est pas tout à fait faux) ! Elise Lucet trouve cela aussi rigolo que pathétique, la bande à Ruquier se gausse et pour finir la presse internationale se paye de notre fiole: Il n’y a qu’en France que l’on peut faire pareille bévue !
En écoutant les commentateurs « avisés », on se dit que quelque chose a merdé, c’est sûr. Mais en les écoutant bien, on s’aperçoit qu’ils ne disent pas grand chose et qu’ils n’expliquent rien. Pourtant en lisant le communiqué commun émis hier par les deux entreprises, ils auraient du se dire: halte au feu, posons-nous et analysons. Dans ce communiqué, on lit que les deux entreprises étaient parfaitement au courant de ce problème de centimètres en trop sur les trains ou en moins pour les quais. Lorsque la commande de nouveaux trains fut passée pour répondre au trafic passagers et aux demandes des régions, la SNCF exigea, normal, que ceux-ci soient adaptés aux nouvelles normes internationales (dont une taille plus large), charge à RFF d’adapter les quais à ces nouveaux trains. Tout était prévu donc. Le plan d’action des travaux d’adaptation des quais a été finalisé en 2012 et les travaux sur les 1 200 gares planifiés pour s’étaler de fin 2013 à fin 2016, au fil des livraisons des nouvelles rames. Le jour où Le Canard lâche sa bouse, 300 quais ont déjà été rabotés. Le coût final, prévu, est estimé à 50 millions d’euros soit à peine 1% des investissements annuels de RFF.
Alors vous allez dire, Corto est léger, il prend pour argent comptant ce que racontent les deux boss des deux entreprises. Que nenni, j’ai été fouiller comme n’importe quel journaliste sérieux aurait pu faire et suis tombé sur différents communiqués ou articles émanant de cheminots, d’ingénieurs et d’autres personnes (toutes non syndiquées apparemment) impliquées ou au fait de ces histoires de trains. Et qu’y lit-on ?
La confirmation que: « Le souci de gabarit était connu et les rames ont été commandées en toute connaissance de cause. Les travaux de mise aux normes des quais sont donc prévus et tout à fait normaux« , « que le rabotage des quais était doublement nécessaire compte tenu de l’arrivée des nouveaux wagons Modalhor servant au transport des remorques de poids lourds » , « que le travail est engagé depuis longtemps, car il s’agit des normes internationales de l’UIC (Union Internationale des Chemin de fer) devant répondre à la nécessaire mise à niveaux des installations concernant les personnes à mobilité réduite, le confort, la compatibilité entre gabarits européens, afin de rendre inter-opérables tous les matériels sur tous les réseaux à terme« . Etc… Même le journal Le Monde, après avoir tiré à vue sur les coupables désignés d’office, finira par reconnaître que « à la décharge de la SNCF et de RFF, engager des modifications des infrastructures, souvent vieilles de plus de cinquante ans, à l’arrivée de nouveaux matériels n’a rien d’exceptionnel« . J’arrête là les copié-collés, vous pouvez aller vérifier par vous-mêmes et vous documenter.
Alors pourquoi cette polémique et une telle ampleur ? Et bien d’abord parce que l’info vient du Canard qui comme à son habitude balance une info qu’on lui a gentiment fournie sans l’analyser, le buzz avant tout. Ensuite parce que les nouvelles rames ont été commandées par les Conseils Généraux qui, si ils avaient bien suivis leurs appels d’offres, auraient pris connaissance depuis longtemps du changement de normes. Ne l’ayant visiblement pas fait, ils leur faut trouver un ou des boucs émissaires pour se disculper de leur légèreté. Ensuite toujours, parce que André Rousset, socialiste et Président de l’Association des Régions de France sentant venir la bouse (le non suivi de l’appel d’offre et le surcoût éventuel non provisionné) déclara fin 2013 ne pas vouloir payer le rabotage dans sa région, rabotage que personne ne lui avait demandé de payer. Enfin parce que le gouvernement a dans ses tiroirs un projet de réunification des deux entreprises (SNCF et RFF), réunification que les différents syndicats des deux entreprises ne souhaitent pas (une manifestation engendrant des perturbations sur les réseaux était aujourd’hui organisée pour s’y opposer). Cette polémique de trains trop larges et de quais trop étroits, astucieusement montée en épingle, tombait à point pour démontrer que le souhait du gouvernement était fondé même si on peut prévoir une réaction de l’UE contre cette fusion, fusion qui donnerait à une entreprise unique le monopole de l’exploitation du réseau ferré, monopole entravant l’entrée d’opérateurs ferroviaires concurrents.
En réalité, cette histoire montre surtout les bagarres politiques qui ont actuellement lieu en matière de décentralisation: les régions s’opposent à l’Etat pour ce qui concerne les aménagements régionaux, et l’Etat tient à maintenir son leadership décisionnel, via la SNCF et RFF, sur ce même aménagement des territoires.
Gageons qu’avec la réforme territoriale engagée à un train d’enfer par le gouvernement, ce genre de polémiques aussi stupides qu’ inutiles devraient se succéder à la vitesse d’un TGV fou.
Corto74