Publié le : 08 août 2014
Source : espritcorsairecom
La période estivale nous permet de prendre un peu de champ… et de déconstruire quelques paroles dominantes. Il ne s’agit pas ici de reproduire ce que nous critiquons chez les « éditocrates » de certains médias et de faire comme eux, c’est-à-dire de donner des leçons de morale et de journalisme, mais plus simplement d’exercer notre libre arbitre minimal afin de mettre à jour, lorsque cela est possible, les motivations cachées des uns et des autres en exerçant nos capacités d’observateurs critiques de certaines manifestations curieuses de la presse parisienne.
La défense postmoderne, inconditionnelle et obsessionnelle d’Israël, répétée et sanctifiée par l’éditorialiste du Nouvel Observateur n’est pas une nouveauté, celle de Libération – moribond… on ne va pas pleurer… -, également. Bénéficiant du déclin du Monde, dont Pierre Péan et Philippe Cohen ont définitivement raconté la triste évolution (1), s’adaptant à la fluidité des nouvelles technologies et surfant sur la crise, sinon la fin des grandes idéologies, une foultitude de blogs fleurissent avec plus ou moins de réussite… Mediapart est l’un d’eux se parant de toutes les vertus du « journalisme d’investigation », s’autoproclamant Robin des bois de toutes les « affaires », imprécateur et chevalier blanc qui lavent plus blanc…
Il ne suffit pas d’avoir débusqué Cahuzac pour avoir raison en tout et se permettre n’importe quoi. Les « affaires » peuvent en cacher d’autres et les priorités sélectives du sacro-saint « journalisme d’investigation » ne disent pas toujours les raisons de leur calendrier. A lancer des contrôles fiscaux dans toutes les directions, on finit toujours par trouver quelque chose… faut-il ensuite assurer le service après vente et surtout expliquer les mécanismes des paradis fiscaux, du financement des partis politiques et des campagnes électorales. Comment le « journalisme d’investigation » choisit-il ses cibles et ses héros ? Autre question. Toujours est-il qu’on connaît l’aversion du patron de Mediapart pour les socio-démocrates et les « Rocardiens ». En effet, l’idéologie de ce blog tient surtout aux options politiques personnelles de son patron.
Edwy Plenel -, qui fut l’un des fossoyeurs du Monde, en fait des tonnes : ses homélies sont lues en ouverture des spectacles estivaux par les Intermittents ; ses collaborateurs traînent dans la boue un général de France, enfin il se fend d’une lettre ouverte à François Hollande sur Gaza…
Cette dernière intervention prête d’autant plus à sourire que le même Plenel et ses petites mains ont, le plus souvent, fait acte de bienveillance, voire même plus, envers les politiques agressives de Tel-Aviv. On touche ici à l’un des fondements de « l’idéologie Mediapart ». Ancien mais toujours militant trotskyste, Edwy Plenel et ses copains cultivaient une sainte horreur de l’Union soviétique. Certes, Staline et ses successeurs ne furent pas de grands humanistes, mais c’est essentiellement parce qu’ils soutinrent l’OLP de Yasser Arafat comme d’autres nationalismes arabes (Syrie, Irak, etc.), que certains de nos trotskystes français se rangèrent du côté d’Israël et de ses Travaillistes improbables transformés en autant d’alliés objectifs de la « révolution permanente ».
Cette posture explique, du reste, l’actuelle régression et conversion de nombre de hiérarques socialistes (anciens militants trotskystes) au mollétisme de la IVe République. Dans cette filiation, le patron de Mediapart a écrit un livre à mourir de rire sur les « révolutions arabes », présentées comme un grand « 1789 » libérateur. Lecture un peu pressée et tellement en contradiction avec ce qu’on pouvait aisément prédire de ce se passe aujourd’hui en Libye, en Égypte ou en Syrie… La Syrie justement ! C’est l’un des autres symptômes de l’idéologie Mediapart : les gentils révolutionnaires encore !!! en lutte contre une dictature innommable dont s’accommodent pourtant les Chrétiens, les Druzes, les Kurdes et autres minorités de Syrie… mais l’idéologie doit absolument faire rentrer le réel dans ses propres catégories.
De manière amusante , votre serviteur a fait les frais du sens poussé de l’investigation selon Mediapart, étant dûment accusé par ses commissaires politiques d’avoir participé à une réunion de « soutien au régime de Bachar al-Assad ». Il se trouve qu’au jour et à l’heure de la rencontre incriminée qui s’est tenue à l’Assemblée nationale, j’étais en voyage dans les glaces arctiques. Cela ne s’invente pas mais confirme le sérieux des « enquêtes » de ce blog ! J’ai bien évidemment écrit une lettre de rectification à l’adresse des responsables de Mediapart sans, bien évidemment aussi, recevoir de réponse. Savoir vivre et grandeur du journalisme postmoderne !
Les prestations des Intermittents du spectacle citant leur gourou Edwy Plenel – physiquement absent mais présent néanmoins comme le Dieu caché -, étaient plus risibles encore, fourrant dans le même sac les « dictateurs » du festival d’Avignon, ceux du CAC-40, de la Commission européenne, de l’OMC, etc. Le carburant de l’idéologie Mediapart est d’énoncer le bon goût, sinon le droit de ce qui doit être et ne pas être. La figure de « l’intellectuel de gauche », dont le patron de Mediapart incarnerait la quintessence se doit de faire référence sur toutes les grandes affaires de la République. Comme l’écrivait fort à propos Michel Clouscard : « l’intellectuel de gauche vient d’accéder à la consommation mondaine. Et il en est même le principal usager. Pire, encore, il est devenu le maître à penser du monde. Il propose les modèles culturels du mondain. Non seulement il a accédé à la consommation mondaine, mais il en est devenu l’un des patrons. Il a la toute puissance de prescrire. Et de codifier l’ordre du désir » (2).
En définitive, l’idéologie Mediapart fonctionne comme un mixe de trotskysme du pauvre, des dualités bushiennes (le bien contre le mal, la civilisation contre la barbarie) et de la bonne conscience bobo : faire du compost rue du Cherche-Midi, défendre les droits de l’homme très loin plutôt qu’à proximité et piétiner Poutine, les notes à l’école ou le catholicisme pratiquant… Dernièrement, le patron de Mediapart a commis une petite plaquette qui s’intitule : « Dire non ! » Bigre ! Ce BHL du journalisme devrait pourtant savoir que la pratique de la Négation est le moteur de toute pensée depuis les présocratiques et que son imprécation auto-promotionnelle n’enfonce que de grandes portes ouvertes… Parce qu’en dernière instance, l’idéologie Mediapart fonctionne comme n’importe quelle campagne de communication : faire vendre à défaut d’informer et d’expliquer… cette espèce de servitude volontaire, irradiante et séductrice. Étienne de La Boétie : « Il est vrai qu’au commencement, on sert contraint et vaincu par la force ; mais ceux qui viennent après servent sans regret et font volontiers ce que leurs devanciers avaient fait par contrainte ».
Richard Labévière
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(1) La Face cachée du Monde est un livre d’investigation écrit et publié en 2003 par les journalistes Pierre Péan et Philippe Cohen critiquant le fonctionnement du journal français Le Monde, et plus particulièrement celui de sa direction tripartite de l’époque, composée de Jean-Marie Colombani, Edwy Plenel et Alain Minc. L’ouvrage lui-même est le résultat de la convergence de deux enquêtes menées à l’origine séparément par Pierre Péan et Philippe Cohen. Le livre a connu un succès commercial peu commun, atteignant 60 000 exemplaires vendus le premier jour et plus de 200 000 au total. Éditions Mille et Une Nuits, 2003.
(2) Michel Clouscard : Le capitalisme de la séduction – Critique de la social-démocratie libertaire. Éditions Delga, août 2013.