Publié le : 17 août 2014
Source : polemia.com
L’essayiste et président du Parti des Libertés Serge Federbusch considère que l’aggravation de la situation économique et politique de la France peut entraîner un changement de régime.
Ancien élève de l’Ecole nationale d’administration, Serge Federbusch est magistrat administratif. Il a travaillé pour le ministère des Finances, le quai d’Orsay et la ville de Paris. Président du Parti des Libertés, ancien élu du Xe arrondissement de Paris, Serge Federbusch anime Delanopolis, site d’information satirique consacrée à la vie politique dans la capitale.
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« Il faut que rien ne se passe pour que rien ne bouge », aurait pu écrire le prince de Lampedusa en attribuant cette maxime immobile à François Hollande, guépard tombé de son scooter. Car tel est le drame que vit ce pauvre président: dans tous les domaines, économique, financier, culturel, politique, il s’est mis dans la situation de n’espérer qu’en l’inertie, de ne compter que sur la pesanteur des choses.
Ainsi en va-t-il d’abord des déficits qui prennent l’État à la gorge. Il faut à tout prix que Bruxelles et Francfort continuent de faire mine d’ignorer le non-respect de nos engagements budgétaires. L’actuelle stagnation conduira pourtant à un déficit public proche des 5 % du PIB. Faites vos calculs: depuis plusieurs années, le chiffre définitif est systématiquement supérieur de 1 % à celui prévu en juin. Comme le gouvernement n’annonce, depuis quelques semaines, que de miraculeux cadeaux fiscaux, telles la sortie de millions de contribuables de l’impôt sur le revenu ou de nouvelles aides au logement étudiant, l’impasse budgétaire ne pourra que croître. Pour que la mascarade continue, il faudra que nos partenaires acceptent de voir leur crédibilité sombrer avec la nôtre.
Pour durer, il sera également nécessaire que la bonne finance amie, doctoresse Jekyll connue du seul Sapin, ne se laisse pas corrompre par l’odieuse finance ennemie, sa Mrs Hyde, qui fait trembler MM. Hollande et Montebourg. Que cette gentille fée continue d’acheter de la dette française en acceptant des taux d’intérêt très bas. Donc, que les Chinois épargnent toujours autant et que les Arabes des pays pétroliers et autres nantis se disent que la France, surveillée par l’Allemagne, reste un meilleur risque que l’Argentine ou le Brésil.
Pour durer, il faudra que la situation diplomatique ne dégénère ni en Ukraine, ni au Pakistan, ni à Taïwan, ni en Israël, ni au Japon, ni en Iran. Car le niveau très élevé de Wall Street n’attend qu’un prétexte pour inciter des gestionnaires plus avisés que les autres à vendre les premiers. Pour durer, il faudra aussi que le prix de l’énergie ne monte pas, réduisant encore plus l’activité dans les pays importateurs, dont la France, sans gaz de schiste et avec une industrie nucléaire placée dans le formol, est une figure de proue.
Pour durer, il faudra que la police évite la moindre bavure réelle ou supposée à l’encontre d’un membre d’une minorité visible dont le sort enflammera les banlieues. Ou qu’une manifestation pro palestinienne ne dégénère pas pour de bon.
Pour durer, il faudra que les intermittents du spectacle se résignent à leur sort, que les étudiants et les lycéens n’aient pas envie de battre le pavé dès les premiers frimas venus pour oublier la médiocrité de leur environnement et la cruelle perspective du chômage ou de stages à n’en plus finir.
Pour durer, il faudra que les 5 millions de chômeurs dont ils vont gonfler les rangs continuent de ronger leur frein, rêvant de RSA, d’invalidité et de fin de droits.
Pour durer, il faudra que les 50 à 80 députés rebelles socialistes ne se décident pas à franchir le Rubicon, tombant «à gauche» pour tenter de sauver leur réélection, menés par Montebourg, Hamon ou Aubry avec comme prétexte la prochaine loi dont ils prétendront qu’elle impose l’austérité.
Pour durer, il faudra que la zizanie de la réforme territoriale ne s’étende pas, que le Parti socialiste, syndicat d’élus locaux, ne finisse pas par oublier purement et simplement qu’il fait aussi de la politique nationale.
Pour durer, il faudra que l’UMP continue de se ridiculiser en combats intestins, qu’aucune réforme sociétale ne ressoude la Manif pour tous, que les «bonnets rouges» ne deviennent pas écarlates, que tous les volatiles qui composent le mouvement protestataire patronal ne reprennent pas leur envol, que les timides appels à la grève des impôts ne fassent pas tache d’huile, que les prisons ne s’enflamment pas, que les DOM-TOM rongent leur os et se tiennent à carreau, que les portiques Écotaxe soient remisés, etc., etc., etc.
Pour durer, il faudra enfin que les médias si indulgents pour le pouvoir continuent à le prendre au sérieux et qu’aucun nouveau Cahuzac ne se fasse remarquer au sein du gouvernement.
Car le gros problème, si un de ces éléments vient à bouger, est qu’il entraînera, de proche en proche, tous les autres. C’est la thermodynamique de la politique, le cruel dilemme des situations d’inertie: elles ne se perpétuent qu’à condition d’être totales. L’immobilisme dans un corps vivant n’est jamais autre chose que la maturation de changements brutaux. J’ai montré dans mon récent ouvrage, Français prêts pour votre future révolution ?, les enchaînements possibles et même plausibles d’une révolution à venir. Le système politique français est historiquement victime de son incapacité à concilier extrême centralisation à Paris, scrutin de circonscription et économie ouverte. Le pouvoir exécutif s’enferre alors dans un tête-à-tête paralysant avec les grandes corporations qui le conduit soit à l’effondrement intérieur (1830, 1848), soit à l’incapacité de faire face à une menace extérieure (1870, 1940, 1958), les deux hypothèses étant d’ailleurs liées. En 2014, une combinaison de facteurs extérieurs et intérieurs, crise de l’euro et tension sociale se renforçant l’une l’autre, est devenue probable.
Ceux qui pensent que les Français sont définitivement inaptes à la rébellion devraient se poser la question des scénarii alternatifs: la perpétuation de la situation actuelle ne peut tout simplement pas s’écrire si on veut tenter de le faire. Car, même à environnement constant, tout ne fera que se dégrader. Un nœud coulant entoure bel et bien le cou du pouvoir socialiste.
Face à ces menaces, François Hollande n’aura d’autre solution que de tenter de dissoudre l’Assemblée pour passer le mistigri déchaîné à la droite. Elle serait bien stupide de se laisser griffer et aura certainement la sagesse de demander la démission présidentielle tandis qu’un nombre important de députés du Front national, du fait de triangulaires généralisées, ne lui donneront de toute façon que peu de marge de manœuvre. François Hollande, le placide pépère du dernier 14 Juillet, est dans une nasse et a fort peu de chances de terminer son quinquennat. A ceci près que cette crise politique se fera dans un contexte de faillite financière, précipitant un changement de régime. N’oublions pas que les révolutions sont aussi et peut-être avant tout l’habillage politique de la banqueroute. Français, préparez-vous: votre histoire est bientôt de retour!
Serge Federbusch