Publié le : 23 mai 2014
Source : bvoltaire.fr
Radioactif. Le taux d’imprégnation atlantiste des « élites » politico-médiatiques françaises franchit aujourd’hui tous les seuils connus. Unanimes contre la réalité, le bon sens et la justice, elles dressent de Poutine le portrait d’un fauteur de guerre démembrant l’Ukraine.
Poutine arpente en fait trois lignes de front.
La plus immédiate court bien sûr d’Odessa à Kharkov en longeant le Dniepr. Le gouvernement putschiste russophobe de Kiev avec son avant-garde nazie, encouragé par les chancelleries occidentales, pousse les populations pro-russes de l’Est à la radicalisation. Poutine n’avait jamais contesté les frontières de l’Ukraine avant ce 23 février dernier où Maïdan abroge le statut officiel de la langue russe. Avec ce mélange de force et de forme qui le caractérise, il réagit par le rattachement référendaire de la Crimée à la Russie. L’Ukraine orientale l’appelle maintenant à l’aide. Jusqu’à il y a peu, il s’en tenait au principe de la fédéralisation. Mais la tuerie d’Odessa peut changer la donne. Juriste soucieux des formes de l’action, Poutine possède avant tout en grand politique le sens des rapports de force. Si d’autres massacres étaient perpétrés contre les russophiles, l’option militaire serait ouverte. Poutine la placerait sans doute sous la bannière d’une mission humanitaire – par un retour à l’envoyeur occidental.
Il compterait alors ses soutiens à l’ONU. On y distinguerait aussi les vrais partisans de la multipolarité de ceux qui, prétendant la vouloir, en refusent la condition : une Russie forte. C’est le front primordial ouvert depuis la chute de l’URSS, et il est mondial. L’« hyperpuissance américaine » s’accommode bien de la Chine, de l’Inde ou du Brésil qui, centrés sur leur développement économique, ne contestent pas son modèle. Mais le « Nouvel Ordre Mondial » ne peut durer qu’en affaiblissant la Russie et, plus généralement, ce Heartland eurasien dont le contrôle obsède les stratèges anglo-saxons. Comme la France n’assume plus – depuis de Gaulle, hélas ! – son rôle de grande puissance intermédiaire, Poutine est avec l’Amérique latine « bolivarianisante » le dernier obstacle sérieux à la domination atlantiste. Il ne peut ni ne veut céder en Ukraine. D’un point de vue français, j’ajoute qu’il ne doit pas céder.
Il faut, pour s’en convaincre, se libérer de la russophobie médiatique. C’est la dernière ligne de front. Elle passe dans nos esprits. Sans doute préoccupe-t-elle Poutine moins que les deux premières, les élites russes observant toutefois attentivement l’opinion française. Je leur adresse une espérance. Demain, une France de nouveau indépendante, affranchie de l’atlantisme, reconnaîtra la Russie comme un allié précieux. Et je crois que la digue qui empêchait les Français de le voir craque sourdement. Devant Bernard-Henri Lévy comparant à Maïdan les nazis de Svoboda aux cadets de l’an II, devant l’écrasante responsabilité des Occidentaux dans le conflit, devant, enfin, la tuerie d’Odessa, les Français sentent que, de la Libye à l’Ukraine en passant par la Syrie, bien-penser tue.
Yannick Jaffré
Yannick Jaffré est professeur agrégé de philosophie, président du collectif Racine, associé au Rassemblement Bleu Marine pour le redressement de l’école.