Publié le : 19 août 2014
Source : russeurope.hypotheses.org
Il est maintenant acquis que la croissance en 2014 devrait être de 0,5%, ce qui implique bien entendu une forte hausse du chômage (le niveau de croissance stabilisant le chômage étant de 1,3%) mais aussi du déficit public et de la dette. Les perspectives pour 2015 ne sont pas, elles non plus, des plus brillantes. L’agence de notation Moody’s estime que la croissance sera inférieure à 1%. La menace d’un déflation, de ce que l’on appelle en économie la « spirale déflationniste », est aujourd’hui réelle. Cette spirale, c’est celle qui a frappé l’Europe après la crise de 1929, dont l’enseignement a été retiré des programmes d’Histoire des lycées aux fins d’allègements… Le ralentissement de l’investissement productif que la France connaît depuis maintenant près de trois ans pèse sur ces perspectives pour deux raisons. La première est que la faiblesse du renouvellement du capital productif pénalise l’efficacité du secteur productif : c’est l’effet offre. Mais, il y a une seconde raison. Si la productivité française augmente moins vite que celle de ses concurrents, nos entreprises « résidentes » se verront évincées des marchés tant internes qu’externes. Pour éviter cela, elle devront réduire encore plus leurs marges, qui sont pourtant à un niveau historiquement faible, ce qui entraînera une nouvelle contraction de l’investissement ; c’est l’effet demande. Des mesures comme le fameux « Pacte de responsabilité » ne peuvent jouer qu’à la marge. Les fameux 50 milliards, dont le gouvernement nous rabâche les oreilles, seront trop étalés dans le temps pour avoir un effet notable. Par ailleurs, ce « Pacte » va entraîner une pression à la baisse sur les rémunérations des salariés, ce qui va peser négativement sur la consommation. Dans ces conditions, il est plausible –si la situation internationale ne se dégrade pas- que la croissance en 2015 soit de 0,8%. Mais, compte tenu des tendances actuelles à la dégradation, on peut prévoir un taux inférieur, et l’année 2015 pourrait bien être aussi mauvaise que ne le sera déjà 2014. Nous devrions atteindre le cap des 4 millions de demandeurs d’emplois (pour la catégorie « A » seulement…).
Ces chiffres, cependant, sont loin de dire toute la réalité. Certes, ils sont nécessaires. Sans ces mesures macroéconomiques, ces raisonnements dépersonnalisés, il est impossible de faire des prévisions sur l’avenir. Mais, derrière ces chiffres, se cache une misère et un désespoir affreux. Le désespoir est aujourd’hui accru par l‘absence totale de perspective pour la France. Un indice nous en est donné par les chiffres des suicides. Si la fréquence des suicides baisse en France (tout en étant élevée pour l’Europe et le monde), cette baisse est due à une meilleure prévention des suicides d’adolescents (et de jeunes) ainsi qu’à une diminution nette chez les plus de 64 ans. La fréquence reste identique dans la tranche d’âge 44-64 ans, celle justement qui est la plus touchée par le chômage, et en particulier le chômage de longue durée. La résignation du gouvernement, celle qui transpire des déclarations d’un Michel Sapin ou d’un Manuel Valls, celle qui se cache sous les oripeaux d’un pseudo « discours de vérité », a, à cet égard, des conséquences catastrophiques. Ce n’est pas la même chose de subir une crise passagère ou de se dire que l’on n’a plus d’avenir. Il ne faut pas aller chercher plus loin les causes de la dépression française, dont on peut mesurer à chaque instant l’ampleur et la profondeur. Oui, messieurs du gouvernement, LE CHÔMAGE TUE ! Ce n’est pas quelque chose que l’on peut soigner par des aides et des subventions (si utiles soient-elles par ailleurs). Et le chômage va tuer de plus en plus, directement et indirectement. De cette misère, de ce désespoir, de ces morts, vous êtes directement responsables, messieurs du gouvernement.
Car, une autre politique est possible. Il faut lire ce que des banquiers, parfois saisis d’un accès de lucidité, écrivent : « L’autre cause de la déflation est l’euro dont les erreurs de conception apparaissaient désormais avec effarement. C’est ainsi que la logique des pays du Nord, qui était fondée sur une désinflation compétitive se transforme en déflation récessionnaire. L’euro est devenu une monnaie génétiquement déflationniste »[1]. Il est clair qu’il faut sortir, et sortir vite, de ce piège mortel. Contrairement à ce qu’affirment les prétendus « décodeurs » du Monde[2], le problème est bien moins compliqué que ce que l’on pense. La question de la dette publique se fonde sur une jurisprudence constante, tant internationale que nationale, depuis les années vingt. La dette émise sur le sol français sera remboursées dans la monnaie de la France, quelle que soit cette monnaie. De ce point de vue, les « experts » de la fondation Copernic se trompent, et ne connaissent nullement les pratiques juridiques. Il n’y aura pas de procès en chaîne, car les « plaignants » savent qu’ils les perdraient. Rappelons que, pour un Français achetant de la dette aux Etats-Unis, et qui perd parce que le Dollar baisse par rapport à l’Euro, il n’y a AUCUN recours !
Graphique 1
Pourcentage des dettes émises en droit national et étranger
Seule, une sortie de l’Euro, réalisée rapidement, d’ici la fin de 2015, est en mesure de redonner du dynamisme à l’économie française, et de permettre de réduire substantiellement le chômage. Je l’ai déjà dit et écrit à de nombreuses reprises, cette sortie de l’Euro, et toutes les mesures connexes qui devraient être prises, ne règlera pas tous les problèmes. Mais, aucun de ceux-ci ne pourra être réglé tant que nous serons dans l’Euro.
Jacques Sapir
[1] Colmant B., « La déflation serait la dernière défaite de l’euro », 19/08/2014, https://blog.degroof.be/fr/article/la-deflation-serait-la-derniere…81bbb&utm_medium=social&utm_source=twitter.com&utm_campaign=buffer